
Dans le prolongement de publications précédentes, nos lecteurs proposent cet entretien avec l’ancien premier ministre
https://metahodos.fr/2020/09/21/designer-le-separatisme-et-accepter-communautarisme/
https://metahodos.fr/2020/09/28/islamisme-la-france-a-t-elle-baisse-la-garde/
ENTRETIEN avec Manuel Valls, ancien Premier ministre
«La société s’est relâchée, et l’ennemi terroriste se nourrit de nos faiblesses»
QUENTIN LAURENT · sept. 27, 2020
Il y depuis plusieurs semaines un bruissement sur les risques qui pèsent. Nous savons que le salafisme a progressé dans nos quartiers, comme on l’a vu vendredi ou ces derniers mois, à cause d’une radicalisation plus ou moins rapide dans nos quartiers, sur Internet ou dans nos prisons. Il faut clairement désigner l’islamisme comme l’ennemi et le défi de ce début de siècle.
Vous avez l’impression que la société a évolué depuis 2015, sur le sujet ?
Les Français ont pris conscience du risque, mais l’ennemi terroriste se nourrit de nos faiblesses, de nos naïvetés, de nos demi-mesures. Je veux être clair : il y a depuis plusieurs semaines un bruissement sur les risques qui pèsent. C’est toute la société française qui est placée par les djihadistes comme cible prioritaire, et notamment ceux qui incarnent le combat contre l’islam politique. C’est intolérable et cela demande un sursaut.
Quel sursaut ?
L’islamisme veut nous fracturer, nous casser. Et il nous pose un défi considérable. Quelle est la réponse collective que nous pouvons apporter à cette violence ? Il faut que le défi soit pris au sérieux. La société s’est relâchée, nous nous sommes habitués à la violence ou à un antisémitisme vil’avons rulent sur les réseaux. J’appelle à un changement d’état d’esprit. Il faut désigner clairement l’ennemi : c’est l’islamisme, le salafisme, les Frères musulmans, cet islam politique qui est un nouveau fascisme. Il faut le combattre par l’etat de droit, nos forces de sécurité et le renseignement mais aussi par une mobilisation profonde de la société, dans la rue, dans les services publics, à l’école, dans les entreprises, dans les clubs sportifs, sur les réseaux sociaux. C’est une bataille politique, idéologique, culturelle qui sera longue et difficile, que nous gagnerons si nous sommes unis et si nous croyons en nos propres valeurs.
Politiquement, que peut-on faire ?
Tout est possible. La première urgence, c’est la remobilisation du camp républicain et laïc. Les partis politiques, les syndicats, les associations, les enseignants, les intellectuels doivent être mobilisés. Une partie non négligeable de la jeunesse musulmane ne condamne pas les attentats de « Charlie », et met la religion au-dessus de la République. C’est bien que nous avons failli. Nous avons besoin d’une mobilisation civique sans précédent.
François Hollande a dit qu’il fallait « donner la priorité à l’éducation ». Vous êtes sur la même ligne?
Oui. Il faut surtout écouter Jean-pierre Obin (NDLR : exinspecteur de l’education nationale, auteur d’un livre sur la radicalisation à l’école), un républicain de gauche comme moi, sur l’aveuglement de l’education nationale face à l’islamisme. Mais aussi arrêter de s’excuser. C’est un débat que j’avais eu avec Emmanuel Macron en 2015. Lui considérait qu’il y avait une explication qui pouvait être donnée pour comprendre le passage à l’acte terroriste. Il n’y a pas d’explication. Je reprends les mots de Charles Péguy : « Toutes les explications sont des capitulations, et toutes les capitulations regorgent d’explications. » Il faut arrêter de s’excuser d’être français et républicains. Soyons fiers de notre histoire et notre culture.
Vous aviez dit « comprendre, c’est déjà vouloir un peu excuser » le terrorisme. Mais comprendre pour connaître, n’est-ce pas la meilleure façon pour prévenir ?
Mais nous connaissons déjà ! L’islamisme – qui défigure l’islam et réduit au silence des millions de musulmans pacifiques — a un projet politique : en finir avec notre modèle et notre laïcité. Nous savons d’où viennent les attaques terroristes, que le salafisme a progressé dans nos quartiers, qu’il a des complices dans une partie de la gauche. Nous savons aussi le travail qu’il faut mener d’un point de vue politique, culturel, éducatif. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas mener la bataille économique et sociale – je n’ai toujours pas compris pourquoi on avait torpillé le rapport Borloo sur les quartiers populaires –, mais, je le répète, c’est une bataille politique qu’il faut mener.
Emmanuel Macron est-il trop angéliste ?
Non, je pense qu’il a changé. Il a pleinement pris conscience, avec la fonction qui est la sienne, de la réalité, loin de ce discours libéral libertaire qui était le sien avant.
Pourtant, vous estimez que son emploi du mot « séparatisme » n’est pas pertinent.
Il faut lutter contre tous les séparatismes ou les communautarismes, mais à condition de bien les nommer. Le grand sujet, c’est la bataille contre l’islamisme. Il faut étudier, comme je l’avais proposé, l’interdiction du salafisme, véritable menace pour notre pays. Et agir : pour les sorties scolaires comme à l’université, la loi de 2002 d’interdiction des signes religieux doit pleinement s’appliquer.
La gauche vous apparaît-elle toujours aussi divisée ?
L’erreur fondamentale d’une partie de la gauche politique, intellectuelle, médiatique a été de considérer que les musulmans constituaient un nouveau prolétariat, une masse informe et globale, et que tout ce qui venait d’eux était juste. Quand j’avais parlé d’islamogauchisme, je dénonçais les complices de l’islamisme, de ceux qui veulent imposer leur religion. Il y a bien en France deux gauches irréconciliables.