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«IL MANQUE UN MANDAT POPULAIRE POUR RÉFORMER L’ÉTAT»

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« Nous n’avons point d’État. Nous avons des administrations »

L’ancien secrétaire à la Réforme de l’État réagit à la disparition de l’ENA, « un symbole qui ne doit pas cacher la forêt administrative ».

Arnaud Teyssier avait corédigé il y a six ans un rapport sur les perspectives d’avenir de l’encadrement supérieur de l’État

Il a récemment apporté l’analyse suivante sur la réforme de l’ENA: « Avec plusieurs inspections, nous avions alerté le gouvernement sur la relève démographique des années à venir et le nombre élevé de hauts fonctionnaires qui allaient partir en retraite. Nous insistions sur la nécessité de construire une vraie politique de ressources humaines sur les carrières et les métiers, sur les besoins publics les plus prospectifs.

La décision que s’apprête à prendre Emmanuel Macron me semble être une réponse essentiellement politico-symbolique. S’agit-il de faire oublier les difficultés du moment, de désigner des boucs émissaires, comme si les énarques étaient directement responsables de la gestion de la crise sanitaire. On casse ce qui marche encore sans définir de vraies perspectives. On met la charrue avant les bœufs en supprimant l’ENA avant d’envisager de réformer en profondeur l’action de l’État alors qu’on devrait faire l’inverse en commençant par se demander comment conduire l’action publique et vers quels objectifs, avant de se demander quelle école on supprime symboliquement, quels corps on « punit ».

J’ai l’impression parfois que ce sont des réformettes préparées par des énarques insatisfaits sur la base de leurs souvenirs d’école, mais qui ne touchent pas aux vrais problèmes qui engagent le gouvernement de la France.« 

Présentation de l’entretien avec Thierry MANDON :

« Nous n’avons point d’État. Nous avons des administrations. » Ainsi parlait Anatole France, écrivain français sous la IIIe République, Prix Nobel de littérature à une époque où l’École nationale d’administration (ENA) n’existait pas encore. Aujourd’hui, l’institution qui formait jusqu’ici les cadres de l’administration fait face au même procès en éloignement et en complexité. Loin du réel, nos hauts fonctionnaires compliqueraient plus qu’ils n’aideraient la bonne marche du pays. Sa suppression au profit d’un Institut du service public annoncée par Emmanuel Macron, jeudi 8 avril, signe un changement d’ère en même temps qu’une petite révolution managériale au sein de la haute fonction publique. Mais pour quoi faire ? Thierry Mandon, secrétaire d’État socialiste à la Réforme de l’État dans le premier gouvernement Valls, acquiesce au changement, mais prévient : l’État, c’est nous.

« La réforme globale de l’État français est la condition d’un renouveau de la confiance citoyenne en nos institutions.  »

L’Etat éidéal, extrait: « C’est un État qui aura su changer son architecture sur plusieurs plans. Un volet institutionnel, d’abord. Quelle durée pour le mandat présidentiel ? Doit-il être renouvelable ? Un volet stratégique, qui implique plus de décentralisation, une clarification du rôle des uns et des autres, ce qui passe par une forme de simplification.

Un volet organisationnel, pas seulement de la haute fonction publique, mais de tout ce qui concerne la préparation et l’évaluation des politiques publiques, la fabrique de la loi et des normes. Il faut aussi aborder la question de la confiance du citoyen en son administration. Cela implique une réaffirmation de certaines valeurs très importantes pour que l’État soit producteur de repères, qu’il ne varie pas sans arrêt et qu’il fasse en définitive ce qu’il annonce.

« Le vrai sujet, c’est que le politique n’a ni l’énergie ni la méthode pour réformer en profondeur. « 

Nous aurions également besoin d’un plan global de réinvestissement portant sur les quatre grands services publics : justice, police, santé, enseignement et enseignement supérieur.

La réforme globale de l’État français est la condition d’un renouveau de la confiance citoyenne en nos institutions.

ENTRETIEN

« Il manque un mandat populaire pour réformer l’État »

Par Jacques Paugam Publié le 19/04/2021 Le Point

Le Point : Fallait-il un énarque pour supprimer l’ENA ?

Thierry Mandon : Il fallait un projet plus qu’un homme. Cette vision, ce projet, c’est celui de la transformation de la haute fonction publique dans notre pays. Mais il y a peut-être eu un malentendu sur la nature même de cette ambition du président. En choisissant d’angler sa communication sur la « disparition » de l’ENA, le projet n’est pas porté pour ce qu’il est vraiment : une revue en profondeur de la haute fonction publique, à commencer par les grands corps de l’État… Comparé aux ambitions affichées concernant le recrutement, la formation, la gestion des carrières et la formation en continu des cadres supérieurs de la fonction publique, la fin de l’ENA n’est qu’une brique d’un plan plus vaste et ambitieux.

Je voulais en faire une haute université dédiée à la formation des cadres de l’État, mais je n’ai pas été suivi.

Vous étiez en charge de la simplification. Pourquoi ne pas l’avoir fait sous le mandat de François Hollande ?

Je me souviens d’avoir suggéré des choses concernant l’ENA sans aller jusqu’à sa suppression, mais qui relevaient, à l’époque, d’une évolution en profondeur. Je voulais en faire une haute université dédiée à la formation des cadres de l’État, mais je n’ai pas été suivi. Ce n’était pas dans l’air du temps, voilà tout. Jean-Pierre Jouyet, l’ancien secrétaire général de l’Élysée, reconnaît lui-même, dans son livre L’Envers du décor, un raté sous François Hollande : celui de ne pas avoir su réformer l’ENA.

Certaines oppositions ont dénoncé un populisme facile qui ne règle en aucun cas les défis de l’État d’aujourd’hui. Une société qui rejette la faute sur ces élites est-elle une société malade ?

La suppression de l’ENA de cette façon, à ce moment précis, peut donner en effet le sentiment que l’école fait figure de victime expiatoire, mais n’évacue pas le problème. Au risque de me répéter, les questions sur l’entre-soi du recrutement, le contenu de la formation, l’impression que donnent les diplômés de tout savoir en sortant frais émoulus de l’ENA sont les problèmes de la haute fonction publique. Cette réforme de l’école n’est qu’un des aspects de la transformation de l’État en profondeur qui doit intervenir et que j’appelle de mes vœux.

L’ouverture sociale de l’ENA est un problème commun à toutes les grandes écoles en France comme à l’étranger. Il y a donc une véritable difficulté à passer de l’intention à la réalisation. L’ouverture à la Science Po que vous décrivez est assez minimaliste et sert aussi un objectif de communication. Ce n’est pas parce que l’ENA disparaît que l’on va régler la question de l’intégration sociale. Je remarque aussi qu’il y a aujourd’hui plus de 30 % de boursiers à l’ENA, ce qui se sait peu. Si j’avais un avertissement à donner à l’exécutif, je dirais : « Prudence, les intentions sont bonnes, mais tout est affaire de mise en œuvre. Il n’y a pas de recette magique. »

On a vu des pays bien moins étatistes – Royaume-Uni, États-Unis – subir le choc de la crise sanitaire, investir dans la recherche pour finir par se relever beaucoup plus vite. La décision de supprimer l’ENA, n’est-ce pas aussi la sanction d’une élite qui n’a pas su voir venir ?

Je ne suis pas sûr que les énarques aient le dos aussi large. Ce sont aussi nos choix industriels qui nous ont conduits aux difficultés actuelles. Sans vouloir incriminer qui que ce soit, la culture du principe de précaution, de l’absence de prise de risque nous a conduits à des impasses. Prenez la question de l’ARN messager – une technologie complètement novatrice – en laquelle les grands groupes industriels français n’ont pas cru, alors que le patron actuel de Moderna est un Français. Ce n’est pas qu’un problème de haute administration, mais aussi de culture sociétale. Il faut veiller à changer nos mentalités.

Le coût de l’administration française, son budget de fonctionnement, est le même que dans les autres pays.

Emmanuel Macron a appelé à retrouver « l’esprit de 1945 ». Quel est, pour vous, le portrait-robot de l’État idéal qui naîtrait des décombres de la crise ?

C’est un État qui aura su changer son architecture sur plusieurs plans. Un volet institutionnel, d’abord. Quelle durée pour le mandat présidentiel ? Doit-il être renouvelable ? Un volet stratégique, qui implique plus de décentralisation, une clarification du rôle des uns et des autres, ce qui passe par une forme de simplification. Un volet organisationnel, pas seulement de la haute fonction publique, mais de tout ce qui concerne la préparation et l’évaluation des politiques publiques, la fabrique de la loi et des normes. Il faut aussi aborder la question de la confiance du citoyen en son administration. Cela implique une réaffirmation de certaines valeurs très importantes pour que l’État soit producteur de repères, qu’il ne varie pas sans arrêt et qu’il fasse en définitive ce qu’il annonce. Nous aurions également besoin d’un plan global de réinvestissement portant sur les quatre grands services publics : justice, police, santé, enseignement et enseignement supérieur. La réforme globale de l’État français est la condition d’un renouveau de la confiance citoyenne en nos institutions.

Vous développez un certain nombre de propositions, toutes plutôt consensuelles, mais un État efficace n’est-il tout simplement pas un État allégé ?

Je ne suis pas sûr. La taille de l’État est fonction de l’architecture sociale du pays, qui est un choix collectif. Le coût de l’administration française, son budget de fonctionnement, est le même que dans les autres pays européens. Qu’est-ce qui coûte cher en France ? C’est un certain nombre de prestations comme les retraites, la santé et, accessoirement, l’armée, qui relèvent de nos choix de société. Et ce n’est pas le cas chez nos voisins. Je suis pour les maintenir, mais je comprends que le débat existe. Le but, ce n’est donc pas que l’État soit plus allégé, mais plus agile. Je pense que l’État n’est pas assez contrôlé dans ses actions de proximité. Les usagers citoyens doivent être associés à cette évaluation concrète.

Le vrai sujet, c’est que le politique n’a ni l’énergie ni la méthode pour réformer en profondeur.

On parle beaucoup de l’État profond, d’une résistance de l’administration à se réformer elle-même. En avez-vous fait l’expérience quand vous étiez aux responsabilités ?

L’administration a l’éternité devant elle, ce qui crée, par définition, un certain nombre de lourdeurs. Elle dispose d’un temps que le politique n’a pas et, quand les changements sont lourds et étalés dans le temps, cela peut apparaître, oui, comme une forme de résistance. Le vrai sujet, c’est que le politique n’a ni l’énergie ni la méthode pour réformer en profondeur. L’énergie, c’est le mandat de réforme demandé aux citoyens, parce que dans une élection présidentielle ces questions sont désespérément absentes. Il manque un mandat populaire pour réformer l’État, c’est ce mandat qui vous rend fort par rapport à votre administration. La méthode, c’est un calendrier approprié et une équipe dédiée. La planification imaginée par François Bayrou pourrait permettre cette projection sur dix ans et trouverait ainsi une véritable utilité.

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