
PRESENTATION
comment moderniser la langue sans la trahir
Suite à l’initiative 10 sur 10 de Drameducation en partenariat avec la Comédie-Française, qui propose à dix auteurs francophones de réécrire des pièces de Molière, le professeur de littérature des 17ème et 18ème siècles Marc Escola explique comment moderniser la langue sans la trahir.
En partenariat avec la Comédie-Française, l’initiative 10 sur 10 de Drameducation, centre international de théâtre francophone en Pologne, invite des jeunes auteurs et autrices francophones à réécrire les pièces de Molière pour que les élèves puissent y avoir accès plus facilement, ou du moins, d’une manière nouvelle. La langue de Molière est-elle devenue trop ardue pour les écoliers d’aujourd’hui ? S’agit-il d’une question de structure de phrases, de lexique, ou de difficultés à se concentrer ? Réponses au micro de Marie Sorbier avec Marc Escola, professeur à l’Université de Lausanne, spécialiste de littérature des 17ème et 18ème siècles.
Nos publications évoquant MOLIERE:
https://metahodos.fr/2020/06/07/gestion-du-covid-on-a-donne-raison-a-diafoirus-et-purgon/
EMISSION
« Ce qui est le plus proche de l’humour de Molière aujourd’hui, c’est l’humour des Youtubeurs »
Dans l’émission AFFAIRE EN COURS par Marie Sorbier France Culture
Le théâtre comme outil d’apprentissage de la langue française
L’objectif de l’initiative pédagogique 10 sur 10 est de permettre à dix auteurs et autrices francophones de proposer, grâce à Molière, de nouvelles pièces destinées essentiellement à l’enseignement du français en langue étrangère (FLE).
Il ne s’agit pas de dépoussiérer Molière, mais d’inventer avec lui des pratiques pédagogiques et des nouvelles formes d’écriture dramatique pour les dramaturges d’aujourd’hui.
Marc Escola
Selon le professeur de littérature, reste que la langue de Molière est aujourd’hui ardue pour les élèves français et francophone. Si Corneille et Racine se souciaient dès le 13ème siècle du vieillissement de leur langue, en rééditant plusieurs fois leurs oeuvres afin d’en moderniser la langue, ce n’est pas le cas de Molière, qui n’a publié qu’une seule version de ses pièces dans la majorité des cas.
Par ailleurs, les textes imprimés de Molière ne sont pas nécessairement les textes que jouaient Molière et sa troupe. Par exemple, un abrégé des Précieuses ridicules par Mademoiselle Dejardins, future Madame de Villedieu, femme de lettres et dramaturge, ne correspond pas exactement au texte imprimé par Molière l’année suivant la première représentation de la pièce.
La langue de Molière a vieilli, et son humour est daté, estime Marc Escola. Ainsi, les termes qui amènent le débat sur le mariage entre Armande et Henriette dans Les Femmes savantes ne résonnent plus avec les jeunes lecteurs d’aujourd’hui. En effet, sauront-ils qu’un beau noeud signifie un mariage ? De même, pour comprendre ce dialogue, il faut savoir qu’au 17ème siècle, le terme fille désigne précisément une femme non mariée, et pas seulement une adolescente. Plus encore, lorsqu’Armande parle d’étrange image, elle ne fait pas référence à quelque chose de bizarre, mais plutôt à un élément qu’elle juge monstrueux, démesuré : le phallus.
En quoi Molière est-il drôle ?
Une première manière de mieux comprendre le texte serait de se demander à quoi riaient les contemporaines de Molière. Cette démarche d’histoire des mentalités peut se matérialiser au moyen d’annotations au texte, comme l’ont fait les professeur.e.s Georges Forestier, Claude Bourqui ou Lise Michel. Ces derniers se sont employés à montrer que Molière avait développé un humour de connivence avec le public contemporain : ses textes étaient criblés d’allusions à la culture galante et mondaine de son époque.
Il faudrait presque une note pour chaque vers ! Ce qui est d’autant plus significatif, c’est que les notes de la Pléiade de Molière ne suffisent pas : tout ce travail éditorial est adossé à une base de données, « Molière 21 », où sont décryptées tous les jeux de mots, toutes les allusions et plaisanteries de connivence de Molière avec ses contemporains.
Marc Escola
Il me paraît délicat de postuler que Molière aurait touché un comique intemporel. Au théâtre, les comédiens, dramaturges et metteurs en scène font un énorme travail de médiation et d’appropriation.
Marc Escola
Une méthode alternative serait de se demander de quoi nous pouvons rire aujourd’hui avec Molière. C’est la façon de faire des comédiens et metteurs en scène d’aujourd’hui, et une opportunité potentielle sur le plan pédagogique. Offrir des réécritures contemporaines de Molière, comme celle de Marianne Dansereau où les personnages féminins des Précieuses ridicules sont devenus des influenceuses et des Youtubeuses, pour inciter les élèves à s’intéresser aux textes originaux, c’est bien le pari du Centre international de théâtre francophone de Pologne et de l’initiative 10 sur 10.
Il s’agit de travailler avec des élèves à une comparaison, de confronter la scène de Molière à ce qu’un dramaturge d’aujourd’hui a voulu en faire.
Marc Escola
Les Précieuses ridicules est un texte particulièrement difficile, précise Marc Escola, dans la mesure où les deux protagonistes principales ont pour référence les romans de Mademoiselle de Scuderi, qui sont ignorés du public d’aujourd’hui. Il faudrait alors inventer ou s’approprier autrement ce décalage entre culture livresque et culture du monde réelle.
Toutes les idées sont bonnes à prendre. Il n’est pas aberrant de penser aux influenceuses d’aujourd’hui pour Les Précieuses ridicules, pour peu qu’on mette en scène des personnages qui pensent pouvoir intégrer facilement le monde de YouTube, en copiant maladroitement d’autres Youtubeurs.
Marc Escola
Le comique de Molière fonctionne sur des sketches. Ce qu’il y a de plus proche de l’humour de Molière aujourd’hui, ce serait peut-être l’humour des Youtubeurs. Marc Escola