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« NAUFRAGE DÉMOCRATIQUE » ? (QUÉBEC)

«Aucune réforme n’est plus urgente et n’a plus de potentiel que celle du mode de scrutin, qu’a malhonnêtement abandonnée par populisme François Legault», écrit l'auteur.

ARTICLE

Le naufrage démocratique

Georges Mercier. LE DEVOIR – Article proposé par nos lecteurs

L’auteur est doctorant en science politique à Sciences Po Paris et à l’Université de Montréal. 3 octobre 2022. IDÉES

Il est tout à fait normal et souhaitable que, dans une démocratie libérale telle que la nôtre, les individus soient divisés sur des questions politiques substantielles, comme les niveaux appropriés de taxation ou la forme que devrait avoir notre système de santé. La plupart du temps, les meilleures solutions émergent de ce jeu entre nos intérêts divergents : elles sont les synthèses de multiples compromis et changements. Ce sur quoi toutefois les individus, en démocratie, ne peuvent pas être divisés, ce sont les règles procédurales qui régissent leur démocratie : les politiques prises en démocratie sont toujours discutables, mais la démocratie elle-même devrait être indiscutable.

Dans notre demi-pays fatigué de ses rêves, il apparaît au contraire que nous ne nous intéressons pas outre mesure à notre démocratie. Nous acceptons sans mot dire que celle-ci soit une véritable farce, tant notre mode de scrutin tend à créer des gouvernements illégitimes. Illégitimes ? Nous ne pouvons pas considérer autrement un gouvernement qui obtient 100 % du pouvoir avec à peine 40 % des suffrages. Si l’on se fie aux projections actuelles (Qc125 accordait dimanche 39 % à la CAQ avec une marge de plus ou moins 5 %), nous risquons de revivre en pire l’injustice de 2018. Selon ce calcul, la CAQ obtiendrait 93 sièges (entre 78 et 102 sièges) sur 125 à l’Assemblée nationale. Pourra-t-on, alors, sincèrement parler de démocratie — du pouvoir par et pour le peuple (Lincoln) — dans les quatre prochaines années ?

Le terme serait certainement abusif. La représentation réelle des voix sera pratiquement inexistante. Au contraire, 40 % de la population dictera, finalement, l’avenir de la véritable majorité restante, comme ce fut le cas, lois passées sous bâillon et dans l’urgence aidant, ces dernières années. Et pourtant, nous agissons comme si tout était parfait dans le meilleur des mondes.

Notre premier ministre, pour sa part, en a parlé comme d’une « affaire d’intellectuels », au motif que « y a personne qui se bat dans les autobus pour changer le mode de scrutin ». Certes, nos concitoyens sont affligés par des problèmes qu’ils jugent — et c’est tout à fait compréhensible — sur le moment plus urgents : inflation, coût de la vie, crise écologique, « immigration », etc. Nous ne pouvons pas raisonnablement nous attendre à ce qu’une obscure réforme du mode d’élection de nos représentants triomphe sur la difficulté réelle de payer ses factures mensuelles ou d’acheter des fruits à ses enfants. Nous ne pouvons pas demander à nos concitoyens, pris pour la plupart dans l’aliénante réalité du travail contemporain, qu’ils s’érigent au-dessus de leurs problèmes immédiats pour s’occuper de ce genre de chose.

Mais nous pouvons et nous devons demander à nos politiciens qu’eux et elles s’élèvent au-dessus de l’immédiateté du présent pour corriger l’avenir. La véritable politique se réalise dans un horizon de dizaines d’années, pas simplement pour « continuer » à gérer le train-train quotidien. Les grands leaders, justement, sont souvent ceux qui lèguent des institutions durables à leurs concitoyens — ceux qui leur font, réellement, le cadeau de l’avenir. En cette matière, aucune réforme n’est plus urgente et n’a plus de potentiel que celle du mode de scrutin, qu’a malhonnêtement abandonnée par populisme François rLegault.

D’une part, les immenses défis du présent supposent tous des solutions politiques et collectives. Il est assurément absurde de s’attendre à ce que les failles de notre système d’éducation soient réglées par des initiatives limitées, ou que les bouleversements climatiques soient enrayés par la bonne volonté des comportements individuels des consommateurs. D’autre part, si ces solutions collectives veulent obtenir l’assentiment de la population, tous ses membres doivent s’y sentir représentés et intégrés.

Pour ce faire, nous requérons une Assemblée nationale qui reflétera adéquatement les intérêts de toutes les franges de la population québécoise, où, surtout, les voix de tous les membres de notre population compteront également. Nous ne pouvons plus nous résigner à la domination de la minorité sur la majorité — les enjeux sont trop importants.

Cependant, ces enjeux de représentation et d’institution sont complexes et difficiles. Ils paraissent bien lointains par rapport à la difficulté, par exemple, de payer son loyer ou de rembourser son hypothèque. Nos politiciens véritables devraient dès lors se rendre dignes du devoir pédagogique d’expliquer à tous leur nécessité. Ils devraient nous montrer la nécessité d’une meilleure représentation, justement pour créer des solutions qui refléteront mieux les intérêts et les ambitions de tous. Seulement ainsi pourrons-nous être certains que notre démocratie est plus qu’un mot sympathique qui nous permet de narguer les autres « autoritaires ». Seulement ainsi pourrons-nous regagner confiance dans la chose publique et collective.

Si nous ne faisons rien, si nous tolérons que cette campagne se termine dans l’indifférence par rapport à la réforme du mode de scrutin, nous accepterons la faillite de la démocratie qui se profile à l’horizon de nos espoirs bientôt déçus. Lorsque les grands faillissent, il est du devoir des petits de sortir des facilités du présent pour réclamer un soudain et énergique changement de cap. Sinon, nous n’aurons que nous-mêmes à blâmer. Sinon, nous accepterons que se poursuive notre naufrage démocratique.

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