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Eric CAUMES, il y a 1 mois et sans langue de bois: «Nous courons après l’épidémie au lieu d’être dans l’anticipation»


PRESENTATION

Voici un entretien de début octobre que nous n’avions pas voulu publier à chaud.

Avec un peu de recul on saisit certainement mieux les analyses présentées alors avec vivacité et qui conservent leur actualité.

L’infectiologue, qui a publié Urgence sanitaire, n’épargne personne dans cet entretien accordé à  L’Express, ni le gouvernement, ni ceux qui affirment que la crise est finie.

 » Surtout, gardez votre franc parler « , lui avait demandé Emmanuel Macron lors d’une réunion à l’Elysée en mars. Depuis, Eric Caumes respecte scrupuleusement la consigne présidentielle. Chef du service des maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, l’infectiologue a été tout au long de l’épidémie l’une des voix les plus libres et écoutées dans les médias.

L’homme peut être aussi critique sur ses confrères antisystème Didier Raoult ou Christian Perronne qu’envers les autorités.

Dans Urgence sanitaire Eric Caumes se montre fidèle à son style, aussi pédagogique que cinglant. Sans langue de bois, le professeur livre son analyse de l’évolution de la pandémie de Covid-19, évoque les errements français et épingle Didier Raoult, Jérôme Salomon ou Jean-François Delfraissy.

ENTRETIEN

Eric Caumes : « Nous courons après l’épidémie au lieu d’être dans l’anticipation »

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE BENZ ET THOMAS MAHLER · oct. 8, 2020


On constate une fronde grandissante contre les mesures destinées à contenir l’épidémie. Faut-il s’en inquiéter ?

Il y a un problème de perte de confiance qui est absolument catastrophique quand on doit gérer une épidémie en population générale. Et, en même temps, cette défiance s’explique assez bien, avec la multiplication des injonctions paradoxales, le manque de transparence et les incohérences dans le discours des autorités depuis le début de la crise.

Par exemple, le masque était obligatoire en extérieur dans certaines localités pendant l’été, sans réelle justification scientifique. Et, dans le même temps, il n’a été imposé qu’à partir du 1er septembre dans toutes les entreprises, où il est pourtant indispensable. On stigmatise les cafés et leurs terrasses, mais on ne traque pas les clusters là où ils continuent de se former, dans les lieux clos – entreprises, universités, maisons de retraite, hôpitaux… Le gouvernement affirme que les étudiants ne se contaminent pas dans les facs, mais dans les cafés, ce qui paraît difficile à croire quand on voit les images d’amphis bondés.

Savez-vous par ailleurs sur quoi repose la décision de fermer les bars ?


Non…
Sur une étude sur les bars à New York, où il n’y a quasiment pas de terrasses, publiée par les centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies. Rien à voir avec les cultures française, espagnole ou italienne. Je rentre d’un séjour à Florence : les terrasses sont pleines, il n’y a pas de masques dans la rue, mais ils protègent leurs aînés, puisque, pour l’instant, il n’y a pas de reprise épidémique…


De nouvelles figures émergent dans le débat public, comme Jean-François Toussaint, Laurent Toubiana, Laurent Mucchielli, qui, dans la foulée du Pr Raoult, expliquent que l’épidémie n’est pas si grave, et qu’il n’y a pas de deuxième vague…


J’ai placé une citation de Confucius en exergue de mon livre : « Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas : c’est savoir véritablement. » On ne nous apprend plus à connaître les limites de nos compétences. Ces personnes s’expriment sur des domaines qui sortent de leur champ de compétence car ils ne sont pas spécialistes de maladies infectieuses.

Mais ils sont portés aux nues par certains médias, car ils tiennent le discours que les gens ont envie d’entendre. C’était le même problème avec Didier Raoult : il est compétent en microbiologie, mais pas dans la conception d’essais cliniques. Je suis déçu, d’ailleurs, qu’il ne s’arrête pas avec cette histoire d’hydroxychloroquine. Il ne reconnaîtra jamais son erreur. Et il en rajoute en disant que l’épidémie se termine. Il a besoin de
garder les projecteurs braqués sur lui.

C’est quand même un grand mégalo, qui n’aurait pas laissé Freud indifférent.


Quelle est votre analyse de la situation actuelle ?


Le plus frappant, c’est la très grande disparité régionale, qui oblige effectivement à avoir une gestion localisée. A Marseille, on constatait un plateau avant même la fermeture des bars. A Paris, l’augmentation est jusqu’à maintenant certaine, alors que nous sommes déjà à un haut niveau. Mais elle est tellement lente et progressive qu’il paraît toujours possible de renverser la vapeur. Au global, le R, l’indicateur qui mesure la tendance de l’épidémie, est actuellement assez proche de 1. On peut le faire repasser en dessous de ce seuil, et, dans ce cas, la situation sera contrôlable.


Les réanimations ne seront pas saturées, et nous pourrons continuer à prendre en charge les autres pathologies. Les cancérologues craignent par exemple de 5 000 à 10 000 décès supplémentaires par cancer dus au retard de prise en charge. Et encore, ces chiffres sont optimistes. Leurs homologues anglais ont des projections qui vont jusqu’à 40 000 patients décédés en excès, du fait de l’épidémie.


Vous ne croyez pas à un nouveau confinement ?


Sur le plan économique, c’est irréaliste. Mais, sur le plan médical, c’est le virus qui dicte sa loi. Je pense qu’un reconfinement généralisé est peu probable, mais au niveau local, cela reste possible. La courbe des admissions en réanimation n’est pas exponentielle comme en mars, mais si elle continue sur la même tendance, nous serons dans le mur non pas dans quinze jours, mais dans un à deux mois selon les experts. Et tous les malades en pâtiront, Covid ou pas Covid.


Donc les pouvoirs publics n’en font pas trop, contrairement à ce qu’affirment des figures comme Nicolas Bedos ou Laurent Mucchielli ?


C’est très difficile de trouver le juste milieu pour des pouvoirs publics, vite accusés d’en faire trop, ou, au contraire, d’avoir négligé le danger. Mais, pour moi, la question ne se situe pas là. Il s’agit avant tout de prendre les bonnes décisions. Même pendant le confinement, il aurait certainement fallu garder des hôpitaux non-Covid, pour continuer à traiter les malades du cancer, par exemple. Ne garder qu’un numéro unique, le 15, pour le Covid et toutes les autres urgences a été une erreur, la saturation du 15 a entraîné de tels délais d’attente que cela a dû avoir un retentissement sur les décès par AVC ou infarctus de personnes qui n’ont pas pu être prises en charge à temps. Et, pour l’instant, les leçons du mois de mars ne semblent toujours pas avoir été retenues. Nous continuons de courir après l’épidémie au lieu d’être dans l’anticipation. Comment est-il possible, par exemple, de voir encore des clusters dans les entreprises, les établissements de santé et les Ehpad ? C’est incompréhensible.


Que faudrait-il faire ?


Mais y aller ! Dès que vous avez un cas dans un établissement médico-social, ou une maison de retraite, vous envoyez une
équipe mobile pour dépister tout l’établissement. A un moment cela s’est fait, puis quelqu’un a décidé que cela ne servait à rien. Vous rendez-vous compte ? Dans des structures qui reçoivent des personnes fragiles ? On ferait mieux de bien dépister dans les endroits où des clusters peuvent se former à tout moment, plutôt que mal partout, là où le virus ne circule pas intensément. Pourquoi ne pas imaginer, même, un dépistage par semaine dans ces lieux à risque ? Ce serait toujours mieux que le gaspillage actuel. On ne peut pas continuer à avoir des tests en accès libre, ce n’est pas à l’Assurance-maladie de payer pour les personnes qui souhaitent voyager à l’étranger ou se rassurer. Les tests auraient dû rester sur prescription médicale, car l’accès libre n’a pas permis d’améliorer la situation. Au contraire ! On perd trop de temps : le délai pour se faire dépister est de trois jours après l’apparition des symptômes, c’est déjà trop tard ! Sans compter le temps d’attente pour récupérer le résultat. Bilan : le contact tracing intervient trop tardivement. Il faudrait sans doute même imaginer des brigades pour aller tester à domicile les personnes symptomatiques qui pourraient s’autoisoler dès les premiers symptômes avant d’avoir leurs résultats.


Dans votre livre, vous vous montrez très critique envers Jérôme Salomon, Olivier Véran ou encore Jean-François Delfraissy…


Ah ! les médecins qui font de la politique… Ils me semblent y perdre leur âme. Les deux premiers ont menti sur les masques et les tests. Ils sont quand même largement responsables de la perte de confiance actuelle, qui empêche de faire passer les bons messages. Jean-François Delfraissy était un spécialiste de la recherche sur les traitements du sida. Est-ce la bonne personne quand on doit gérer en priorité la prévention d’une épidémie ? Début mars, les essais thérapeutiques étaient prêts, alors que la stratégie pour freiner l’épidémie cafouillait. Pour moi, le point d’orgue a été la rencontre organisée à l’Elysée autour d’Emmanuel Macron, le 5 mars, avec quelques chercheurs et des capitaines d’industrie, à laquelle j’avais également été convié. Comme je le raconte, à ce moment, l’épidémie était déjà considérée comme « inarrêtable et inexorable », et, ce jour-là, il a surtout été question de tests diagnostiques, de traitements et de vaccins, à propos d’une maladie dont on savait encore peu de choses ! Résultat, avec l’essai Discovery, on s’est précipité, et on s’est retrouvé à tester des antiviraux inefficaces sur des patients atteints de « tempêtes immunitaires ».

Dans mon service, je peux vous assurer que nous avons vite arrêté pour les mettre sous corticoïdes. Avec la bonne dose de ces médicaments, mais aussi gràce à des anticoagulants et à l’amélioration des techniques de réanimation, moins invasives qu’au début, le taux de mortalité a baissé de 50 % en réanimation.


Comment expliquez-vous ce ratage des essais ?


On a privilégié la science au détriment du bon sens et de l’observation clinique. En France, on a abandonné la prévention et la santé publique pour le curatif et les médicaments. Peut-être parce que la prévention ne rapporte rien aux laboratoires pharmaceutiques. Un préservatif ou un masque, cela ne coûte effectivement pas grand-chose !

Et chez nous, contrairement à la Grande-Bretagne où tout le monde a roulé dans le même sens, il y a aussi eu une cacophonie, chacun y allant de son petit essai. On a même ajouté l’hydroxychloroquine dans un bras de Discovery pour faire plaisir au président, alors que personne ne s’est intéressé aux corticoïdes ou aux anticoagulants, bien plus utiles pour les cas graves.


Regrettez-vous les propos que vous avez tenus sur les jeunes, que l’on devrait laisser se contaminer ?


Ne réécrivons pas l’histoire. Disons que dès le mois de juin les pouvoirs publics n’ont rien fait pour les en empêcher, mais sans l’assumer. J’en ai fait le constat en août. Il faut aussi savoir qu’en augmentant l’immunité dans une partie de la population, on réduit la circulation générale du virus. Cela devient plus compliqué au retour de vacances, quand les jeunes retrouvent leurs parents, et plus encore en hiver, dans les lieus clos. Il faut insister sur la protection des personnes à risque : mettre un masque y compris dans le milieu familial, éviter les dîners si l’on ne peut pas rester en terrasse, limiter sa bulle sociale à dix personnes par semaine…


Certains disent encore que les masques sont liberticides…


Tant qu’il n’y a pas de vaccins ou de médicaments, nous serons obligés de porter un masque. Cela pourrait durer encore des années. C’est un effort de solidarité et d’altruisme, qui est naturel dans les sociétés confucéennes, mais que nous avons sans doute un peu perdu.

Malheureusement, nous sommes dans une société de plus en plus individualiste et égoïste. Nous ne portons pas le masque seulement pour nous protéger, mais aussi et surtout pour protéger les autres. C’est le même principe qu’avec la vaccination.


Il va donc falloir apprendre à vivre avec le virus…


Oui, incontestablement. Il y a quatre coronavirus qui se sont implantés parmi nous depuis des décennies. Puis deux très dangereux : le Sars, qui a disparu car il était facile à repérer, et le Mers-CoV, qui est dans sa niche de la péninsule Arabique, mais peut en sortir. Ce septième coronavirus va rejoindre la bande des quatre et circuler jusqu’à la fin de nos jours.

D’autres vont d’ailleurs apparaître, il ne faut pas se faire d’illusion. Mais si l’on se referme complètement, comme en Thaïlande qui est pourtant un pays très dépendant du tourisme, c’est reculer pour mieux sauter. Si des traitements ou des vaccins arrivent rapidement, ce sera le bon choix. Mais, dans le cas contraire, ces pays ne pourront pas vivre repliés sur eux-mêmes pour l’éternité, à un moment ils seront rattrapés. L’enjeu, c’est d’arriver à contenir suffisamment la circulation du virus pour que la population s’immunise peu à peu tout en évitant la saturation du système de santé et une explosion des décès, et en espérant l’arrivée rapide d’un traitement ou d’un vaccin. C’est très compliqué, mais on peut y arriver.


Etes-vous optimiste ?


Disons que si nous n’y arrivons pas, c’est que nous sommes vraiment très mauvais. Il faut peut-être changer certaines personnes pour retrouver de la confiance, surtout si nous devions reconfiner, ce qui serait un aveu d’échec. Mais la vérité, c’est qu’aujourd’hui personne n’a de vision au-delà de quinze jours. On ne sait pas, tout simplement.

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