
« Si Foucault n’était pas mort, il aurait fini, comme dans mon rêve, par passer aux aveux. »
« Robert Redeker, professeur agrégé de philosophie et auteur de plusieurs essais, imagine une discussion contemporaine avec Foucault, qui serait toujours en vie.
Extrait:
En pratiquant la politique de la terre brûlée, Foucault a préparé la tyrannie actuelle du politiquement correct, le despotisme des minorités sociétales.
Après un moment de silence, il ajouta : « les indigénistes, les intersectionnalistes, les islamo-gauchistes, les néo-féministes misandres, sont mes enfants, plus ou moins légitimes.
Leurs idées proviennent du grand incendie que j’ai allumé. Je ne voulais pas cela, je les renie ».
Voici quelques unes des nos publications évoquant le philosophe Michel FOUCAULT:
https://metahodos.fr/2020/04/12/penser-vivre-et-partager-lenfermement-avec-5-philosophes/
https://metahodos.fr/2020/05/23/le-retour-a-lordre-ne-doit-pas-negliger-lideal-democratique/
ARTICLE
« J’ai volé le feu aux dieux pour allumer l’Apocalypse de l’Occident » : le (presque) vrai testament de Michel Foucault
Marianne – Robert Redeker- 22/12/2020
Un songe me surprit une nuit récente, par grand vent d’autan. Tenons-en le récit pour un exemplaire du genre uchronique – ce jeu de l’esprit, formalisé par un philosophe qui vécut au XIXème siècle, Charles Renouvier, consistant à décrire ce qui se serait passé en modifiant par hypothèse un événement historique.
Par exemple, si Louis XVI n’avait pas été arrêté à Varennes. Ou, si le général De Gaulle avait été tué dans l’attentat du Petit-Clamart. Notre histoire eût été fort différente, n’est-ce pas ? Ou, plus amusant : si la couronne avait glissé à terre des mains de Napoléon, le jour de son sacre. Voici ce rêve.
FOUCAULT ET SARTRE
Michel Foucault, le célébrissime philosophe, n’est pas mort en 1984, contrairement à ce qu’affirme sa biographie officielle. Théâtre, comédie, parodie : il a soigneusement mis en scène sa fausse mort cette année-là, sur les tréteaux médiatiques, afin de mieux cacher la réalité : converti au catholicisme par son ami, père jésuite de son état, Michel de Certeau, il avait décidé de se retirer du monde en un monastère de Castille, du côté d’Avila et ses terres lunaires, où gambadèrent un jour de fugue d’enfance la future sainte Thérèse et son frère, d’y vivre le reste de son âge dans l’anonymat, la pauvreté, l’humilité, et la chasteté.
Un pays de loups et de vent. Sa mort mise en scène était une façon de dire adieu au monde. Mais aussi à sa philosophie. Foucault s’éclipsa du monde également pour un autre motif : il commençait à mesurer les conséquences délétères de ses erreurs d’analyse et de ses engagements politiques. Après une longue traque, digne d’un roman policier, mi-journaliste et mi-détective, je finis par le repérer et par obtenir de pouvoir converser avec lui une petite heure.
Être Sartre ou rien – cette alternative lança Foucault dans la vie intellectuelle. Il m’a parlé de sa rivalité avec Sartre, véritable source d’un grand nombre de ses erreurs. Il n’y avait pas au monde plus doué que Sartre pour se tromper. Chercher à être plus fort que lui, à entrer en compétition avec lui, revenait à faire courir les plus grands risques à la vérité, au bon sens, à la raison. Cette rivalité était une passion qui les aveuglait l’un et l’autre
« La gloire de Sartre me faisait rêver »
« Nous étions, Sartre et moi, me confessa-t-il, tels deux coqs de combat bmbant le torse, lui l’ancien moi le jeune, chacun voulant éliminer l’autre de la scène. Cette rivalité de cour de récréation nous poussa tous les deux dans une surenchère permanente, vers l’extrémisme et l’apologie de la violence politique, parfois du terrorisme, vers la défense de causes douteuses, sous couvert de justice. Je choisis de lutter contre lui en me plaçant sur un terrain parallèle au sien. L’enjeu de notre combat parallèle était l’influence, c’est-à-dire au fond la direction spirituelle, sur les foules supposées se révolter. Tous les deux nous pensions qu’on a toujours « raison », comme y insistait Sartre, de se révolter. Sartre prenait les foules sur lesquelles il exerçait son influence dans leur ensemble – qu’il appelait le prolétariat, ou les masses -, quand moi, je les divisais, je les sectionnais, je prenais les homosexuels, les détenus dans les prisons, les malades mentaux, les criminels, les sans-papiers, les délinquants, les marginaux de tout poil « spécifiquement ».
Ce mot me dicte un devoir d’interdiction: à ne pas intégrer dans un plan d’ensemble, un horizon de synthèse, toutes choses que Sartre appelait la révolution.
Au fond, quand Sartre était du côté de la révolution, j’étais de celui de la subversion. Et je précise : de la subversion continuée, interminable. J’étais animé par un vitalisme de la subversion : la subversion c’est la vie ! D’où ce vitalisme me vint-il ? Peut-être de l’un des penseurs m’ayant le plus marqué, le philosophe-médecin, le biophilosophe, Georges Canguilhem ?
J’aurais, dans ce cas, transposé à la subversion et la révolte, le vitalisme originellement purement biologique ! J’étais animé également par une morale immoraliste : la subversion, à commencer par celle de la morale, c’est le bien. C’est pourquoi Sartre fut un intellectuel généraliste, à l’ancienne, tandis que moi, je fus un intellectuel spécifique, renonçant à tout universalisme réconciliateur. Je fus même le premier en date des intellectuels spécifiques.
La gloire de Sartre me faisait rêver. Je l’enviais. Elle me tournait la tête. En fait, plus que sa gloire, c’est son magistère que j’enviais. Je le jalousais, tout en admirant l’autorité de sa parole magistrale Ce n’est pas sa parole que j’admirais, non, c’était l’autorité de cette parole. Dans cette insatiable envie j’identifie ma passion motrice. Sartre avait réussi à substituer son magistère à celui, dont la solidité tenait depuis des siècles, de l’Église. La parole de Sartre avait autant d’écho auprès d’immenses foules que celle du Pape. Il était pris plus au sérieux que Jean XXIII et Paul VI, ses contemporains. Cette parole relevait – paradoxalement – de la direction spirituelle.
Elle était du même style, bien que la foi fût différente. De fait, Sartre exerçait cette fonction collective qu’Auguste Comte « le pouvoir spirituel », qu’il avait dérobé à l’Église. Un peu, comme chez Platon, dans le mythe de Prométhée et d’Epiméthée, inséré dans le Protagoras, Prométhée vole par ruse aux dieux le secret des arts.
Sartre avait toute l’insolence de Prométhée. Je voulais lui dérober à mon tour ce magistère, ce pouvoir, le lui voler. J’y parvins. Et mon magistère, grâce auquel je rayonnais sur toute la planète, depuis la plus haute place de la pensée, depuis l’Amérique et le Collège de France, eut toute la beauté du paradoxe : ce fut le magistère universel de l’intellectuel spécifique. Le magistère universel pour revendiquer les droits du spécifique, pour favoriser le morcellement. L’autorité de ma parole supplanta l’autorité de celle de Sartre. L’insolent Prométhée, c’était moi, enfin !
« J’ai allumé le grand incendie de l’Occident, celui qui brûle encore à travers la tyrannie du politiquement correct »
Dans la traîne festive et pleine d’ivresse de l’après-68, je me fis le porte-parole et l’accélérateur de toutes les libérations, de toutes les contestations, de toutes les démolitions. Je le fis dans une maximalisation permanente.
L’impératif s’imposait, comme une course à l’abîme : il fallait chaque jour aller plus loin dans la dissolution du monde ancien. De ses valeurs. De ses institutions. De ses structures. Il fallait en finir avec l’hôpital, l’asile, la prison, l’école, l’armée, la police, l’Occident, l’homme blanc bourgeois euro-américain. Tout ce qui pouvait contribuer à la destruction de ces instances me semblait bon à encourager. Cette traîne était dionysiaque.
Semblable aux processions des possédés de Dionysos dans l’Antiquité grecque. Elle eut quelques autres prêtres, dont Gilles Deleuze et Jean-François Lyotard, son Vatican et sa Mecque, l’université de Vincennes. Elle ne respectait rien ni personne ; sauf ses prêtres, dont j’étais le plus intouchable. J’étais porteur de thyrse et bacchant en tête de ces colonnes semant le délire et la destruction joyeuse sur leur passage.
C’est ainsi que je me fis incendiaire. Je me voulus incendiaire. J’ai allumé le grand incendie de l’Occident, celui qui brûle encore à travers la tyrannie du politiquement correct. J’ai voulu que l’Occident se changeât et en ruines et en cendres. Pour satisfaire cette volonté j’ai attisé tous les feux.
Jusqu’à glorifier le régime des ayatollahs. J’ai voulu que l’Occident se consumât en cendres au brasier de la vérité que mon œuvre avait écrite. « Mon corps, ce papier, ce feu », ai-je dit dans L’Histoire de la folie. Ainsi se manifestait le fond apocalyptique de mon âme. Je voulus être l’Apocalypse de l’Occident : son incendie et la révélation de sa vérité.
O mon infini orgueil : je voulus être ce qu’est à saint Jean l’Apocalypse. J’ai volé le feu aux dieux pour allumer l’Apocalypse.
Il y a dans toute mon œuvre une sorte de parti pris systématique pour les marges et le dehors, qui échappe à la raison. C’est le choix du fou. J’ai dit, en 1988, que « mes livres ont toujours été mes problèmes personnels avec la folie, la prison, la sexualité ». C’est toujours le parti pris de l’autre. De la subversion du même par l’autre.
L’autre, dans mes livres, n’est jamais jugé, alors que le même l’est par principe, depuis le point de vue de l’autre. Sur le même, l’Occidental blanc, le bourgeois, les institutions, plane une culpabilité par essence qui est une version athée du péché originel dont l’autre est innocence (là gît mon catholicisme caché, que Certeau avait flairé inconsciemment). Culpabilité du même, innocence de l’autre. Dans toute mon œuvre, c’est, implicitement, l’autre qui juge le même.
Je l’ai dit cent fois, je le répète aujourd’hui : mes livres sont autobiographiques. Ils expriment le combat intérieur de ma dualité. Cette « guerre intestine » présente en tout homme, dont parle Pascal. Ce même et cet autre, cet Occidental raisonnable blanc et ce fou, c’est moi. Je suis le même et l’autre. Je suis les deux. D’où mes livres. Et finalement, mes livres et mon militantisme, sont intérieurs : Michel (l’autre) juge de Foucault (le même, le blanc occidental). Dans cette guerre intestine mes folies trouvent leur berceau : soutien aux délinquants, aux terroristes, au régime iranien, exigence de dépénalisation des rapports sexuels entre un adulte et un moins de quinze ans. »
FOUCAULT ET LA TERRE BRÛLÉE
L’intelligence et la plume de Foucault sont pyromanes. Tous ces petits incendies, par lesquels il ravage les institutions de la France de la Vème république, de la France des 30 glorieuses, gaullo-pompidollienne puis giscardienne, convergent vers le grand incendie secrètement espéré par le philosophe, l’incendie de l’Occident. Ce secret espoir seul, inavoué et inavouable quoique présent comme une nappe souterraine à chacune de ses pages, explique, après avoir appelé Khomeiny « le saint homme exilé à Paris », son ralliement à la révolution des ayatollahs ! Bien au-delà des seules institutions, Foucault entendait détruire l’homme qu’elles prétendaient éduquer, construire, punir, surveiller et corriger : l’homme de l’humanisme occidental, le socle anthropologique du ménagement occidental du monde, le sujet.
L’incendie se propage aussi à l’homme et au sujet – le livre, publié en 1966, Les Mots et les Choses, où surgit le verdict de « la mort de l’homme », a quelque chose du bûcher.
En pratiquant la politique de la terre brûlée, Foucault a préparé la tyrannie actuelle du politiquement correct, le despotisme des minorités sociétales. Après un moment de silence, il ajouta : « les indigénistes, les intersectionnalistes, les islamo-gauchistes, les néo-féministes misandres, sont mes enfants, plus ou moins légitimes. Leurs idées proviennent du grand incendie que j’ai allumé. Je ne voulais pas cela, je les renie ».
« Si Foucault n’était pas mort, il aurait fini, comme dans mon rêve, par passer aux aveux »
Il le reconnut : il n’était pas pour rien dans l’état disloqué, liquide, divisé, irréconciliable, de la société contemporaine. L’École s’affaissa dans un champ de ruines dont il se lamenta. Sur cette palinodie nous nous quittâmes. Notre heure commune touchait à sa fin. Je me retournai une dernière fois, alors que le vent d’autan redoublait d’une ardeur à arracher les morts de leur tombe, manquant de me réveiller : apparition s’éloignant dans la nuit, Foucault restait magnifique, son crâne dégarni et sa robe de bure signant son génie d’une allure seigneuriale.
Si Foucault n’était pas mort, il aurait fini, comme dans mon rêve, par passer aux aveux.
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