
« Virevoltant, charmeur, le sourire aux lèvres et les yeux bleus pétillants d’intelligence, il incarnait la grâce, la fantaisie, la jeunesse d’esprit. »
« À plus de 90 ans, il courait les salles de théâtre, les plateaux de télévision, les studios de radio ; animait les colonnes du Figaro Magazine de ses critiques enjouées. Virevoltant, charmeur, le sourire aux lèvres et les yeux bleus pétillants d’intelligence, il incarnait la grâce, la fantaisie, la jeunesse d’esprit. » Extrait de l’article 2
« Je suis devenu journaliste, c’est-à-dire un écrivain du moment »
Cité dans l’article 1
« PHILIPPE REVIENS »
Titre de l’article 3 de FOG

ARTICLE 1
Le journaliste Philippe Tesson est mort
Le fondateur et patron du « Quotidien de Paris » de 1974 à 1994, passionné de théâtre et de littérature est mort le 1er février à l’âge de 94 ans.
Non conformiste. S’il fallait résumer d’un trait la longue, riche et joyeuse carrière de Philippe Tesson, cette épithète est celle qui lui conviendrait le mieux. Comme quoi être fils de notaire n’empêche pas, même au XXe siècle, d’avoir un parcours digne de héros balzaciens, tirés d’Illusions perdues : à mi-chemin entre Lucien de Rubempré et Etienne Lousteau.
L’œil bleu et malicieux du journaliste Philippe Tesson s’est clos mercredi 1er février, à Chatou (Yvelines). Journaliste, patron de presse, éditorialiste, chroniqueur culturel, animateur de radio, polémiste à la télé, imprécateur et chef d’équipe, il a joué tous les rôles et aussi formé des générations de jeunes confrères qui ont gagné en confiance en travaillant à ses côtés.
« Je suis devenu journaliste, c’est-à-dire un écrivain du moment »
Né le 1er mars 1928 à Wassigny (Aisne), Philippe Tesson est issu d’une famille de la bourgeoisie de province. Grâce à sa mère passionnée de théâtre, il acquiert tôt une solide culture générale. Mais son enfance est surtout marquée par la deuxième guerre mondiale : son père est prisonnier de guerre et des officiers allemands séjournent dans leur maison. L’ambiance était assez proche de celle décrite par Vercors dans Le Silence de la mer, dit-il. Ballotté entre sa Thiérache natale et Paris, il a été le condisciple au collège du Cateau-Cambrésis de Pierre Mauroy, futur premier ministre de François Mitterrand, avec lequel il restera ami toute sa vie.Lire aussi Philippe Tesson : « Le journalisme transforme une journée en une vie »
A la Libération, après Sciences Po, il passe le concours de la nouvelle Ecole nationale d’administration (ENA) mais abandonne en cours de route. Il a 20 ans quand il entreprend un tour du monde, sans un sou en poche. Son ambition à l’époque est de devenir écrivain, mais il cale. Après avoir réussi le très sélectif concours de secrétaire des débats parlementaires, il saute le pas vers la presse, malgré les réserves de sa famille, pour laquelle le journalisme n’est pas une profession.
Il achève une thèse sur « le romantisme allemand et les sources littéraires du nazisme », quand par l’entremise de chroniqueurs de Combat, Pierre Boutang, Maurice Clavel et Roger Stéphane, il rencontre en 1960, le patron du journal, Henri Smadja. Cet homme d’affaires franco-tunisien, qui a racheté le quotidien animé à la Libération par Pascal Pia et Albert Camus, est à la recherche d’un jeune rédacteur en chef. Son profil fait l’affaire. « Je suis devenu journaliste, c’est-à-dire un écrivain du moment », résume-t-il.
« Combat », organe d’opinions
Les années 1960 sont marquées par les débuts de la Ve République et l’avènement du gaullisme triomphant. Comme son patron, Philippe Tesson est favorable à l’Algérie française et hostile au général de Gaulle, position qu’il révisera plus tard. Sous sa houlette, Combat est un organe d’opinions, sans grands moyens financiers, qui privilégie l’esprit critique et donne une large place aux avis tranchés. En parallèle, il dirige une collection nommée « Le Brûlot », aux éditions de la Table ronde.
En 1965, il publie son seul véritable livre de journaliste, De Gaulle Ier (Albin Michel). Son « style » mais aussi « l’esprit déroutant de l’auteur » sont ainsi salués dans les colonnes du Monde par Jacques Fauvet, directeur de la rédaction. Les prises de position de Combat à l’occasion de Mai 68 en seront l’illustration. Le journal soutient d’abord les étudiants, avant de s’en désolidariser radicalement dès lors qu’apparaît l’emprise et la menace gauchiste sur le mouvement.Lire aussi Article réservé à nos abonnés Philippe Tesson, un véritable passionné de théâtre
Philippe Tesson tente alors une aventure singulière. Il est candidat sans étiquette, aux élections législatives de juin, dans le 6e arrondissement de Paris. Malgré le soutien de Maurice Clavel, ce sera un flop phénoménal. Mais c’est sur le plan personnel que sa vie change. Il rencontre Marie-Claude Millet, médecin de formation, de quatorze ans sa cadette, qui devient son épouse et avec laquelle il aura trois enfants, dont l’écrivain Sylvain Tesson.
En février 1974, il largue les amarres de Combat et emmène une partie de la rédaction pour fonder son propre journal, Le Quotidien de Paris, dont le premier numéro sort le 4 avril. Combat cessera de paraître trois mois plus tard, après la disparition soudaine d’Henri Smadja, son propriétaire.
C’est qu’entre-temps Philippe Tesson et son épouse ont jeté les bases d’un groupe de presse prospère. Grâce au succès commercial du Quotidien du médecin, lancé en 1971 – qui se déclinera en Quotidien du pharmacien, puis du maire, il peut réaliser ses rêves et lancer un journal qui traite pour l’essentiel de politique et de culture. Chaotique, cette aventure se poursuivra pendant vingt ans, jusqu’en 1994. Insatiable, il reprend aussi en 1975 Les Nouvelles littéraires, par goût immodéré de la littérature.
Désaccord idéologique
Le Quotidien de Paris a connu au moins deux vies : l’une, jusqu’à la première suspension de parution en 1978, est celle d’un journal d’information et de commentaires qui privilégie le style et les débats d’idées. Les titres sont brillants : « Giscard reste », quand Chirac quitte Matignon, en 1976, ou « La nuit des longs stylos », lors de la rupture de l’union de la gauche, en 1977. A partir de la reparution, en 1979, et surtout à l’arrivée de la gauche au pouvoir, en mai 1981, Le Quotidien de Paris se transforme en un journal de combat. Dans le mois qui précède son accession à la présidence de la République, François Mitterrand prend l’initiative de rompre avec le fondateur du Quotidien de Paris, alors que les deux hommes se fréquentaient depuis les années 1960.
En 1987, il se sépare de son rédacteur en chef, Dominique Jamet, qui a osé signer un appel en faveur de la réélection de François Mitterrand. Le désaccord idéologique entre les deux hommes, longtemps très proches, est alors complet. L’écrivain Gabriel Matzneff, qui fit partie de l’aventure, le décrivait en 1980 comme « le capitaine de Tréville » de cette équipe de mousquetaires qui a compté des personnalités aussi différentes que Jean-François Kahn (aux Nouvelles littéraires), Bernard Morrot, Philippe Aubert, Georges-Marc Benamou, Catherine Pégard ou Eric Neuhoff. Car Le Quotidien de Paris représentait une autre droite, libérale et critique. « Mon journal n’est pas conforme à ce que la droite conforme attend d’un journal conforme. Pour ça, il y a Le Figaro », dit-il, en 1994, quand tout s’arrête.
Sa passion des lettres
Le patron de presse a dû jeter l’éponge en raison de difficultés économiques croissantes. Plus mécène que capitaliste, il a injecté des dizaines de millions de francs pour maintenir à flot le journal, refusant les aides de l’Etat. Pour lui, l’argent était avant tout un moyen, pas une fin.
Phénix éditorial, il renaît alors à la télévision, en animant le nouveau magazine littéraire « Ah ! Quels titres » avec la journaliste Patricia Martin sur France 3. Membre du prix Interallié depuis 1992, du prix Nimier depuis 1980, il renoue avec sa passion des lettres, lui qui avait été contraint de céder Les Nouvelles littéraires en 1983. Il multiplie les apparitions à la radio ou à la télévision, les lunettes posées sur le haut du front. C’est dans les émissions de débats comme « Rive droite/rive gauche » qu’il donne le meilleur de lui-même, acceptant volontiers le rôle du vieux ronchon de service, savant mais pas pédant.
Il devient chroniqueur au Figaro, qui accueille de longs papiers sur la vie des idées, mais aussi à L’Express, au Figaro Magazine, au Point, joute régulièrement avec l’éditorialiste Laurent Joffrin, avec lequel il coécrit un livre sur l’état de la société, Où est passée l’autorité ? (Nil éditions, 2000).
Séducteur, débordant d’énergie, Philippe Tesson écrivait vite et à la main. Le journalisme, il ne l’avait pas appris, il le savait d’instinct. Par coquetterie, il disait volontiers qu’il avait arrêté trop tard, ce qui l’avait empêché de consacrer plus de temps à son autre passion : le théâtre. Pour lui, le journalisme devait servir avant tout à poser des questions. Et la presse oser, cultiver l’impertinence et déranger.
Philippe Tesson en quelques dates
1er mars 1928 Naissance à Wassigny (Aisne)
1960 Est nommé rédacteur en chef de « Combat »
4 avril 1974 Fonde « Le Quotidien de Paris »
1975 Reprend « Les Nouvelles littéraires »
2011 Devient propriétaire du Théâtre de Poche à Montparnasse
1er février 2023 Mort à Chatou (Yvelines)
ARTICLE 2
Le journaliste et critique dramatique Philippe Tesson est mort
Par Bertrand de Saint Vincent LE FIGARO Publié le 02/02/2023
DISPARITION – Bretteur né, il avait fait ses armes à Combat avant de créer Le Quotidien de Paris. Passionné de théâtre à la tête du Poche Montparnasse, il est décédé à 94 ans.
Journaliste, critique et directeur de théâtre, Philippe Tesson, 94 ans, est décédé dans la soirée du mercredi 1er février chez lui, «paisiblement et entouré de ses enfants», a annoncé sa famille jeudi matin. On avait fini par le croire immortel. À plus de 90 ans, il courait les salles de théâtre, les plateaux de télévision, les studios de radio ; animait les colonnes du Figaro Magazine de ses critiques enjouées. Virevoltant, charmeur, le sourire aux lèvres et les yeux bleus pétillants d’intelligence, il incarnait la grâce, la fantaisie, la jeunesse d’esprit. La pièce est finie. Philippe Tesson ne jouera plus ce soir. Le feu follet s’est éteint. Il n’y aura plus personne pour nous inviter à «rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer».
Grand connaisseur de Shakespeare, Philippe Tesson n’ignorait pas que l’histoire est fondée sur la tragédie. Mais il refusait de baisser les bras. Se résigner n’était pas son genre. Il zigzaguait comme un soldat sur le front : pour éviter les balles. Il rêvait d’écraser la bêtise, l’arrogance, de donner de l’audace aux tièdes et du courage aux mous. Mission impossible. Ce paradoxe l’enchantait. Il n’était dupe de personne et surtout pas de lui-même.null
» LIRE AUSSI – Intelligences en fusion chez Philippe Tesson
Vedette joyeuse d’une pièce dont il aurait voulu le scénario imprévisible, il passa sa vie à jouer à être lui-même. Il aimait se donner le premier rôle. Drôle, lumineux, cultivé, il appréciait autant de plaire que déplaire. Ses tirades enflammées allumaient des étincelles, sa curiosité des êtres et des choses ouvrait la vie comme une fenêtre. Avec lui, rien n’était jamais banal. Sa légèreté, miraculeuse, cachait une réelle profondeur de vue et d’analyse. La liberté fut son moteur. Il avait conscience de le faire tourner bien trop vite pour les radars de l’époque.
Né aux confins de la Belgique, en Thiérache, à Wassigny, le 1er mars 1928, c’était un homme du nord ; il ne le perdit jamais : « J’ai eu la chance d’entrer dans la vie par une filiation, des racines, une terre ». Il l’évoquait souvent : « J’aime aussi beaucoup le sud », précisait-il. Avant d’ajouter : « Comme tous les cons ». C’était le genre de formule qu’il affectionnait. Il disait aussi : « On est un con » pour signifier que de ne pas avoir d’opinion personnelle faisait de vous un être sans intérêt.
Avec Roger Stéphane, Pierre Boutang, Maurice Clavel
Son père était notaire, il avait reçu une éducation bourgeoise, pétrie de valeurs classiques. Il feignait de l’être, lui qui, par son insolente liberté et son indépendance, ne se comporta jamais qu’en aristocrate.
À 12 ans, la guerre traversa son adolescence comme un train fou : « cette débâcle de l’esprit, ce spectacle de l’horreur » lui laissèrent à jamais une « écorchure et une lucidité, le scepticisme et le doute ». Son père prisonnier, les occupants envahirent sa maison. Il croisa des officiers allemands qui n’étaient pas tous des barbares. Il en garda la certitude qu’il faut se garder des conclusions définitives. Au lendemain de la guerre, après des études à Sciences Po, une thèse sur le romantisme allemand- ce goût du paradoxe- il fut reçu au concours de secrétaire des débats parlementaires. Il y côtoiera Roger Stéphane, Pierre Boutang, Maurice Clavel, tous trois chroniqueurs au journal Combat dont le patron, Henri Smadja, cherchait un rédacteur en chef.
17 fois condamné pour offense à De Gaulle
À 32 ans, Tesson prit les rênes du prestigieux quotidien issu de la Résistance. Déserté par ses grandes signatures, miné par les divisions, Combat se battait surtout contre lui-même. La guerre d’Algérie divisait l’opinion. Le bretteur né enfourcha ce cheval de bataille et lança ses généraux à l’assaut sur deux ailes opposées : d’un côté, le tempétueux Maurice Clavel, de l’autre le Maurrassien Pierre Boutang. Ça ferraillait dur.null
Exalté par ce face-à-face avec l’actualité, démiurge s’imaginant faire l’histoire, Tesson dansait au-dessus du volcan. Son irrévérence, son goût de la contradiction firent bondir le pouvoir gaulliste. 32 fois convoqué devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, il fut autant de fois condamné pour offense au chef de l’État.
S’opposer était sa manière de se poser. Drôle d’oiseau sur la branche : « De nous deux, c’est lui le vrai funambule »dira son fils Sylvain qui s’y connaît en cascade. En juin 1968, soutenu par Maurice Clavel et Jacques Isorni- peu de centristes dans son entourage- Tesson se présenta aux législatives. Le raz de marée gaulliste le laissa sur le sable.
Combat perdait de l’argent, et son souffle. Le rédacteur en chef proposa à Smadja de partager le pouvoir. Refus absolu. Entre-temps, le trublion avait lancé, avec son épouse, Marie-Claude, « une folie chevaleresque »– qui allait se révéler fort rémunératrice- le Quotidien du médecin.
Guérilla contre Mitterrand
Le cascadeur avait désormais les moyens de se jeter dans la mêlée. En avril 1974, sur les restes de Combat, il créait un journal « aérien, léger, esthétique, distancié, non engagé » : le Quotidien de Paris. Une effervescence intellectuelle brouillonne agitait le titre qui finit par se saborder. Après une première interruption, il redémarra dans une version « plus charpentée, conventionnelle et marquée politiquement ».
La polémique coulait dans ses colonnes. L’hôte de l’Élysée, Valéry Giscard d’Estaing, en fut la première cible. Le Quotidien piquait comme une abeille. En mai 1981, l’élection de François Mitterrand libéra le bras du franc-tireur. Désormais clairement positionné à droite, le journal fit voler ses plumes contre le pouvoir socialiste et son envahissante morale. Une atmosphère de guérilla imprégnait les comités de rédaction. Meneur libertaire, jetant comme des billes les paradoxes entre les pattes de ses troupes galvanisées, Tesson prêchait l’offensive à outrance. Dans les yeux bleus de ce metteur en scène ironique, l’actualité était une tragi-comédie qu’il fallait chaque jour rendre exaltante : « Je crois, disait-il, en la théâtralisation de toute chose ».null
Urgence et tourbillon des mots. Installé dans un immeuble tarabiscoté près de la place de la République, puis succès oblige- le confort moderne de Neuilly-sur-Seine le Quotidien de Paris offrait chaque jour le spectacle d’un roman balzacien : Illusions perdues. Autour des tables enfumées, tapant à deux doigts sur des machines à écrire est-allemandes ou griffonnant nerveusement, la rédaction la plus littéraire de Paris débordait de fièvre. Le casting était d’enfer. Du stendhalien Jean-Marie Rouart à Paul Guilbert, gaulliste flamboyant, du jeune et vibrionnant Eric Zemmour à l’ambitieuse Claire Chazal, les opinions les plus diverses s’affrontaient dans des duels pas toujours à fleurets mouchetés. Il y avait des invectives, des différends, des éclats de voix ; de l’allure, du style, du panache. Animé de fulgurances à la Léon Daudet, Dominique Jamet alignait fébrilement les feuillets sur tous les sujets ; Stéphane Denis s’imaginait en éminence des puissants et parfois c’était vrai ; Éric Neuhoff réveillait l’esprit hussard, Catherine Pégard apprenait à apprivoiser les hommes politiques. Dans ses éditoriaux rédigés à la hâte, Philippe Tesson ne mâchait pas ses mots. Il lâchait les unes comme des grenades : Robespaul ! lançait le Quotidien de Paris au lendemain d’une déclaration du ministre de l’intérieur, Paul Quilès, affirmant « qu’il ne suffisait pas de dire des têtes vont tomber, mais lesquelles ». Et lorsqu’elle déboulait à Matignon, première femme à occuper ce poste, Édith Cresson se voyait qualifier de « Tonton flingueuse ».
« J’aime bien mes ennemis. Je vais à leur rencontre car je voudrais savoir pourquoi je ne suis pas comme eux . »
Rien n’arrêtait le mousquetaire dont les bottes assassines n’épargnaient pas même ses amis. Convié à Matignon, Tesson tendait à son vieux compagnon de lycée, Pierre Mauroy, la morasse de la une du lendemain, résumant son intervention à la radio : «Europe : 1 ; Mauroy : 0 » : « Mauroy partit d’un immense éclat de rire et me prit dans ses bras ».
« J’aime bien mes ennemis, disait le provocateur, je vais à leur rencontre car je voudrais savoir pourquoi je ne suis pas comme eux .» Débordant d’une énergie dont il affirmait qu’elle lui était naturelle, le patron de presse avait également repris les Nouvelles Littéraires : « un journal digne, exigeant, élégant » qui tourna rapidement au désastre financier. Appelé en renfort, Jean-François Kahn redressa la barre et fit bondir les ventes.
Papillon de l’éphémère, le patron du Quotidien de Paris vit au milieu des années 90 fondre le nombre de ses lecteurs et dut déposer le bilan. Ayant épuisé son capital et celui de ses soutiens, l’artiste revint à ses premières amours- le théâtre: « Je l’ai toujours aimé. Quand la pièce est bonne, mon bonheur intellectuel et sensuel est à son comble. Sinon, je m’endors ». Critique au Figaro Magazine, après l’avoir été au Canard enchaîné, Tesson fut de toutes les premières, se désolant qu’il n’y ait plus depuis Beckett, Ionesco ou Duras un « théâtre de notre temps, traitant de la condition humaine ». Invité sur les plateaux de télévision, à la radio, il prit l’habitude de faire le spectacle, débordant sur le terrain politique et celui des idées : « Un réactionnaire, c’est quelqu’un qui a connu autre chose. Un privilège », disait-il quand on l’accusait de l’être ; tout en ajoutant « qu’il n’était pas d’une pièce ».
Mordu aux mollets par des animateurs qui ne lui arrivaient pas à la cheville, le polémiste s’en moquait. Il n’y avait en lui aucun désespoir. Il croyait en l’avenir, les abdications de la vieillesse lui étaient insupportables: « Tout est toujours possible. Il suffit d’avoir du courage et le goût du risque ». Il dénonçait la bien-pensance, se lançait dans d’homériques- et souvent feintes- colères, relevait ses lunettes à l’ancienne sur son front et semait le désordre dans le camp du bien. Il lui arrivait de cabotiner : nul n’est parfait.
Son bureau de la rue des Saints-Pères abritait sa maison d’édition et une revue- L’Avant-Scène théâtre. En 2011, il avait racheté le Théâtre de Poche, à Montparnasse, dont il assurait la programmation aux côtés de sa fille, Stéphanie, avec cette fausse nonchalance qui masquait sa passion immodérée pour la vie. « Il n’y a jamais chez lui de résignation, de fatigue, notait Sylvain. Il semble imperméable à la lassitude ». Il aimait retrouver son clan- son fils, Sylvain, ses deux filles, Stéphanie et Daphné- et ses amis dans sa maison de Chatou.
Dans la nuit du 7 mai 2014, son épouse, Marie Claude, fut emportée par une embolie pulmonaire. L’été suivant, Sylvain frôlait la mort à Annecy en tombant d’un toit. En janvier dernier, hospitalisé, émergeant d’une réanimation dont ses proches pensaient qu’il ne reviendrait pas, Philippe Tesson eut cette ultime réplique : « Je ne suis pas né pour mourir ».
ARTICLE 3
Philippe, reviens !
Le journaliste et essayiste Philippe Tesson est mort mercredi à l’âge de 94 ans. Son ami Franz-Olivier Giesbert lui rend hommage.Par
Publié le 02/02/2023 LE POINT
Ohé, Philippe, qu’as-tu fait ? Comme tu nous manques déjà ! À 94 ans, tu étais le plus jeune, et de loin, d’entre nous. Toujours à gambader, rigoler, t’emporter. La retraite, on savait qu’il n’y avait que la mort qui pourrait t’obliger, un jour, à la prendre. Et encore, on n’en était pas bien sûr, tant tu semblais immortel.
Avec la disparition de Philippe Tesson, notre profession est, soudain, dépeuplée. Les vrais journalistes – rassurez-vous, il en reste encore – sont tous en deuil aujourd’hui, effondrés, quand ils ne pleurent pas : Philippe était un modèle, sinon « le » modèle. C’est que, pendant plus de soixante ans, il a symbolisé la liberté d’esprit à son paroxysme.
À LIRE AUSSILe journaliste Philippe Tesson est mortPatron de Combat, du Quotidien de Parisou des Nouvelles littéraires, Philippe Tesson a fait passer dans tous ces journaux un souffle d’air frais parce qu’il n’avait peur de rien, surtout pas des polémiques ou des opinions contradictoires. Il n’appartenait pas à la « moutonnaille » qui sévit tant dans notre métier, celle des militants ou des pontifiants. Il n’était pas du genre à suivre le courant. Il préférait ramer contre.
Si quelqu’un incarnait l’esprit français, c’était bien Philippe Tesson, puits de culture, qui pensait souvent mal. Il y avait en lui du Montaigne, du Voltaire et du Jean d’Ormesson. Tout le théâtre mondial aussi, son autre passion, avec le journalisme. Jusqu’à la fin, il assura la chronique théâtrale du Figaro Magazine. Directeur de L’Avant-Scène, il dirigeait aussi le théâtre de Poche-Montparnasse avec une superbe programmation. Il collaborait enfin, encore tout récemment, au site du Point.
Non, Philippe, il ne fallait pas partir. Surtout dans cette époque qui n’est pas très belle, où se confondent souvent, dans nos journaux, l’information et la désinformation, sur fond de bobards et de fadaises, comme on peut le voir dans l’affaire des retraites : ton ironie ravageuse nous aurait fait du bien.
Au secours, Philippe, reviens !