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Retraites : pourquoi Macron doit espérer une censure du conseil constitutionnel
Par Nicolas Domenach le 28.03.2023. CHALLENGES
Emmanuel Macron n’est pas sûr de sortir gagnant des crises multiples provoquées par sa réforme des retraites. Face à la jeunesse qui donne de la voix et aux forces de l’ordre qui voient leur légitimité contestée pour des dérapages incontestables, le Conseil constitutionnel est peut-être le dernier salut du chef de l’Etat s’il veut passer à d’autres questions essentielles comme la pénibilité, la progression des carrières ou encore les bas salaires…
« On peut toujours faire pire, mais là ce n’est pas sûr! » Même chez les macronistes les plus fervents, l’inquiétude a gagné. Voire l’angoisse devant « tant de maladresses, d’inconséquences multiples avec cette réforme des retraites qui nous a plongés dans la crise ». A vrai dire, dans plusieurs crises: crise sociale, crise démocratique et crise dans les crises. La cerise sur le gâteau indigeste: le désordre dans les têtes comme dans les rues.
L’économie pourtant tourne. Les usines ne sont pas occupées, mais on craint de ne pas remplir son réservoir et de ne plus pouvoir vider sa poubelle. Et surtout on ne se sent pas représenté. Gouverné. Guidé vers un horizon qui ne fuirait pas. Administré avec justesse et justice.
Le président arbitral est descendu de son piédestal. « L’inflexible », ça vaut pour un nom de sous-marin nucléaire, pas pour un monarque républicain dont le bon peuple espère toujours la bienveillance. La clémence. L’ultime recours. Le droit de grâce. S’il ferme sa porte aux manants, alors il faut redouter la colère.
L’État fait le gros dos
On y est, dans cette impasse piégeuse, alors que le chef de l’Etat fait le gros dos, mais façon hérisson. Avec tant de piquants qu’il a ulcéré les plus modérés, tel le leader cédétiste Laurent Berger (qui, une nouvelle fois vient de proposer un processus de « gel » offrant une sortie de crise).
Emmanuel Macron est face à un pari risqué: incarner le parti de l’ordre face aux désordres, face à « la chienlit ». Mais n’est pas de Gaulle qui veut. Lequel d’ailleurs, pendant une semaine en mai 68, avait vacillé et s’était repris in extremis, adossé sur sa légende du Siècle. Jusqu’ici, c’est Marine le Pen qui tire les marrons des feux de poubelles, de mairies, de commissariats et même de kiosques à journaux, ultime symbole hélas calciné d’un vivre en commun républicain. Mais gare…
Escalade de violences, « syndrome Malik Oussekine »
Le pouvoir ne devrait pas jouer avec le feu. Avec cette escalade dans les violences qui fait craindre le pire en politique et au-delà. Il n’est pas sûr de sortir gagnant de cet affrontement enflammé où les forces de l’ordre se voient contester leur légitimité pour des dérapages incontestables.
Alors que les contestataires eux-mêmes deviennent aveugles aux exactions des ultras qu’on aura garde d’appeler de gauche! Mais au Palais de l’Elysée revient cette leçon après la mort de Malik Oussekine qui entraîna le retrait de la loi Devaquet en décembre 1986: « aucune réforme ne vaut la vie d’un homme »! Celle d’un enfant à fortiori. Or les jeunes, aiguillonnés par les Insoumis ont commencé de bloquer les lycées et les facultés.
Lycéens et étudiants sont entrés dans cette sarabande infernale dont le gouvernement par ses maladresses et ses arrogances active le tempo toujours plus frénétique. Jusqu’à l’acmé du 49/3 dégainé comme une arme pour faire marcher droit et rester coi. Et promis, selon Madame Borne, « on ne le refera pas ».
Ce n’était donc plus un acte démocratique, c’était une maladie honteuse qui, c’est vrai, a donné une fièvre telle que le public du stade de France, lors du match de foot contre les Pays Bas a sifflé à la 49ème minute. Emmanuel Macron lui s’était abstenu de paraître dans les tribunes de peur d’une réaction violente… La peur, la peur du peuple.
Et d’abord des « crétins » comme les appelle Laurent Berger, ceux-là qui nuisent à la cause qu’ils parasitent. Ceux qui agressent les élus aussi, vandalisent les permanences, menacent de mort. Mais aussi la peur de ceux qui se replient sur leur famille, leurs amis. Cette dissidence molle qui prend pour nom abstention et s’aggrave à chaque élection. Face à ces peurs l’impuissance du pouvoir est en effet angoissante. Car tournent dans les têtes du sommet tant d’impossibles comme un manège désespérant.
Quelle porte de sortie
La dissolution? Ce serait « suicidaire ». Un référendum? Ce serait « perdu ». Un remaniement? Pour quoi faire? Elisabeth Borne a de la détermination, de la rigueur mais pas de charisme ni d’empathie. Elle est sérieuse, mais sans lyrisme. Des chiffres, mais peu de lettres. Sa feuille de route- « élargir la majorité minoritaire – c’est « mission impossible » pour elle qui vient de gauche et doit trouver des relais à droite. Pour autant, un remaniement serait insuffisant s’il n’est pas accompagné d’une modification de ligne politique et d’une coalition avec les Républicains, mais la perspective semble improbable! Alors?
Alors où se trouve la sortie? Le salut, sans perdre la face, ne parlons pas d’âme ce n’est plus de saison, existerait du côté de l’Autorité suprême. Le saint conseil constitutionnel, tout à coup paré de vertus par ceux-là qui aimeraient parfois même qu’il rejette l’entièreté de la réforme! Après tout, les débats ont été « précipités » et ont manqué de « la clarté et de la sincérité » qu’exigent les Ecritures républicaines.
Emmanuel Macron, président Jupiter qui ne déteste rien tant que d’être contrôlé, pourrait trouver quelque soulagement à voir retoqués une série d’articles, sinon la loi en son entièreté. On pourrait alors passer à ces questions essentielles par lui récemment soulevées: la pénibilité, la progression des carrières, les bas salaires… Tout ce par quoi on aurait dû commencer!