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ÉMEUTES (16) LA RELÉGATION DES BANLIEUES, ET L’EMPLOI – POINT DE VUE

Un taux de chômage dans les quartiers prioritaires de la ville deux fois supérieur

Malgré une amélioration, le taux de chômage dans les quartiers prioritaires de la ville reste plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, bien éloigné de l’objectif de plein-emploi fixé pour le pays par Emmanuel Macron. En cause, notamment, une concentration de personnes en difficulté et des discriminations à l’embauche.

ARTICLE

Les problèmes d’emploi, symptôme persistant de la relégation des banlieues

Par Thibaud Métais. LE MONDE 6 7 23

Onze agences Pôle emploi dégradées, deux autres incendiées. Comme l’ensemble des institutions, le service public de l’emploi n’a pas été épargné par les émeutes ayant touché la France après la mort du jeune Nahel M., tué par un policier à Nanterre, mardi 27 juin. Un symbole pour des territoires dont les habitants sont souvent très éloignés du marché de l’emploi. Le taux de chômage y est plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, à 18 % de la population active contre 7,1 %.

Un signe de plus de la relégation des 1 514 quartiers prioritaires de la ville (QPV) que compte le pays, et de la situation défavorable des banlieues par rapport au reste du territoire. Et c’est un élément qui revêt une importance considérable au regard de l’objectif répété comme un mantra par le gouvernement depuis plus d’un an : atteindre le plein-emploi – autour de 5 % de chômage – d’ici à 2027. Pire, alors que les jeunes de moins de 25 ans sont surreprésentés dans les QPV (39,1 % contre 29,9 % en métropole), le taux de chômage des moins de 30 ans s’y élevait, en 2020, à 30,4 %, selon un rapport de l’Observatoire national des politiques de la ville.

La situation s’y améliore pourtant et la bonne santé actuelle du marché du travail profite aussi aux quartiers populaires. Le chômage y a baissé de manière rapide et régulière – il était de 26,4 % en 2015 –, mais l’écart avec le reste du territoire reste grand. Une dynamique baissière qui relève de « l’exploit », selon le président de l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin, tant ces territoires accueillent sans cesse les personnes les plus en difficulté alors que « ceux qui trouvent un emploi stable les quittent ».

Ce dernier tempère cependant : « Ce serait une erreur de croire que l’amélioration sur l’emploi réglera mécaniquement tous les problèmes. » Une analyse que partage le président de la Fédération des acteurs de la solidarité, Pascal Brice. « Le taux de chômage va continuer de baisser, souligne-t-il. Mais il va falloir continuer à travailler sur la question de la pauvreté et de la précarité. » Parmi les résidents de QPV ayant un emploi, un sur cinq a signé un contrat précaire (CDD, apprentissage, intérim, stage), contre un sur sept dans les agglomérations auxquelles ces quartiers appartiennent. Et, selon les travaux de l’Observatoire national de la politique de la ville, ils sont à 70,8 % ouvriers ou employés, contre une moyenne de 44,9 % en France (hors Mayotte).

Des moyens publics en hausse mais peu efficaces

L’entrepreneuriat et les emplois ubérisés ont parfois été mis en avant comme remèdes possibles au chômage, un phénomène à « relativiser », selon Louis Maurin. « La plupart des jeunes des QPV cherchent un emploi salarié pour la stabilité, qui représente le meilleur moyen de s’en sortir, d’acheter un pavillon, etc. », indique-t-il.

Comme à chaque éruption dans les banlieues, c’est surtout la politique de la ville qui est ciblée. Car l’Etat a consacré des moyens énormes pour les QPV et il est tentant de considérer ces investissements comme un échec. « Il y a eu un effort important en termes de financement et d’accompagnement, reconnaît l’adjoint au développement économique, à l’emploi et à l’insertion de la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Shems El Khalfaoui. On ne peut pas dire que rien n’a été fait, sinon la situation serait encore plus catastrophique. » Pour autant, l’action de l’Etat ne produit pas les effets escomptés.

La Cour des comptes a rendu un rapport accablant sur le sujet en juillet 2022, établissant l’échec des politiques de l’emploi dans les QPV entre 2015 et 2022. Garantie jeunes, contrat d’engagement jeune, plan « 1 jeune, 1 solution », emplois francs… La liste des dispositifs mis en place par l’Etat est longue. Des moyens publics « qui augmentent sans parvenir à réduire les écarts entre les habitants des QPV et ceux des autres quartiers », jugent les magistrats de la Rue Cambon, qui regrettent par ailleurs l’absence de suivi précis des dépenses pour ces politiques.

« On ne peut que constater le décalage entre la volonté et la mobilisation du gouvernement et la faiblesse des résultats », signale Saïd Hammouche, président du groupe Mozaïk RH, pour qui « la bonne méthode n’a toujours pas été trouvée ». Le fondateur du cabinet de recrutement inclusif milite pour « la mise en œuvre d’un outil spécifique sur l’inclusion avec la création de France Travail [qui doit succéder à Pôle emploi dans le cadre de la réforme du service public de l’emploi] » afin de faire face à la situation particulière des quartiers populaires. « Les quartiers subissent les séquelles de décennies de chômage de masse aux effets dévastateurs », déplore Pascal Brice.

Les discriminations à l’embauche persistent

Pour Yannick L’Horty, économiste et professeur à l’université Gustave-Eiffel, les emplois francs font partie des dispositifs qui suscitent un minimum d’optimisme. « C’est une politique originale, affirme l’économiste, et beaucoup d’éléments convergent pour dire qu’elle finit par avoir de vrais effets positifs. » Expérimenté en 2018 puis généralisé en 2020, ce dispositif permet à un employeur de bénéficier d’une aide lorsqu’il embauche un habitant de QPV.

Avec un peu plus de 20 000 emplois francs signés chaque année, la Cour des comptes relativise l’impact du dispositif sur le taux de chômage. Le mécanisme permet en revanche de lutter contre les discriminations à l’embauche liées à l’adresse.« Depuis 2018, on voit que ces discriminations s’atténuent vraiment », explique Yannick L’Horty, qui y voit « la preuve statistique d’une politique efficace de lutte contre les discriminations ».

Il reste toutefois de nombreux obstacles aux candidats des QPV. Une étude incluse dans le rapport annuel sur l’état de la fonction publique montre qu’une personne d’origine maghrébine a 18 % de chance d’être recrutée comme cadre administratif contre 25 % pour un candidat dont le CV ne suggère aucune origine. « C’est tout le problème, s’indigne Shems El Khalfaoui. Même les jeunes qui s’en sortent, on n’arrive pas à les valoriser car les entreprises ne jouent pas le jeu derrière. De nombreux employeurs ne répondent pas. » Venir à bout des discriminations nécessite un changement de culture des recruteurs « afin qu’ils dépassent les stéréotypes », précise Yannick L’Horty, coauteur de l’étude.

Or ces discriminations expliquent en partie le taux de chômage élevé des QPV, qui se caractérisent par une forte présence d’étrangers (21,8 %). Selon le rapport de la Cour des comptes, les immigrés y sont également surreprésentés (27,2 % contre 12,9 % au niveau national), alors que le taux de chômage des immigrés et des descendants d’immigrés (13 % et 12 % en 2021) est presque deux fois supérieur à la moyenne nationale.

C’est dans cette optique que le groupe Renaissance a déposé, mardi, une proposition de loi, portée par le député des Français établis hors de France Marc Ferracci, « visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques ». Une procédure qui consiste à soumettre deux candidatures aux compétences identiques mais au profil individuel différent (origine, sexe, âge) pour déceler les discriminations. Lors de sa visite à Marseille, fin juin, Emmanuel Macron avait promis une « systématisation » de la méthode et des « moyens supplémentaires ». Encore et toujours une question de moyens.

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