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L’AFFAIRE DU CHATEAU DE VERSAILLES ET L’ÉTAT DE DROIT

L’ÉTAT DE DROIT TRANSGRESSÉ ; SANS VERGOGNE ?

Nos lecteurs nous proposent de revenir selon deux séquences à l’affaire de la presidence de Versailles.

Le moment est pénible pour l’ex-journaliste, qui voit son image écornée par les tentatives d’Emmanuel Macron de prolonger son mandat à la tête de l’établissement public, constate dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».

1. « Le cas de Catherine Pégard montre combien le Château de Versailles est art et patrimoine, mais aussi politique et diplomatie »

Dans son rapport, la juridiction financière fustige une décision contrevenant aux limites d’âge et de mandats de l’établissement public du château, du musée et du domaine national. 

2. La Cour des comptes critique le maintien de Catherine Pégard à Versailles

1. ARTICLE

« Le cas de Catherine Pégard montre combien le Château de Versailles est art et patrimoine, mais aussi politique et diplomatie »

Michel Guerrin Rédacteur en chef LE MONDE 03 février 2023

Présidente du Château de Versailles depuis 2011, ayant fait trois mandats successifs, sans avoir droit à un quatrième, Catherine Pégard aurait dû quitter le navire en octobre 2022. Même avant. Ayant dépassé les 68 ans, sa retraite aurait dû sonner en mars 2021. Au lieu de quoi, elle est toujours là, flottant dans l’illégalité, en un intérim sans fin d’elle-même.

Ce roman versaillais est écrit par Emmanuel Macron, qui s’obstine à ne pas remplacer la capitaine, au point de tenter deux coups tordus. Soldés par deux fiascos.

En décembre 2022, le Conseil d’Etat a dit non à un projet de décret visant à repousser l’âge de la retraite de hauts fonctionnaires au motif que le texte, téléguidé pour Mme Pégard, n’était pas « d’intérêt public ». Fin janvier, le Sénat a recalé un amendement loufoque à un projet de loi visant à ceci : Versailles accueillant une épreuve hippique des Jeux olympiques, Pégard doit rester jusqu’à la fin 2024 afin que tout se passe au mieux. Des sénateurs de tous bords ont trouvé la ficelle si grosse – la maîtresse de Versailles n’est spécialiste ni en art, ni en patrimoine, ni en gestion, ni en jardins, ni en sport, ni en cheval – que l’amendement, après quelques échanges croustillants, a été retiré.

Ces deux événements valent humiliation pour le président de la République et sa protégée, donnant lieu à quelques commentaires de circonstance dans les médias : privilège, impunité, passe-droits, combines, courtisanerie, fait du prince, hochet ubuesque, histoire de fous, nouvelle Pompadour… Désormais, Emmanuel Macron peut trouver un député acceptant de jouer les porte-flingues et de présenter à nouveau un amendement devant l’Assemblée nationale, au risque d’être une nouvelle fois ridiculisé. Il peut faire traîner l’intérim jusqu’à 2024 mais la moindre décision de la châtelaine pourrait être contestée en justice. Et il peut renoncer et chercher enfin un autre patron de Versailles. « La décision n’est pas prise », nous fait savoir l’Elysée.

Image écornée

Le moment est pénible pour Catherine Pégard, ancienne journaliste politique au Point, de droite mais navigant à gauche, faisant de la discrétion un art, qui voit son image bien écornée. A se demander pourquoi elle ne renonce pas devant un tel calvaire. Le poste, il est vrai, est un des plus convoités de la République. Abandonner la vie de château est rude quand le prochain point de chute est incertain.

Mais pourquoi Macron s’obstine-t-il ? Depuis trois ans, une dizaine de noms ont circulé pour remplacer Catherine Pégard et le président de la République avait un favori légitime, en la personne de Jean d’Haussonville, qui vient de quitter le Château de Chambord avec un bon bilan.

Et puis Mme Pégard est redevenue une priorité. Personne ou presque n’évoque, comme raison, le bilan de la sortante, du reste mitigé, plutôt la façon dont le chef de l’Etat instrumentalise Versailles, davantage que ses prédécesseurs. Il a reçu Vladimir Poutine au Grand Trianon en 2017, discuté avec 140 patrons en 2018 dont ceux de Google, Samsung et Mitsubishi, piloté un sommet européen en 2022. Chaque fois, le chef de l’Etat aurait apprécié la façon dont Catherine Pégard maîtrise le protocole. Il est vrai qu’elle excelle en matière de « dîners en ville », à Paris comme à Versailles, où chaque convive devient un obligé.

Surtout, le temps passant, le couple Macron aurait noué avec Catherine Pégard une grande complicité lors de week-ends à La Lanterne, une résidence présidentielle mitoyenne du château. Brigitte Macron a à peu près le même âge que Catherine Pégard, comme elle a à peu près le même âge que Philippe Bélaval, appréciant tout autant ce Talleyrand de la culture – les ministres passent, lui reste –, expert de la machinerie culturelle qui vient d’être nommé conseiller de son mari.

Le cas Pégard montre combien Versailles se distingue des autres paquebots culturels de l’Etat. Le château est art et patrimoine mais aussi politique et diplomatie. Un président de la République s’en sert pour remercier ou recaser un proche, pour honorer et impressionner des personnalités diverses. Le monde culturel s’en afflige, nostalgique d’une époque où Versailles était géré par des historiens.

La rupture est récente, en 1995, quand le château fut coiffé par un président, chargé d’orchestrer un millier d’agents répartis en divers métiers et de se muer en chef d’entreprise pour capter du mécénat.

Besoin d’un nouveau modèle

Quatre présidents seulement (Hubert Astier, Christine Albanel, Jean-Jacques Aillagon, Catherine Pégard) se sont succédé au château en près de trente ans, de droite mais compatibles à gauche, qui n’ont pas eu besoin de présenter un projet ni même une note d’intention. Si M. Aillagon fut le plus novateur, Mme Pégard, qui n’avait auparavant dirigé qu’elle-même et dont l’appétence pour la culture était floue, affichait une prouesse : nommée par Nicolas Sarkozy en 2011, confirmée par François Hollande en 2016, prolongée en 2019 par Emmanuel Macron.

Ajoutons cette gourmandise, pointée par Frédéric Martel sur France Culture le 2 janvier : au nom de Nicolas Sarkozy, Catherine Pégard a signifié à Jean-Jacques Aillagon son éjection de Versailles en invoquant son âge, en fait pour lui ravir un fauteuil qu’elle entend garder à 68 ans.

Au-delà de la question de droit, de morale publique aussi, si ce mot signifie encore quelque chose, Versailles a besoin d’un nouveau modèle que seul un patron installé pourra porter. En témoigne notamment la question des foules qui fragilisent le château (8,5 millions de visiteurs par an, hors pandémie de Covid-19).

L’autre enseignement de cet épisode versaillais est le rôle d’Emmanuel Macron dans les nominations à la tête des grands établissements culturels. D’autres présidents sont intervenus mais lui le fait plus intensément, et puis en prenant plus de temps, au point que nombre de postes restent vacants de longs mois. Se faire attendre est une façon de montrer qui tient les clés. C’est aussi un symbole monarchique, dont le cliquetis résonne plus fort à Versailles.

2. ARTICLE

La Cour des comptes critique le maintien de Catherine Pégard à Versailles

Dans son rapport, la juridiction financière fustige une décision contrevenant aux limites d’âge et de mandats de l’établissement public du château, du musée et du domaine national. 

Par Roxana Azimi LE MONDE 6 11 23

Le maintien de Catherine Pégard, 69 ans, à la tête de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, au-delà du raisonnable, n’en finit pas de faire tiquer les juristes de l’Etat. La Cour des comptes, dans son rapport publié le 7 novembre, le dit sans détour : « Le maintien de la présidente au-delà la limite d’âge (depuis mars 2021), et au-delà du troisième et dernier mandat autorisé (depuis octobre 2022) est problématique. » En décembre 2022 déjà, un projet de décret pour prolonger sa présidence avait été retoqué par le Conseil d’Etat. Sollicité en janvier, le Sénat avait refusé de voter un amendement permettant à l’ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, nommée en 2011, de rester en poste jusqu’aux Jeux olympiques.

Lire le récit :  Article réservé à nos abonnés  Suspendu de ses fonctions, un conservateur de Versailles conteste la légalité de l’intérim de Catherine Pégard, la présidente du châteauAjouter à vos sélections

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Cette situation, inhabituelle pour un établissement public de cette envergure, « ne garantit pas la parfaite sécurité juridique des décisions prises ou déléguées aux directeurs de l’établissement public, notamment en matière d’engagement de la dépense », écrivent les magistrats financiers. Selon la Cour des comptes, les décisions de Catherine Pégard pourraient être contestées devant les tribunaux – ce fut le cas récemment dans l’affaire d’un conservateur, Alexandre Maral, mis à pied. « En l’espèce, explique le rapport, le maintien de Mme Pégard pourrait même être assimilé à une forme de détournement de pouvoir dans la mesure où l’absence de désignation d’un successeur depuis déjà plus de vingt-sept mois résulte d’une carence qui traduit de la part de l’Etat sinon une volonté délibérée de l’Etat du moins un manque d’anticipation. »

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Dans sa réponse, le ministère de la culture feint l’indifférence. La Rue de Valois précise qu’une décision d’intérim, prise le 23 février 2021, serait valable « jusqu’à la désignation d’un nouveau président ». Catherine Pégard, estime la Rue de Valois, n’est pas en situation de cumul des mandats, bien qu’elle soit au-delà des trois exercices autorisés. Dans les faits, et la Cour des comptes ne s’y trompe pas, cet intermède qui pourrait courir jusqu’aux Jeux olympiques de 2024, soit au-delà de trois ans, « pourrait être assimilé à un quatrième mandat ».

Nombreux « points de fragilité »

Le rapport, qui dissèque dix ans de gestion, n’est pas entièrement négatif. Il salue le rayonnement croissant du château, une trésorerie abondante grâce au soutien de l’Etat, un mécénat globalement résilient, et l’ouverture réussie en 2021 de l’hôtel Le Grand Contrôle, qui a rapporté 1,9 million d’euros au domaine.

Les magistrats relèvent toutefois de nombreux « points de fragilité » : une conservation insatisfaisante des œuvres dans des réserves parfois inadaptées, une relative faiblesse des instances de gouvernance, ainsi que l’externalisation croissante des effectifs d’accueil et de surveillance, qui « risque de poser à terme la question de l’égalité de traitement entre titulaires et contractuels, dans un contexte de crise des vocations et de pénurie de main-d’œuvre qui va s’accentuer à l’approche des Jeux olympiques ».

Lire aussi la chronique :  Article réservé à nos abonnés  « Le cas de Catherine Pégard montre combien le Château de Versailles est art et patrimoine, mais aussi politique et diplomatie »Ajouter à vos sélections

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La juridiction financière s’interroge également sur les modalités d’attribution des logements de fonction et du suivi des occupants, « de nature à entretenir des doutes sur certains choix opérés », et regrette l’effacement du conseil d’administration, qui ne jouerait pas pleinement son rôle d’espace de débat. A ses yeux, une nouvelle présidence offrirait l’occasion au ministère de préciser ses attentes à l’égard de l’établissement en lui adressant une lettre de mission (qui fait actuellement défaut). Les objectifs pourraient aussi être précisés dans un prochain contrat d’objectifs et de performance, recommandent les magistrats, à toutes fins utiles.

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