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ARTICLE – Rendez-vous avec Martin Hirsch : « Mon père disait que faire des ronds de jambe dans un ministère, ça n’a jamais rempli une vie »
La lutte contre la pauvreté, l’amélioration du système de santé, la jeunesse… L’ex-boss de l’AP-HP se confie, entre deuxNicorette, sur les raisons de son engagement.
Par Claire Lefebvre. 24/03/2024 LE POINT
Rendez-vous est pris au Rostand, institution de la rive gauche, qu’il fréquente depuis ses études à Normale sup. Face à un jus de citron sans sucre, on retrouve l’ancien patron des Hôpitaux de Paris, également inventeur du revenu de solidarité active (RSA), créateur de l’Institut de l’engagement et ex-président d’Emmaüs France. Le nouveau Martin Hirsch, 60 ans, barbe de trois jours et œil rieur, revient avec une autre casquette : celle de vice-président exécutif de Galileo Global Education, leader mondial de l’enseignement supérieur privé. Lui, l’homme de gauche, ardent défenseur de l’action publique et fils spirituel de l’abbé Pierre, s’est reconverti dans le privé.
Ses missions ? Développer des formations aux métiers de la santé – secteur dont il connaît tous les rouages –, mais aussi l’accessibilité du plus grand nombre à l’enseignement supérieur. Lorsque nous le rencontrons en ce vendredi ensoleillé de mars, le moment est décisif pour son groupe : Parcoursup, la plateforme d’affectation dans l’enseignement supérieur tant décriée, vient de fermer ses portes. Les élèves de terminale avaient jusqu’au 14 mars pour formuler leurs vœux. Ceux qui ont raté la date limite ou qui ont changé d’avis doivent désormais attendre le mois de juin, ou bien se reporter sur des écoles qui recrutent en dehors de la plateforme, comme la majorité des formations Galileo.
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Des écoles de la deuxième chance ? Plutôt une autre manière de concevoir l’éducation, « plus démocratique », dit-il. En pro de la com, Hirsch déroule : « Mon sujet, ce n’est pas Parcoursup, mais la qualité des formations. C’est-à-dire leur capacité à prendre un étudiant qui n’est pas forcément excellent, pas forcément dans le moule académique, mais qui a envie d’y arriver, et à le tirer vers le haut pour le rendre employable. Quand on sait que 30 % des bacheliers ont un bac pro et que seulement 6,2 % d’entre eux vont jusqu’à la licence, on se dit qu’il y a quelque chose à faire. C’est ce que nous faisons à travers nos formations, qui se veulent toutes extrêmement professionnalisantes », explique-t-il, tout en s’emparant d’une de ces gommes antitabac qu’il mâche depuis vingt ans.
Médecine, Normale Sup, l’ENA…
Le sujet est sensible. Le groupe, qui possède 61 écoles dans le monde, dont 23 en France, a été pointé du doigt pour vendre – parfois de manière agressive – des formations débouchant sur des diplômes pas toujours reconnus par l’État. Certifiées par le ministère du Travail, elles répondent aux besoins du marché du travail, mais elles n’offrent pas d’équivalence avec le système LMD (licence, master, doctorat).

Galileo, bien sûr, n’est ni le seul ni le pire. La ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, a exprimé, début septembre, sa volonté de mettre en place un label de qualité pour aider les étudiants et leurs familles à s’y retrouver. Et, comme tous les acteurs du secteur, l’ancien haut-commissaire aux Solidarités du gouvernement Fillon participe régulièrement, depuis, à des réunions visant à définir les critères à cocher pour obtenir ce fameux label. Toutes les formations de Galileo pourront-elles y prétendre ? Mystère. Martin Hirsch reprend une Nicorette et se contente de sourire.
SON DIMANCHE IDÉAL : Faire du tennis le matin, déjeuner avec des amis ou de la famille à midi et réfléchir l’après-midi. « Mes collaborateurs ne détestent rien de plus que le mail que je leur envoie aux alentours de 18 heures pour leur faire part de mes fulgurances de l’après-midi… C’est leur hantise. Et moi, mon petit plaisir. »
Qu’est-il venu faire dans cette galère ? Tout se serait passé à la mi-2022. Martin Hirsch entamait sa neuvième année à la tête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), ce « monstre » de 38 hôpitaux, 92 000 salariés et 8 millions de patients par an, qu’il compare à une petite ville. Le job de sa vie, pour ce passionné de la chose publique qui a fait six ans d’études de médecine avant de bifurquer vers Normale sup, où il a obtenu un DEA de neurobiologie, puis d’enchaîner par l’ENA.
Son sourire, sa marque de fabrique
À son arrivée à l’AP-HP, le haut fonctionnaire commence par vouloir faire des économies, il rogne sur les RTT, concentre l’activité autour de six groupes, autour de douze, et se met à dos une partie du personnel. Celui-ci lui reproche en vrac l’augmentation du nombre de postes vacants d’infirmier et du nombre de lits fermés, les blocs opératoires à l’arrêt, l’épaississement du « millefeuille administratif », la dégradation des soins…
Et puis la crise du Covid-19 est arrivée. Martin Hirsch montre un autre visage, plus agile et à l’écoute. Il en ressort aussi avec la conviction qu’il faut tout changer. L’hôpital, dit-il, est « malade de ses rigidités ». Alors il se met à son bureau et rédige une note de quinze pages qu’il adresse à l’Élysée et à Matignon, pile entre la présidentielle et les législatives. Il y prône la flexibilisation du travail, l’autonomie des établissements, la mobilité professionnelle, l’accélération du développement des soins ambulatoires… « Je n’ai jamais eu de réponse », affirme-t-il, sans se défaire de son sourire, sa marque de fabrique, celle qui lui a permis de toujours glisser sur les difficultés et de rebondir.
À lire aussi : Rendez-vous avec Yves Jobic : « Quand j’étais flic, on avait une mentalité de chasseur, pas de fonctionnaire »Dans l’histoire qu’il tricote au gré des interviews, un ami lui parle de Galileo et des ambitions du géant dans le domaine de la santé. Martin Hirsch vient de refuser de prendre la tête de l’Institut national du service public (l’ex-ENA). Conscient qu’il ne sera pas renouvelé à l’issue de son mandat, il se décide à rencontrer le patron du géant, Marc-François Mignot-Mahon. L’homme le séduit. Le job aussi. « Lorsque j’étais à l’AP-HP et que je rencontrais mes homologues européens, le sujet numéro un était celui du manque de personnel. Je me suis dit assez rapidement qu’il y avait sans doute d’autres manières de faire. J’aurais pu le faire “from scratch”, en partant de zéro, ce que j’ai souvent fait par le passé, comme avec le service civique. Et puis il y a eu cette opportunité avec Galileo. »

Un « alignement de planètes », explique le conseiller d’État (actuellement en disponibilité), feignant de ne pas voir de hiatus dans sa carrière. On lui a fait, il est vrai, du temps de son entrée au gouvernement Fillon, d’autres procès.
Lorsque j’ai été reçu à l’ENA, mon père m’a adressé une lettre, non pas pour me féliciter, mais pour me mettre en garde.
Qu’en dirait son père, polytechnicien, directeur des Ponts et Chaussées, juif laïque engagé à 15 ans dans la Résistance ? « Je ne sais pas faire parler les morts. » Le sexagénaire prend une cinquième Nicorette et nous raconte cette histoire, devenue le point de départ de son onzième livre, intitulé La Lettre perdue (Stock, 2012) : « Lorsque j’ai été reçu à l’ENA, mon père m’a adressé une lettre, non pas pour me féliciter, mais pour me mettre en garde sur les dangers qui guettent ceux qui entrent dans une caste. “Porter une casquette de préfet et faire des ronds de jambe dans un ministère, ça n’a jamais rempli une vie”, me disait-il. Une vie bien remplie, c’est une vie engagée. Il est mort peu après, mais sa lettre n’a cessé de m’accompagner. »
Loin d’être exemplaire en matière d’écologie
Le fil rouge de sa carrière, c’est cet engagement « non pas idéologique, mais par l’action » auprès des pauvres, des malades et des jeunes. « Je veux être utile dans cette société et je préfère régler la souffrance plutôt que de m’intéresser à alléger les complexes des riches », lâche-t-il à l’attention de « ceux qui se drapent dans leur vertu sans jamais mettre les mains dans le cambouis ». Il cite Les Mains sales de Jean-Paul Sartre, pièce qu’il « adore », et sa série de dilemmes moraux : jusqu’à quel point peut-on justifier l’inaction politique ? Les idées suffisent-elles à changer le monde ? À quel moment la violence devient-elle légitime ?
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Ces questions traversent d’ailleurs son dernier livre Les Solastalgiques(Stock), dont le titre évoque ces personnes ayant développé une forme sévère d’écoanxiété. Un roman où une bande d’intellectuels sexagénaires parisiens, ne supportant plus de rester les bras croisés face au réchauffement climatique, s’associent avec de jeunes hackers dans le but de changer le cours des choses. Ensemble, ils basculent dans l’action clandestine et bloquent les sites des plus gros pollueurs. Un appel à la révolution ? « Plutôt une fable sur nos propres hésitations, nos choix et la question de l’engagement », explique ce père de trois grandes filles et amoureux des glaciers, qui dit avoir été gagné par l’écoanxiété après avoir lu les rapports du Giec.
Pourtant, il est, il l’avoue, loin d’être exemplaire. « Je tente de limiter mes déplacements en avion, mais mon job implique d’aller partout dans le monde », explique ce VRP de luxe de l’enseignement supérieur, rappelant que son groupe a formé 12 000 professionnels de santé cette année dans le monde, notamment au Mexique, au Costa Rica et en Afrique subsaharienne. Et surtout qu’il ambitionne d’en former quelques milliers d’autres pour répondre aux besoins qui s’élèveront, selon l’OMS, à 18 millions d’agents d’ici à 2030. Ça vaut bien quelques émissions de tonnes équivalent CO2.
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