NOTRE BILLET :
Le paradoxe d’une France jacobine décentralisée
Depuis le début de la crise du covid-19 – et malgré que l’Etat ne les ait pas associés directement à la gestion de crise – les élus locaux sont en première ligne. C’est le cas de nombreux maires, présidents de départements ou de régions.
Par exemple, le président de la région Grand Est qui a joué un rôle moteur dans la coopération hospitalière transfrontalière, illustrant ainsi le couple proximité/efficacité.
Portant les réflexes jacobins sont bien là, le sommet de l’exécutif ne fait pas confiance aux collectivités – ne réhabilitant que tardivement le « couple » Préfet/Maire. De même, le Conseil d’État , se découvrant une expertise sanitaire et de gestion de crise, donne systématiquement raison au Gouvernement ( dont il est le conseiller ).
La crise mettrait elle en lumière les vertus de la décentralisation en France ? ». C’est la question que pose Vincent Delhomme, directeur des études de Génération Libre pose dans une tribune pour Le Figaro. 20 avril 2020. Il précise : « Les libertés locales ont de nombreuses vertus que la crise actuelle vient aussi souligner : proximité, efficacité, légitimité. ».
Pour Vincent Delhomme,
Une décentralisation effective serait un bon moyen d’expérimenter et d’évaluer différentes stratégies d’action publique, pour permettre aux acteurs de sélectionner les meilleures pratiques. « Renouons avec l’esprit de notre Constitution, et redonnons du pouvoir aux communes. », écrit-il.
De cette crise, il espère que trois leçons seront retenues :
- la décentralisation fonctionne même en temps de trouble ;
- les prises de décisions doivent se faire avec pragmatisme à différents niveaux (international, ;européen, national, régional…) ;
- la décentralisation est optimale seulement dans un cadre de confiance et de coopération.
Pour Benjamin Morel, Alexis Fourmont Benoît Vaillot,
La thèse est en quelque sorte inversée dan l’article du 28 avril 2020 THE CONVERSATION( Benjamin Morel Maître de conférences en droit public à Paris 2 Panthéon-Assas, , Alexis Fourmont, Maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Benoît Vaillot, Professeur agrégé en histoire, Institut Universitaire Européen, Université de Strasbourg)
Ils abordent toutefois la question de manière différente, s’attachant plus particulièrement à la partie sanitaire de la crise, et apportant des informations étrangères. En effet l’analyse, en France , peut différer si l’on traite de la logistique et de l’organisation spécifiques à la gestion de crise.
Les outils de crises et de prévention et de gestion sont territorialisés et les collectivités y prennent une part importante : les communes avec les PCS parallèles aux Plans Orsec des Préfets, la compétence sociale ( y compris Ehpad) des départements ou des communes ( CCAS), les transports avec les régions, les trois collectivités pour les écoles, collèges et lycées…
Le Gouvernement le découvre d’ailleurs près de deux mois après le début de la crise, en associant les collectivités au déconfinement.
La France reste jacobine et est pourtant fortement décentralisée. Ce paradoxe est une richesse si la confiance et la coopération existent, elle devient un handicap quand l’une des parties ignore l’autre. Par ailleurs, les responsabilités des uns et des autres doivent être claires et assumées. Pour la Santé, il n’y a pas de décentralisation et l’Etat doit assumer son rôle de stratège. Il ne peut faire porter aux collectivités ( et entreprises ) des responsabilités qui ne sont pas les leur, par exemple sur le stockage ou la distribution de masques.
Nous vous proposons ces deux articles pour alimenter le débat.
Armand Flax
ARTICLE :
Vincent Delhomme :
« La centralisation de l’État a-t-elle ralenti le traitement de la crise? »
« Depuis le début de l’épidémie, les élus locaux sont en première ligne, qu’ils adaptent, accompagnent ou parfois même devancent les mesures gouvernementales. On pense par exemple au rôle moteur du président de la région Grand Est, Jean Rottner, dans l’établissement d’une coopération hospitalière transfrontalière, ou aux maires qui tentent d’adapter le confinement aux réalités de leur territoire. Dans son malheur, la France découvrirait-elle les vertus de la décentralisation?
La France découvrirait-elle les vertus de la décentralisation ?
La question des masques offre une bonne mise en perspective. Après l’imbroglio résultant des commandes saisies par l’État, ce sont les arrêtés récemment pris par les maires pour en imposer le port à leur population qui ont été accueillis avec une franche hostilité par le gouvernement. Si l’on en croit le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, l’efficacité sanitaire du port généralisé du masque ne serait non seulement pas démontrée, bigre, mais la mesure porterait aussi atteinte à «l’égalité territoriale». On passera sur le premier volet de cette réaction, l’outil semblait pourtant faire consensus, pour se concentrer sur le second. Drôle conception de l’égalité qui voudrait qu’en l’absence de masques pour tous il soit préférable que personne ne puisse en utiliser!
Saisi en référé, le Conseil d’État a lui aussi donné tort aux communes qui, en matière de port du masque, voudraient aller plus loin que la doctrine nationale. Une doctrine pourtant loin de faire l’unanimité. Il a ainsi jugé que l’édiction d’une telle mesure serait «susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises par les autorités sanitaires» et «de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par les autorités sanitaires». Un esprit taquin pourrait d’abord noter que la juridiction administrative suprême met plus d’entrain à suspendre les mesures des maires que celles du gouvernement et de son administration. Sur le fond, le message est clair: même en période de grande incertitude, on ne saurait s’écarter du chemin tracé par l’État.
Les libertés locales ont de nombreuses vertus que la crise actuelle vient aussi souligner.
Ces prises de position marquent un rejet de la différenciation assez symptomatique de la culture politique française. Pourtant, les libertés locales ont de nombreuses vertus que la crise actuelle vient aussi souligner: proximité, efficacité, légitimité. Une mesure sera d’autant plus pertinente et acceptée qu’elle est adaptée aux caractéristiques et aux préférences locales. Rien d’étonnant à ce que 71 % des Français fassent confiance à leur maire, selon des chiffres de l’Observatoire de la démocratie de proximité. Surtout, le partage des pouvoirs sur un même territoire a l’immense mérite de donner libre cours à l’expérimentation et à l’évaluation, fondamentales pour l’action publique. Laisser les acteurs prendre des routes différentes permet ensuite de sélectionner la meilleure pratique, un mécanisme particulièrement important lorsque l’incertitude scientifique est élevée.
On peut prendre pour exemple la décision de Paris et ses départements limitrophes de restreindre l’activité physique en extérieur entre 10 et 19 heures. Partant de l’idée louable de limiter les contacts entre les personnes, elle semble avoir eu l’effet inverse de celui recherché en concentrant les sorties des sportifs sur les mêmes plages horaires. Les autres territoires ne se précipiteront sans doute pas pour l’imiter, préférant au contraire explorer d’autres pistes.
La décentralisation n’est pas un frein à l’efficacité.
De l’immense défi qui nous est posé, il faut espérer que trois leçons soient retenues. La première, c’est que la décentralisation fonctionne, même en temps de trouble. Elle n’est pas en soi un frein à l’efficacité. Face à l’incurie du gouvernement fédéral, ce sont les États américains qui ont réagi les premiers, avec brio. En Allemagne, le confinement se fait de manière différenciée entre Länders, sans que cela n’ait l’air de porter préjudice à une gestion de crise qui fait figure de modèle. Sans tirer de leçons hâtives, il s’agit au moins d’interroger le présupposé stato-centré qui prévaut en France.
La seconde, c’est qu’il ne faut pas faire preuve de dogmatisme. Chaque échelon a son rôle à jouer et la subsidiarité marche dans les deux sens. Il est évident que certaines mesures anti-virus ont vocation à être adoptées à un niveau national, européen voire même mondial. Il ne s’agit donc pas de défendre un niveau par rapport à un autre, mais de donner à chacun ce qui lui revient et de faire preuve de pragmatisme. L’Allemagne accepte aussi en ce moment une recentralisation temporaire dans le domaine de la santé car elle la sait nécessaire.
La troisième, c’est que ce beau schéma ne fonctionne que dans un esprit de confiance et de coopération. C’est ce qui fait cruellement défaut en France, où un large fossé s’est creusé ces dernières années entre les territoires et l’État. Il faut souhaiter que la relative concorde nationale qui règne en ce moment permette le moment venu de garder tout le monde autour de la table.
Le système politique français, en dépit du fait qu’il soit l’un des plus centralisés en Europe, a un fort potentiel décentralisateur.
Comme le dit le politiste Raoul Magni-Berton dans son rapport «Le pouvoir aux communes» , «le système politique français, en dépit du fait qu’il soit l’un des plus centralisés parmi les grands pays européens, a un fort potentiel décentralisateur». L’article 72-2 de la Constitution ne souffre d’aucune ambiguïté lorsqu’il énonce que «les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon».
Dans ce monde d’après que chacun dessine avec ses propres couleurs, souhaitons donc y retrouver une France guérie, apaisée et…décentralisée! »
…
ARTICLE :
Pourquoi la décentralisation n’est pas un remède miracle contre le Covid-19
(Benjamin Morel, Alexis Fourmont, Benoît Vaillot).
« Noah Feldman, professeur de droit à Harvard, estime que le fédéralisme est l’une, si ce n’est la principale faiblesse des États-Unis face à la pandémie. En Europe, le même sentiment semble s’être diffusé. En Suisse, Serge Gumy, le rédacteur en chef du journal La Liberté, conclut que dans cette situation « le fédéralisme est décidément un remède périmé ».
De même en va-t-il dans les États régionaux fortement décentralisés (notons d’ailleurs que le degré d’autonomie des régions n’est pas directement corrélé à la forme unitaire ou fédérale de l’État). En Italie, où la santé relève de la compétence des régions, un récent sondage montre que 50 % des habitants pensent que la question devrait être gérée exclusivement (18 %) ou principalement (32 %) par le gouvernement, tandis que 35 % sont d’avis que ce rôle appartient aux régions, exclusivement (8 %) ou majoritairement (27 %).
En France, l’opinion publique semble sur la même ligne. Selon une enquête réalisée au début de la crise, 57 % des Français jugent que la santé devrait être gérée au niveau national (contre 27 % qui considèrent qu’elle devrait l’être au niveau international et seulement 11 % qui donnent la préférence au niveau local). Rappelons à cet égard que l’une des raisons majeures de la pénurie de masques provient d’une décision de décentralisation prise et reconnue comme telle par Marisol Touraine sur recommandation d’un avis du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale du 16 mai 2013. Il s’agissait alors de s’appuyer non pas seulement sur les autorités déconcentrées de l’État, mais aussi sur les collectivités et les entreprises.
De manière étonnante, le débat sur la régionalisation de la santé semble pourtant se déployer en France en se fondant sur la simple comparaison avec le modèle allemand. Dans la continuité de la note produite par l’Institut Rousseau, nous proposons ici des éléments pour comprendre pourquoi un tel mouvement semble, au vu de la littérature scientifique, et de l’analyse de la crise ailleurs en Occident, relever d’un contresens dangereux. En attendant des données fiables sur l’évolution de pandémie dans chaque pays, deux aspects peuvent faire à ce stade l’objet d’une comparaison : la manière dont la décentralisation affecte l’organisation hospitalière ; et la coordination des États face à la crise.
La crise hospitalière. Une régionalisation qui profite aux territoires les plus riches
Tendanciellement, les études portant sur la décentralisation du système de santé montrent que celle-ci conduit à creuser les inégalités. Les régions les plus riches peuvent investir quand les régions les plus pauvres, de leur côté, réduisent leurs budgets de santé et la qualité des soins ou actent le creusement d’inégalités. L’une des forces de l’Allemagne dans cette crise réside dans le fait que ce sont justement les régions les plus riches qui ont été très majoritairement touchées. Le 25 avril, 20,6 % des cas en Allemagne étaient recensés en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (31 465), la région la plus riche du pays ; 26,6 % en Bavière (40 547), deuxième région la plus riche ; et 19,8 % (30 169) en Bade-Wurtemberg, troisième région la plus riche. En tout, 67 % des malades allemands se concentrent donc dans les trois Länder les plus riches du pays. Là où l’inégalité aurait handicapé l’Allemagne en touchant les Länder les plus pauvres, elle la sert en touchant les plus riches.
L’exemple italien montre que les régions les plus riches ont les moyens d’investir dans un système de santé plus efficace alors que celui des régions les plus pauvres se détériore. Le creusement des inégalités a également été observé en Espagne, où le secteur privé a essentiellement permis aux habitants les plus aisés de pallier les déficiences du système de santé des régions les plus pauvres. Devant un tel phénomène, même une péréquation efficace échoue à résorber les inégalités. Les régions les plus riches, dotées d’un meilleur système de santé, peuvent en effet attirer des patients des régions pauvres prêts à dépenser davantage. Ce phénomène conduit à encore accroître les disparités. Le risque est également de voir se développer une concurrence entre régions pour les praticiens qui, in fine, seraient attirés par les collectivités les plus riches.
Les régions pauvres se voient dès lors confrontées à un dilemme. Elles peuvent augmenter la fiscalité ou faire le choix d’investissements dans les services les plus rentables, ou des activités non directement médicales.
L’idéalisation paradoxale du système hospitalier allemand
Si le système allemand a si bien su absorber l’épidémie, c’est pour les mêmes raisons qui le faisaient apparaître fondamentalement dysfonctionnel quelques mois plus tôt. Un rapport de la fondation Bertelsmann le jugeait alors en grande partie obsolète et dispendieux, conseillant de faire passer de 1 400 à 600 le nombre d’établissements hospitaliers. La proximité et la capacité d’accueil, calculées par ailleurs très différemment de la France en réanimation, se paient en effet, selon l’étude, d’une baisse de la qualité des soins et d’un manque de personnel. Ce qui est un vrai défaut lorsqu’il s’agit de soigner des pathologies exigeant un matériel de pointe et des spécialistes se transforme en atout lors du traitement d’une pandémie qui nécessite essentiellement des lits et des respirateurs.
Le cas allemand est à cet égard assez emblématique des forces et des faiblesses de la régionalisation en matière de santé. Celle-ci ne produit pas seulement des inégalités entre régions, mais également au sein des régions elles-mêmes. En effet, la région a souvent du mal à faire des choix clairs car la complexité des enjeux locaux et la multiplicité des acteurs rend très faible le contrôle démocratique local : les électeurs se sentent peu légitimes à sanctionner les majorités locales sur ce fondement et ne se sentent pas plus satisfaits des politiques menées. L’idée d’un contrôle démocratique, parce que décentralisé, de la politique de santé est battue en brèche par les études. Le seul vrai facteur d’appréciation est celui de l’ultra-proximité des soins, qui peut se payer alors d’une forte perte de qualité, ce qui est le cas en Allemagne.
La gestion de l’épidémie. La cohérence de la réponse
Le 8 mars, Jens Spahn, le ministre allemand de la Santé, recommandait des mesures de confinement. Le 12 mars, c’est le gouvernement suisse qui tentait d’imposer des mesures aux cantons. Dans les deux cas, l’application des mesures fut longue et difficile à faire accepter. La coordination fédérale helvétique a ainsi fait l’objet de critiques importantes dans une nation pourtant très attachée à l’échelle cantonale. Le fédéralisme suisse révélerait ainsi à la fois sa lenteur et ses inégalités.
En Allemagne, les difficultés ont également été nombreuses. Les Länder ont attendu plusieurs jours avant d’appliquer les recommandations fédérales et pris des mesures en ordre dispersé. De manière assez électoraliste, le 10 avril, le ministre-président du Schleswig-Holstein, Daniel Günther, a autorisé les réunions de dix personnes pour Pâques, au risque de relancer l’épidémie. Pour l’édile démocrate-chrétien, le jeu en valait la chandelle… qu’importe la révolte des médecins et des sociaux-démocrates de l’opposition. La pandémie n’a pas créé seulement des oppositions entre l’État fédéral et les entités fédérées, mais également entre ces dernières. Le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale a ainsi procédé à la fermeture unilatérale de ses frontières. Aux États-Unis, l’État de Rhode Island a imposé une quarantaine obligatoire à tous les citoyens américains venant de l’État de New York.
Dans les États régionaux, la gestion de la crise a été rendue également très difficile par la décentralisation. Elle l’a toutefois été moins en Espagne qu’en Italie.
En Espagne, c’est en effet l’État central qui a pris en main l’ensemble du système de santé, au risque de provoquer une crise politique avec les régionalistes basques et catalans dont le gouvernement dépend pourtant au Parlement. Il n’en va pas de même en Italie où la clausola di supremazia prévue par la révision avortée de 2016, qui devait permettre une prise en main par l’État des compétences régionales en cas de manquement, n’a pas été adoptée. C’est l’une des raisons majeures de la crise, selon le professeur Ceccanti de l’Université de Rome. La lenteur de réaction de la Lombardie a largement contribué à faire de cette région l’épicentre de la crise en Europe sans que Rome ait la possibilité de réagir, bien que le gouvernement central soit intervenu auprès des autorités lombardes. Les régions transalpines, comme certaines de leurs homologues françaises, réclament aujourd’hui la fin précoce du confinement. Dans cette configuration, il est clair que le système administratif français – qui permet au gouvernement de prendre des mesures de police administrative pour l’ensemble du territoire qui peuvent, si les circonstances locales l’exigent, être notamment renforcées par le maire, en coordination avec le préfet – se révèle bien moins dysfonctionnel.
En pratique, on a assisté à une centralisation de tous les États devant la crise. Après de premiers errements, le président du Conseil des ministres italien a réussi à centraliser le pouvoir de décision – bien moins, toutefois, qu’en Allemagne ; ce malgré les plaintes de certains Länder, notamment la Bavière. La loi relative à la protection contre les infections a été modifiée le 25 mars, imposant une lecture unique de la conduite à tenir par les Länder. L’Infektionsschutzgesetz permet au ministre de la Santé d’adopter « des dérogations aux dispositions de la présente loi par voie de décret sans l’accord du Bundesrat », soit la chambre représentant les Länder. Certes, la chancelière consulte les ministres-présidents des Länder, mais l’Allemagne fonctionne aujourd’hui dans sa gestion de crise de manière bien plus centralisée que nombre d’États unitaires européen
La mutualisation des moyens
Précédemment dans ce papier a été abordée la question de la disproportion des moyens de santé entre régions riches et régions pauvres engendrée par la décentralisation. En période de pandémie, cette inégalité ne peut être qu’imparfaitement compensée par la solidarité régionale. Dans son édition du 8 avril, La Respublica s’indignait ainsi que les patients et personnels soignants ne puissent être redéployés sur l’ensemble du territoire national comme c’est le cas en France.
Dans l’Hexagone, la polémique sur la réquisition de masques par l’État ne s’explique que si l’on comprend qu’il s’agit d’affecter en priorité ces derniers aux zones les plus touchées par la pandémie. La réallocation de moyens par l’État permet ainsi de compenser les disparités territoriales, qu’elles soient liées à l’équipement initial des régions ou au fait qu’elles se trouvent en première ligne dans la crise. L’absence de centralisation en la matière créée la confusion en Allemagne même, et empêche d’allouer les ressources contraintes selon un ordre de priorité clair. À défaut de vraie coordination fédérale aux États-Unis, six États de la côte Est ont ainsi décidé de mutualiser et de coordonner leur action. De même en va-t-il de trois États de la côte Ouest. Dans The Atlantic, l’éditorialiste Derek Thompson a décrit les effets de la pandémie aux États-Unis jusqu’à présent comme « une sorte de caricature grotesque du fédéralisme américain ».
La décentralisation ne représente donc pas, tant s’en faut, un avantage dans la crise. Les débats français sur ce sujet devraient encore faire l’étonnement et susciter le ricanement de nos voisins qui se débattent dans les difficultés qu’elle entraîne. Cela ne signifie pas que des dysfonctionnements administratifs importants n’ont pas marqué la crise en France. Il ne faudrait toutefois en caricaturer ni les échecs, ni d’ailleurs le degré de centralisation. De fait, les États plus décentralisés ont généralement eu bien plus de difficultés à gérer la crise, et le contre-exemple allemand ne l’est pas vraiment tant il est vrai que dans cette crise ce sont justement ses faiblesses qui ont fait ses forces comme l’a montré cet article.
Par ailleurs, des malades plus jeunes (47 ans en moyenne contre 63 en Italie), le dépistage massif dès janvier, le confinement décidé plus tôt, un plus grand investissement dans la santé ont beaucoup fait pour que la situation demeure moins dramatique et, donc, plus facilement gérable outre-Rhin. La capacité de produire plus rapidement des tests a également joué en faveur de ce pays qui n’a jamais cru dans l’utopie d’une économie de services et été capable de conserver sur son sol national la production d’un certain nombre de biens stratégiques.
L’affaiblissement de notre modèle productif – 90 % de la pénicilline produite en Chine – ou un budget de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) divisé par dix depuis 2007, semblent bien plus expliquer nos difficultés que le manque de décentralisation. Mais le reconnaître impliquerait de remettre en cause certains choix que nombre d’élites politiques ont épousés. Plus de décentralisation apparaît comme une revendication plus confortable. Déjà au programme avant la crise, la décentralisation en devient une solution. L’appel à la décentralisation relève à la fois du réflexe pavlovien et du confort idéologique. « Ne cherchons pas tout de suite à trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru », déclarait Emmanuel Macron dans son discours du 13 avril. Espérons qu’en cette matière comme en d’autres, ces mots soient entendus. »
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