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Transports : l’Allemagne lance l’abonnement unique à 49 euros
Le Deutschlandticket est valable dans l’ensemble des transports locaux et régionaux, dans tout le pays.
Par Cécile Boutelet (Berlin, correspondance) LE MONDE
C’est au départ une initiative anti-inflation, une idée née en 2022 au plus fort de la crise énergétique, destinée à encourager les automobilistes à prendre le train : un ticket unique de transports publics locaux valable dans toute l’Allemagne, à un prix attractif
Testé à un tarif de 9 euros pendant l’été 2022, le ticket a été si populaire que Berlin a décidé de pérenniser le dispositif. A partir du 1er mai, l’Allemagne propose un abonnement unique à 49 euros par mois, valable pour tous les transports locaux et les trains régionaux, dans tout le pays. Au 24 avril, 750 000 tickets avaient déjà été écoulés en prévente, a annoncé le ministre des transports.
Le dispositif est subventionné par l’Etat fédéral à hauteur de 1,5 milliard d’euros, à égalité avec les Länder. Ce compromis est le résultat d’une très longue négociation avec les autorités régionales, certaines proposant un abonnement mensuel deux à trois fois plus cher. La nouvelle offre est présentée comme un élément central des efforts de baisse des émissions de CO2 dans le secteur des transports, le plus mauvais élève de la décarbonation allemande.
Particularismes locaux
C’est aussi un choc de simplification rare dans un pays fédéral attaché à ses particularismes locaux. Dans les transports en commun, les innombrables zones et leur tarification opaque formaient jusqu’ici un maquis décourageant pour les voyageurs. La simplicité offerte par le nouveau ticket permet non seulement de se déplacer plus facilement et moins cher au niveau local ou régional, mais elle offre également de nouvelles possibilités de voyager en train dans toute l’Allemagne, pour peu qu’on soit un peu patient.
Car, si les trains à grande vitesse ICE ne peuvent être utilisés avec l’abonnement, presque tous les moyens de transport locaux et régionaux sont accessibles : un touriste parti de Karlsruhe qui voudrait tester le célèbre métro suspendu de Wuppertal ou un des ferrys qui traversent le port de Hambourg pourra le faire avec le même ticket. La compagnie de transports berlinois BVG, connue pour ses publicités facétieuses, a illustré les nouvelles options de voyage ouvertes par le nouveau Deutschlandticket : « La Bavière appartient désormais à Berlin », ose une affiche provocatrice, qui présente un tram jaune berlinois sur un fond alpin. Sous-entendu : il n’a jamais été aussi facile de traverser l’Allemagne en transport en commun.
A condition bien sûr de pouvoir monter dans un train… Et d’arriver à destination. C’est là que le ticket pourrait réserver quelques mauvaises surprises. L’Allemagne, qui avait fortement désinvesti le rail ces vingt dernières années, s’est lancée dans un immense programme de rénovation de ses infrastructures vétustes. Sur certains tronçons très sollicités, comme dans le sud-ouest du pays, les travaux perturbent considérablement la circulation, ce qui accentue les problèmes de personnel, les avaries de toilettes ou les problèmes d’approvisionnement des wagons-bars, avec des retards à destination qui dépassent souvent une heure.
En 2022, l’Allemagne a ainsi battu un record de non-ponctualité : seuls 65 % des trains sont arrivés avec moins de six minutes de retard, contre 75 % en 2021. Une contre-performance qui a aussi à voir avec le succès du ticket à 9 euros. Durant les mois d’été, où le dispositif était en vigueur, il n’était en effet pas rare de voir des trains plus chargés que d’habitude, forcés de consacrer des minutes supplémentaires pour la montée et la descente des voyageurs en gare.
S’ancrer dans les habitudes
Par ailleurs, les analyses effectuées pendant l’été n’ont pas permis de démontrer une baisse du trafic routier et un transfert modal significatif. Autrement dit : le ticket à 9 euros par mois a encouragé certaines personnes à voyager davantage en train, sans que les automobilistes aient laissé massivement leur voiture au garage.
L’effet sera-t-il différent avec l’abonnement à 49 euros, destiné à durer et donc à s’ancrer dans les habitudes ? Les promoteurs du dispositif l’espèrent. Sa centralité et son ancrage à long terme devraient par ailleurs permettre de recueillir un grand nombre de données sur les habitudes de transport, et potentiellement d’améliorer le service, y compris en complémentarité avec la voiture.
Le ministre fédéral des transports, Volker Wissing, a ainsi proposé l’idée, provocatrice pour certains… qu’un abonnement soit offert par les constructeurs ou les concessionnaires à tous les acheteurs d’une nouvelle voiture. L’idée n’est pas de condamner l’automobile, qui reste indispensable à tous ceux qui vivent à la campagne, explique-t-il, mais d’accepter que l’on puisse la laisser en dehors de la ville. Le ministre, membre du parti libéral et pro-automobile FDP, n’entend donc pas faire de l’abonnement à 49 euros une déclaration de guerre à la berline allemande. Reste à voir quel sera l’effet réel sur les émissions carbone du pays.
Cécile Boutelet(Berlin, correspondance)