
Dictionnaire des clichés littéraires d’Hervé Laroche
« Pour notre plus grand bonheur, HERVÉ LAROCHE n’a pu réprimer son ardent désir de tirer la sonnette d’alarme sur une épidémie qui contamine la littérature », écrit Youness Bousenna dans un article récent de Télérama.
« La première édition de 2003 étant épuisée, poursuit il, ce lecteur invétéré a repris son travail d’orfèvre pour présenter un DICTIONNAIRE DES CLICHÉS LITTÉRAIRES augmenté d’une centaine d’entrées. Savoureuse, cette extension du domaine du cliché nous en présente cinquante nuances qui raviront petits et grands. Ici, les mystères sont insondables, le soleil darde ses rayons et la tension est inévitablement palpable… Qu’est-ce qu’un cliché, au fait ? « Une forme de la permanence littéraire », répond notre traqueur du mauvais goût ordinaire : « Par définition, un cliché n’est pas créatif, et si une formulation est créative, ce n’est pas un cliché. »
Voir par ailleurs l’article du même auteur de Chroniques ! 50 chefs-d’œuvre de la littérature vus par la presse, repris ci contre.
ARTICLE
Balzac, Stendhal, Flaubert… Quand la critique dézinguait leurs chefs-d’œuvre
Youness Bousenna 21/12/22 TELERAMA
Autres temps, autres mœurs : des classiques de la littérature française comme “Le Rouge et le Noir”, “Madame Bovary” ou encore “Voyage au bout de la nuit” furent, à leur sortie, décriés par la critique, nous rappelle RetroNews, le site de presse de la BnF.
RetroNews, le site de presse de la BnF, offre un recueil savoureux et richement illustré explorant la réception de cinquante chefs-d’œuvre de la littérature par la presse. Qui n’a pas toujours été tendre : la preuve à travers cinq classiques signés Balzac, Flaubert, Colette, Stendhal et Céline.
“Le Rouge et le Noir”, une “honteuse production”
La honte pour un lettré serait aujourd’hui de ne pas avoir lu l’œuvre de Stendhal. La Gazette de France, elle, voit en 1830 l’épopée du romantique Julien Sorel comme une « honteuse production », et invite sarcastiquement Stendhal (pseudonyme d’Henri Beyle) à changer « encore une fois de nom, et pour toujours de manière et de style ». Le Journal des débats est lui aussi rebuté par l’œuvre, et plus particulièrement par le cynisme de Stendhal dans la dissection des passions : « Jamais on n’aimera l’auteur qui vous aura gâté toutes vos illusions, qui vous aura montré le monde trop laid, pour que vous osiez désormais l’habiter sans pâlir. » Ô temps, ô mœurs !
“Illusions perdues”, cette “horrible épopée”
La presse n’est pas plus amène avec un autre des canoniques romans du XIXᵉ siècle. Il faut dire que Balzac a donné le bâton pour se faire battre : Illusions perdues (1837-1843) raconte l’ascension ratée de Lucien de Rubempré, provincial rêvant d’être écrivain et finissant par se corrompre dans la presse. Jugez plutôt : « Quelle horrible épopée » (Le Charivari) ; « À force d’être le plus fécond des romanciers, l’auteur de La Vieille Fille a fini par en devenir le plus stérile. […] M. de Balzac est mort ; son ombre seule subsiste » (Le Figaro) ; « une satire, dont l’amertume fait tort même à ce qu’elle renferme de vrai » (La Quotidienne). Le corporatisme est aussi vieux que la corporation… Que Balzac se rassure : Maupassant connaîtra la même mésaventure avec Bel-Ami (1885), lui aussi acerbe sur le journalisme.Lire aussi : De “Illusions perdues” à “Eugénie Grandet”, le casse-tête des adaptations de Balzac5 minutes à lire
L’“indécis, incorrect, vulgaire” “Madame Bovary”
La critique du XIXᵉ siècle est obsédée par les mœurs. L’incontournable Madame Bovary (1857) y échappe moins que d’autres, puisque le récit de l’ennui provincial d’Emma a valu à Flaubert un procès pour outrage à la morale. Une partie de la presse attaque le sujet du roman et son réalisme. Le Constitutionnel voit dans Flaubert un art de « second ordre ». Le grand critique Sainte-Beuve, lui, regrette que « le bien [soit] trop absent » de ce roman plein d’ordure, tout en y reconnaissant un renouvellement littéraire. Quant au Figaro, son compte rendu s’acharnera sur l’œuvre. « Le style est indécis, incorrect, vulgaire », s’emporte le quotidien. Qui conclut : « M. Flaubert n’est pas un écrivain. » Oui, vous avez bien lu.
“Le Blé en herbe”, roman d’une femme “instinctive”
Le sujet du Blé en herbe (1923), où Colette met en scène l’éducation sentimentale et sexuelle de deux adolescents, est « scabreux », dixit le réactionnaire L’Action française. Soutenue par Les Modes de la femme de France, qui y voit un « très grand génie », elle sera attaquée sur une base ouvertement misogyne par Les Annales politiques et littéraires : si le roman est déficient, « c’est que Colette est femme avant tout, c’est-à-dire instinctive, et que ses œuvres manquent presque toujours de cette construction que nous exigeons lorsqu’il s’agit d’une œuvre d’art ». Mais la force du roman emportera même L’Action française. Car, aussi scabreux soit le sujet, le quotidien monarchiste et antisémite y voit un « tour de force » dans la description des « jeunes gens de 1923 ». Le journal de Charles Maurras qui valide Colette : en voilà une « divine surprise ».
Lire aussi : Le génie littéraire est-il un homme comme un autre ?
“Voyage au bout de la nuit”, un livre “extrêmement faible”
Tout lettré du XXIᵉ siècle considère que la littérature du siècle précédent a commencé avec Proust, Kafka, Joyce et Céline, dont le Voyage au bout de la nuit (1932) est écrit dans une langue unique, donc forcément polémique. Le Petit Parisien se demande même s’il s’agit de littérature, lui qui y voit une écriture chargée « de toutes les saletés, de toutes les ordures du troupeau humain ». Un critique de la Revue de Paris est encore plus virulent : « C’est un roman extrêmement faible. On y marche éternellement dans l’ordure […]. Le livre ennuie. […] Il donne la nausée, mais il reste fade. » Beaucoup reconnaissent tout de même la valeur littéraire du roman. Pressenti pour le Goncourt, il n’aura que le Renaudot. Le premier ira à Guy Mazeline pour Les Loups… Preuve qu’il n’existe qu’un seul juge en littérature : le temps.
À lire
Chroniques ! 50 chefs-d’œuvre de la littérature vus par la presse, coéd. Flammarion-RetroNews, 240 p., 25 €.