
« DÈS SON ARRIVÉE À L’ÉLYSÉE, ALEXIS KOHLER PREND L’HABITUDE DE PASSER DES COUPS DE FIL EN LIGNE DIRECTE AUX MINISTRES, ET N’HÉSITE PAS À LEUR FAIRE DES REMONTRANCES D’UN TON SEC QUI NE SOUFFRE PAS LA CONTRADICTION. »
Il le n’est pas du genre à faire de vagues, le discret secrétaire général de l’Élysée. Alexis Kohler est un des seuls à être restés en poste depuis le début de ce quinquennat dont il a tout vu, tout entendu, sans jamais rien raconter. Renaud Dély a mené l’enquête.
ARTICLE
Alexis Kohler, l’invariant du président
PAR RENAUD DÉLY VANITY FAIR. 16 FÉVRIER 2022
D’abord, tordre le cou à l’un de ces clichés qui circulent sur son compte. Non, Alexis Kohler n’est pas un individu austère, un être suintant l’ennui, un haut fonctionnaire sinistre et sans âme tout entier dévoué au service de l’État. Des témoins sont formels : le secrétaire général de l’Élysée serait un joyeux drille. Avec un penchant prononcé pour l’autodérision, il ne rechignerait pas à moquer les petits travers de ses congénères alsaciens, sans aller toutefois jusqu’à imiter en public l’accent de sa région natale. L’homme sait se tenir.
De Bercy à l’Élysée, cela fait maintenant sept ans qu’Alexis Kohler met ses pas dans ceux d’Emmanuel Macron. Depuis 2017, il a tout vu, tout su, tout entendu du quinquennat. Mais jamais rien raconté. Benalla, la crise des gilets jaunes, ou encore la gestion du Covid: Alexis Kohler a toujours protégé, et parfois sauvé son chef des nombreuses tempêtes qui ont secoué ce mandat à nul autre pareil. Dépositaire des petits et grands secrets de la République, seul maître à bord de l’Élysée après Jupiter, il est entré en Macronie comme on entre dans les ordres: Alexis Kohler a fait vœu de silence.
Seul un léger haussement de sourcils peut parfois trahir subrepticement une manifestation d’émotion synonyme de stupéfaction. Pierre Moscovici le dit même « habité par un feu intérieur ». Sur cette incongruité, comme sur le reste de son intimité, l’intéressé se referme à double tour. Claquemuré. Le secrétaire général de l’Élysée se méfie des journalistes et refuse les demandes d’entretien. Pas simple d’arracher à son entourage quelques informations relevant de l’intimité comme son amour du rock ou sa propension à déambuler en solitaire le long de la Seine à l’heure du déjeuner. Après nous avoir fait jurer de protéger leur anonymat, nos sources, la mine coupable finissent par lâcher qu’il peut gloser, à l’approche des courses de Noël, sur les mérites des vases en porcelaine de la prestigieuse maison Bernardaud.
DÈS SON ARRIVÉE À L’ÉLYSÉE, ALEXIS KOHLER PREND L’HABITUDE DE PASSER DES COUPS DE FIL EN LIGNE DIRECTE AUX MINISTRES, ET N’HÉSITE PAS À LEUR FAIRE DES REMONTRANCES D’UN TON SEC QUI NE SOUFFRE PAS LA CONTRADICTION.
Dans la réalité, la vie d’Alexis Kohler est réglée comme une horloge. Il déboule chaque matin à l’Élysée à 8h40 précises et se réfugie au premier étage dans son bureau d’angle, tout juste séparé de celui du président par un petit salon vert. Il ne quitte les lieux qu’à une heure avancée de la nuit, rarement avant une ou deux heures du matin, non sans continuer de converser plus tard encore avec le chef via la messagerie Telegram.
Dévoué corps et âme au jeune prince de l’Élysée, celui qui fait office de maire du Palais en est le double, le jumeau, l’ombre. Les deux hommes se sont connus à Bercy en 2014. Kohler y était là le premier, en tant que directeur adjoint du cabinet de Pierre Moscovici. Il lorgne alors la direction de l’Agence des participations de l’État (APE), lorsqu’Arnaud Montebourg succède à Moscovici en avril de la même année. Montebourg met son veto: l’APE est une institution stratégique qui gère le destin des entreprises publiques. «Ce gars est trop libéral! Pas fiable ! », tempête le nouveau ministre de l’Économie. Kohler reste à quai. À l’étage d’en dessous, Michel Sapin, qui gère les Finances, n’est pas plus charitable. Il laisse végéter Kohler dans un placard doré.
La modernité comme totem
Six mois plus tard, Emmanuel Macron succède à ce « cher Arnaud », et se cherche un directeur de cabinet. Kohler se porte candidat. Le nouveau ministre hésite, ce n’est pas son premier choix. Pierre Moscovici décroche son téléphone : «Emmanuel, n’hésite pas, il n’y a pas photo, Alexis est le meilleur!» Dans son bureau de la Cour des comptes, il repense aujourd’hui à Sapin et Montebourg : «Il ne faut jamais refuser à quelqu’un la promotion qu’il mérite, c’est le meilleur moyen de s’en faire un ennemi…» Entre Kohler et Macron, la fusion intellectuelle est immédiate, et totale. Les deux hommes ont les mêmes codes, les mêmes réflexes, la même réserve apparente doublée du même souci de convaincre, voire de plaire aux puissants.
L’un comme l’autre baignent de longue date dans la même bourgeoisie aisée de province. Par alliance pour Emmanuel Macron, marié à une fille Trogneux, Brigitte, riche famille amiénoise consacrée par le succès de ses macarons. Par naissance pour Alexis Kohler, porteur d’un nom réputé à Strasbourg, celui de la brasserie Kohler-Rehm, fondée par son arrière-grand-père, située sur la prestigieuse place Kléber.