
RAPPEL DE LA SITUATION D’OCTOBRE 2022
En un an, le nombre d’enfants à la rue a doublé
En octobre dernier, le ministre du Logement, Olivier Klein, assurait que le gouvernement n’avait pas la volonté de laisser “d’enfants à la rue cet hiver”. En parallèle, le gouvernement a prévu de supprimer 14 000 places d’hébergement d’urgence, comme le rappelle L’Humanité, alors que la Fondation Abbé Pierre, elle, recense actuellement 300 000 personnes sans domicile fixe. Une décision qui ne passe pas auprès de l’Unicef, de la FCPE, du collectif Jamais sans toit ou encore du Collectif des associations unies (CAU), qui interpellaient sur le nombre d’enfants scolarisés vivant à la rue.
Au début du mois, l’Unicef publiait son rapport sur “l’enfance perdue” et révélait qu’en France, les trois quarts des personnes hébergées sont des familles, représentant 78 352 personnes. Parmi elles, près de la moitié sont des enfants : en France, 42 000 mineur·es sont sans abri, hébergé·es à l’hôtel ou hébergé·es d’urgence.
Plus de 12 000 enfants sans-abri ont moins de trois ans
Ces conditions de vie dégradées ne sont pas sans conséquences sur la santé mentale et le développement de ces enfants, qui grandissent dans une instabilité “sociale, financière et administrative” permanente, et subissent l’isolement, la stigmatisation et les discriminations.
Parmi elleux, 29 % ont moins de 3 ans précise le rapport de l’Unicef, soit un peu plus de 12 000 enfants. Comme le rapporte Europe 1, “des familles de trois, quatre, voire cinq personnes s’entassent parfois dans des chambres d’hôtels de 15 mètres carrés”. Une précarité qui pèse lourd sur le moral des parents qui, dans une grande promiscuité, transmettent sans le vouloir leur mal-être à leurs enfants.
Selon Vanessa Benoît, directrice du Samu social, “la première chose qui est très anxiogène pour les enfants, c’est de changer régulièrement de lieu. La deuxième chose, c’est de voir que leurs parents sont inquiets ou tristes. Quand on est enfant, on ne sait pas gérer la souffrance de ses parents et les enfants y sont confrontés en permanence. Mais c’est très contraignant pour un enfant”.
Une promiscuité nocive pour le développement de l’enfant
L’absence de logement ou les hébergements d’urgence ont également des conséquences négatives sur la construction des liens familiaux, essentiels au développement psychique de l’enfant. Comme le rappelle l’Unicef, l’école représente “un point d’ancrage important dans la vie des enfants sans domicile dont les quotidien est rythmé par l’instabilité”, aussi bien pour le développement que la construction psychique de l’enfant, puisque celle-ci ne permet pas seulement d’accumuler des connaissances mais sert également d’agent de socialisation.
Début septembre, un article de L’Humanité alertait déjà sur la situation des enfants en France : en un an, le nombre d’enfants sans-abri a quasiment doublé. Les associations tiraient la sonnette d’alarme car, après avoir fait des demandes d’hébergement d’urgence auprès du 115, le nombre d’enfants qui n’arriveraient pas à obtenir un hébergement pour la nuit aurait augmenté de 86 % par rapport au début de l’année.
Un chiffre qui, lui, ne prend pas en compte les mineurs non accompagnés ni les familles qui n’essaient même plus de contacter le Samu social, faute de logement adapté pour leur famille entière. Dans Libération, Pascal Brice, président de la FAS, et Adeline Hazan, directrice de l’Unicef France soulignaient que ce chiffre était “néanmoins révélateur de l’ampleur d’une crise du logement et de l’hébergement qui perdure et dont les enfants sont des victimes collatérales”.
Le Samu social devrait perdre 2 500 places d’urgence
“Nous ne nous résignons pas à laisser des enfants dormir dans la rue. Il est du devoir de l’État d’agir sans délai pour faire respecter le droit de ces enfants particulièrement vulnérables” rappelaient en septembre dernier Adeline Hazan et Pascal Brice dans Libération. Pourtant, le gouvernement prévoit bien de supprimer 14 000 places d’hébergement. Prévues dans le projet de Loi de finances de 2023, le gouvernement justifie ces suppressions par “la sortie de la crise sanitaire”, comme le rapporte 20 Minutes.
Des suppressions qui viennent s’ajouter à celles évincées par la reprise du tourisme : au début de la pandémie de Covid-19, 40 000 places auraient été ouvertes dans les hôtels, privés de touristes, pour les situations d’hébergement d’urgence, indemnisés par l’État. D’ici la fin de l’année, le Samu social devrait perdre 2 500 places d’urgence dans les hôtels.
Ce dispositif d’indemnisation existe également en période hivernale. Mais les hôtels reprenant peu à peu leur activité commerciale, bien plus intéressante financièrement, ces places seront supprimées – risquant ainsi de surcharger encore davantage le Samu social. La Nupes a déposé un amendement pour revenir sur ces suppressions, qui reste “à discuter”.
ARTICLE
La fondation Abbé Pierre s’inquiète du nombre de mères et de nourrissons à la rue
Par Juliette Geay Publié le mardi 31 janvier 2023 RADIO FRANCE
Dans son rapport 2023 sur « l’état du mal-logement en France », la Fondation Abbé Pierre consacre un chapitre au « genre du mal-logement ». Après une première alerte lancée en 2016, elle s’inquiète de nouveau du nombre de mères et de nourrissons à la rue.
Focus sur « le genre du mal-logement ». Dans son 28e rapport sur « l’état du mal-logement en France », la Fondation Abbé Pierre analyse les inégalités de genre dans l’accès au logement. La fondation, qui lutte pour l’accès à un logement pour tous, souligne que « la protection des femmes seules avec enfants et des femmes enceintes tend à s’éroder« , dans un contexte de « saturation » des hébergements d’urgence.
Au soir 19 décembre 2022, malgré l’ouverture de gymnases dans le cadre du plan Grand froid, 4.029 personnes en familles n’ont pas obtenu de place en hébergement d’urgence au 115, dont 1.172 enfants. « Il y a dix ou vingt ans, c’était exceptionnel de voir des femmes avec enfants refusées au 115« , note Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
La protection « traditionnelle » des mères face au sans-abrisme s’érode
Traditionnellement, les femmes bénéficient « d’une relative meilleure protection en tant que mères« , explique la fondation Abbé Pierre, ce qui justifie qu’elles soient moins nombreuses « dans des centres d’hébergement collectif ou à la rue« . Selon l’INSEE (2012), 40% des sans-domicile (hébergés chez un tiers, en abri de fortune) sont des femmes et elles ne représentent que 5% des sans-abri. La présence d’enfants augmente en effet les chances de se voir attribuer un hébergement de meilleure qualité, et 78% des cheffes de famille dans des ménages sans domicile avec enfants sont des femmes.
Toutefois, « l’accroissement dans la dernière décennie du nombre de femmes avec enfants à la rue vient conforter l’hypothèse d’un affaiblissement de la protection que conférait le statut de mère isolée« , note la fondation Abbé Pierre. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde en novembre 2022, un collectif de défenseuses des droits humains alertait déjà sur la hausse du « nombre de femmes sans papiers enceintes ou avec enfants en bas âge à la rue ».
S’il n’existe pas de statistiques nationales sur le sujet, d’après Santé Publique France, la proportion de femmes sans-abri ayant accouché en Ile-de-France est passée de 5,8 pour 1.000 en 2010 à 22,8 pour 1.000 en 2019. Les femmes les plus concernées sont les étrangères arrivées récemment sur le territoire. Depuis 2018, l’association qui gère le 115 en Seine-Saint-Denis – Inter logement 93 – alerte également sur une hausse du nombre de « bébés sans abris », dans ce département parmi les plus pauvres de France. Le 14 décembre dernier, 25 femmes enceintes y ont dormi dehors. « Sur l’ensemble du territoire [français], Médecins du monde rencontre toujours plus de femmes sans logement digne, sans suivi gynécologique ni suivi de grossesse, sans couverture maladie« , indiquait Médecins du monde dans un rapport publié en 2019 et cité par la Fondation Abbé Pierre. Elle-même, alertait déjà sur ces mères à la rue, dès 2016.
Des hôpitaux qui tentent de faire face
« Dans ce contexte de pénurie de places d’hébergement, l’hôpital devient une variable d’ajustement pour l’hébergement des femmes enceintes et des jeunes mères« , indique encore la Fondation Abbé Pierre. « Pour les femmes enceintes, s’il n’y a pas eu d’orientation SIAO (du samu social vers un hébergement) avant l’accouchement, c’est l’hôpital qui prendra le relais« , témoigne la cheffe de service de la Cité des Dames, un centre d’accueil pour femmes sans-abri à Paris. Au CHU de Nantes, face à l’augmentation du nombre de femmes sans domicile qui accouchent (3% en 2019, trois fois plus qu’en 2018), les médecins ont décidé, cette année-là et « pour des raisons médicales« , de ne pas faire sortir les mères et leurs bébés sans hébergement juste après la naissance. 134 femmes ont donc été gardées provisoirement, soit 4,7 lits constamment occupés au cours de l’année.
Un « vécu du mal-logement » différent
« Si les femmes sont moins nombreuses que les hommes parmi les personnes sans-abri« , rappelle la Fondation Abbé Pierre – 87% d’hommes et 13% de femmes sans-abri ont été recensés à Paris lors de la dernière nuit de la solidarité, un chiffre stable, selon la ville de Paris – « il est toutefois probable que le décompte [des femmes] soit sous-estimé en raison d’une moindre visibilité« , estime l’association. En effet, la « quête de sécurité (…) peut les amener à déserter les lieux d’accueil de jour quand ils sont majoritairement fréquentés par un public masculin« , indique-t-elle.
Émilie, sans logement personnel depuis 2013, témoigne auprès de la Fondation Abbé Pierre : « D’un coup, je me suis retrouvée toute seule, et qu’est-ce qui est arrivé ? Il y avait des hommes qui venaient auprès de moi, ‘on peut te donner 10 euros pour coucher avec toi’. J’étais vraiment inquiète. Et je regarde [à] gauche, [à] droite, il n’y a personne. Ce n’était pas facile, et j’ai tremblé. Et le lendemain j’ai changé de coin. Comme il y avait beaucoup d’hommes qui venaient autour de moi j’ai encore changé, je marchais comme ça, jusqu’au fond là-bas, il y avait une église, je suis restée là-bas. »
Cela conduit parfois les femmes à préférer l’hébergement en structure, ou chez des « tiers« , indique encore la Fondation Abbé Pierre. Ce qui peut conduire, alerte-t-elle, à « une relation sociale asymétrique« , avec des « contreparties plus ou moins explicites et/ou abusives« .