
Le véhicule législatif choisi par l’exécutif limite les débats parlementaires
et de faire adopter le texte en cinquante jours maximum grâce à un article de la Constitution jamais invoqué dans la Ve République pour un texte de cette ampleur. Les oppositions s’insurgent et des constitutionnalistes s’interrogent.
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RISQUE D’INCONSTITUTIONNALITÉ DE LA PROCÉDURE D’ADOPTION DE LA RÉFORME DES RETRAITES ? ( 2 ) https://metahodos.fr/2023/01/25/risque-dinconstitutionnalite-de-la-procedure-dadoption-de-la-reforme-des-retraites-2/
RETRAITE : Risques d’inconstitutionnalité et risques démocratiques – Très forte marginalisation du débat parlementaire https://metahodos.fr/2023/01/20/retraite-risques-dinconstitutionnalite-et-risques-democratiques-tres-forte-marginalisation-du-debat-parlementaire/
ARTICLE
Réforme des retraites : qu’est-ce que l’article «47-1», ce «49.3 low cost» décrié par l’opposition ?
par Damien Dole 24 janvier 2023 LIBERATION
La macronie pourrait avoir trouvé une nouvelle arme d’évitement politique avec un article de la Constitution surtout connu des profs de droit : le 47-1. Il permet de circonscrire à cinquante jours maximum l’examen d’un texte, en l’espèce celui de la réforme des retraites, présenté en Conseil des ministres ce lundi. Et en outre s’éviter un vote compliqué à l’Assemblée, entre des députés LR divisés et une majorité relative qui se demande toujours si elle fera le plein. Une utilisation du 47-1 «pour un texte de cette importance» serait «totalement inédite dans notre histoire parlementaire», selon le maître de conférences en droit public Benjamin Morel.
Que dit la Constitution ? Tout d’abord que le 47-1 s’applique – uniquement – dans le cadre d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), «dans les conditions prévues par une loi organique». Cela tombe bien, c’est le véhicule législatif (un «PLFSS rectificatif» pour être très précis) choisi par l’exécutif pour faire passer sa réforme des retraites.
Débute alors une course contre la montre au Palais-Bourbon. «Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours», est-il écrit dans la Constitution de 1958. Autrement dit : l’Assemblée a vingt jours pour voter le texte, sinon direction le Palais du Luxembourg. Un délai qui démarre dès le début des discussions en commission à l’Assemblée, et qui s’achève le 12 février selon les calculs de Benjamin Morel.
Cela permet de passer outre les amendements déposés par les oppositions de manière automatique. Car en utilisant un PLFSSR pour sa réforme des retraites, au bout de vingt jours, texte voté ou non, le Sénat prend la main. Ce dernier a de son côté quinze jours pour débattre du projet de loi. Ce délai pourrait suffire, la droite, qui domine la Chambre haute, étant favorable au recul de l’âge de départ à la retraite qui constitue le cœur de la réforme.
«Ils tordent la Constitution»
Peut ensuite entrer en scène une commission mixte paritaire (CMP) dans laquelle quelques députés et sénateurs doivent tenter de s’accorder sur un texte. «Sénateurs de droite et députés de la majorité seront en supériorité numérique en CMP, ce qui permettra facilement de trouver un point d’atterrissage au vu du deal entre Les Républicains et Elisabeth Borne», assure dans le Figaro un député Renaissance. En cas d’accord, le Sénat explique sur son site que le gouvernement décide alors de soumettre le texte aux deux assemblées et «qu’aucun amendement n’est recevable sauf accord du Gouvernement». Et le tour est joué. Exit les oppositions, bonjour les modifications pro-domo.
Pour boucler la boucle, la Constitution complète : «Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.» Mi-mars au plus tard, l’affaire sera donc réglée pour la majorité. Cette stratégie parlementaire a un double effet bénéfique pour le gouvernement : éviter un enlisement du débat parlementaire en parallèle d’une mobilisation sociale qui s’annonce rude mais aussi s’éviter un énième 49.3.
Avec un petit supplément d’avantages : le 47-1 ne peut pas faire l’objet d’une motion de censure contre le gouvernement, contrairement au 49.3. Pour la députée Nupes-LFI Clémentine Autain, le 47-1 est donc une sorte de «49.3 low cost». Lundi soir, Franck Riester, le ministre des Relations avec le Parlement, a renvoyé la balle aux oppositions lundi soir sur Public Sénat : «Nous pensons qu’il y a largement le temps de débattre, de proposer différents amendements, de voter les articles et le texte. Evidemment après, ça dépend des oppositions. S’il y a obstruction [parlementaire], ça va compliquer le temps de débat.»
La méthode interroge certains spécialistes de droit constitutionnel. «Il n’y a pas d’urgence. Si le Conseil constitutionnel valide l’utilisation de l’article 47-1, cela signifie que demain, toutes les réformes sociales pourraient passer par ce type de véhicule» législatif, s’est inquiété le maître de conférences en droit public Benjamin Morel sur Public Sénat. «Je prends le pari que le Conseil constitutionnel pourrait invalider cela, pense de son côté le député Nupes-LFI Alexis Corbière. […] Ils tordent la Constitution. Le 47-1 n’est pas fait pour ça. […] Ce n’est pas une question budgétaire mais une question politique.»
«Quand on prépare un texte, on veille à ce qu’il soit constitutionnel», a assuré de son côté Elisabeth Borne lundi soir. Selon le Canard enchaîné de la semaine dernière, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, aurait expliqué que «tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire» dans un PLFSSR. Et donc censuré. Fabius visait notamment l’index des seniors, dont l’opposition et les syndicats fustigent l’inutilité pour permettre d’augmenter le taux d’emploi des seniors. Ils pourraient finalement lui trouver un intérêt.
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