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É. DUPOND-MORETTI CONVOQUÉ PAR LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE POUR UNE MISE EN EXAMEN ANNONCÉE.

Une mise en examen d’un garde des Sceaux en exercice serait inédite

Le ministre de la Justice, accusé d’avoir profité de ses fonctions pour intervenir dans des dossiers sur lesquels il travaillait en tant qu’avocat, est convoqué devant les juges le 16 juillet prochain. Une mise en examen d’un garde des Sceaux en exercice serait inédite, explique l’avocat Hervé Lehman dans un entretien accordé au Figaro, entretien plutôt à charge pour les juges, mais qui pose les enjeux de l’instance.

En tous cas, le calendrier d’une convocation d’ici une dizaine de jours met une pression forte sur le ministre et l’exécutif. Ce calendrier n’expliquerait il pas le renoncement, pour l’instant, du président à reconfigurer le gouvernement ?

Hervé Lehman est ancien juge d’instruction et avocat au barreau de Paris. Il a notamment publié L’air de la calomnie, Une histoire de la diffamation (éd.du Cerf, 2020 ), Le Procès Fillon (éd. du Cerf, 2018) et Justice, une lenteur coupable (PUF, 2002).

ENTRETIEN

ÉRIC DUPOND-MORETTI CONVOQUÉ DEVANT LES JUGES: «MAIS À QUOI JOUENT LES MAGISTRATS ?»

Par  Aziliz Le Corre – Le Figaro – 7 juillet 2021

FIGARO. – Le ministre de la Justice est convoqué devant les juges de la Cour de justice de la République (CJR) le 16 juillet, en vue de sa mise en examen dans le cadre de l’enquête ouverte en janvier 2021, portant sur des soupçons de prise illégale d’intérêts. Éric Dupond-Moretti a-t-il de bonnes raisons d’être inquiété, selon vous ?

Hervé LEHMAN. – À la fin de l’interrogatoire de première comparution du 16 juillet, les juges pourront soit placer Éric Dupond-Moretti sous le statut de témoin assisté, soit le mettre en examen. Dans la première hypothèse, l’affaire sera désamorcée, et continuera tranquillement vers un non-lieu probable. La seconde hypothèse est celle de tous les dangers, puisque pour la première fois un garde des Sceaux en exercice serait mis en examen pour ce qu’il a fait comme garde des Sceaux, à la demande des deux principaux syndicats de magistrats Ce que l’on peut dire à ce stade est que si les trois juges de la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République convoquent leur ministre en vue d’une éventuelle mise en examen, c’est qu’ils envisagent très sérieusement d’y procéder.

Notons un point positif : au contraire de ce qu’il s’est passé dans l’affaire Fillon, les juges ont respecté la tradition républicaine de la trêve électorale ; la perquisition et la convocation pour mise en examen n’ont pas été lancées pendant la campagne électorale des régionales, et se situent bien en amont de la campagne présidentielle.

Il n’y a pas eu de poursuite disciplinaire dans l’affaire du mur des cons, pas de sanction disciplinaire pour le faux procès-verbal de l’affaire Clearstream, un simple blâme pour l’affaire d’Outreau, vite digérée. Or, comment les juges peuvent-ils revendiquer à la fois l’indépendance, et l’absence de responsabilité ?
Hervé Lehman

Alors que le garde des Sceaux ambitionnait de réformer le statut de la magistrature, peut-on penser qu’il s’agisse d’un règlement de compte de la part des juges ?


Il existe deux niveaux de réponses à cette question. Le premier est celui du choix d’Éric Dupond-Moretti comme garde des Sceaux. C’était un coup médiatique, ce grand avocat d’assises ayant une notoriété exceptionnelle. Mais c’était, consciemment ou pas dans l’esprit du président de la République, une énorme provocation vis-à-vis des magistrats. L’habituellement modérée Union syndicale des magistrats a parlé de « déclaration de guerre ». Provocation dans la provocation, le nouveau ministre s’est empressé de nommer comme directrice de l’École nationale de la magistrature une avocate, pour briser « l’entre-soi » des magistrats. La première présidente et le procureur général de la Cour de cassation sont aussitôt sortis de leur réserve pour défendre l’École contre les attaques du ministre. J’ai dit alors dans vos colonnes que le nouveau ministre ne pourrait pas réformer après avoir braqué les magistrats et que la seule question était de savoir combien de temps il pourrait tenir à ce poste.

Mais il y a un second niveau, qui est au fond plus intéressant. Ce qui est reproché à Éric Dupond-Moretti est d’avoir engagé des enquêtes disciplinaires à l’encontre de magistrats, et en particulier deux magistrats du parquet national financier à la suite de l’enquête menée en marge de l’instruction relative à l’affaire de Nicolas Sarkozy dite Bismuth. Une enquête secrète et parallèle à une instruction judiciaire pendant des années, l’examen des appels téléphoniques des avocats ayant un lien avec celui de l’ancien président de la République, cela pose un sérieux problème de dérive de ce qui était en train de devenir un parquet national politique.

Mais les syndicats de magistrats refusent absolument que l’on s’engage sur la voie de la recherche de la responsabilité individuelle des magistrats qui commettraient des fautes. D’où leur réaction, d’une inhabituelle virulence. Il n’y a pas eu de poursuite disciplinaire dans l’affaire du mur des cons, pas de sanction disciplinaire pour le faux procès-verbal de l’affaire Clearstream, un simple blâme pour l’affaire d’Outreau, vite digérée. Or, comment les juges peuvent-ils revendiquer à la fois l’indépendance, et l’absence de responsabilité ? Quelle est la légitimité des juges, recrutés sur concours, qui de plus en plus s’écartent de l’application des lois lorsqu’ils les estiment contraires aux grands principes de « l’État de droit », s’ils n’ont pas à rendre de comptes dans les cas, heureusement rares, où ils commettent des fautes ?

L’obligation de démissionner quand on est mis en examen n’a aucun fondement juridique, et c’est même la négation de la présomption d’innocence.
Hervé Lehman

Un remaniement est attendu dans les mois à venir, pensez-vous qu’Éric Dupond-Moretti va pouvoir se maintenir à son poste ?

Une mise en examen du garde des Sceaux serait un gros caillou dans la chaussure d’Emmanuel Macron, au moment où il veut donner le dernier élan à son quinquennat. Ce que l’on a appelé la jurisprudence Balladur est une pratique selon laquelle un ministre mis en examen doit démissionner. Elle a été appliquée au début du quinquennat quand François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard ont dû quitter le gouvernement parce qu’ils allaient être mis en examen dans l’affaire des assistants parlementaires du MODEM . Depuis, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’il n’était pas favorable à cette pratique, et, de fait, Richard Ferrand n’a pas démissionné de la présidence de l’Assemblée nationale quand il a été mis en examen dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne, tandis que François Bayrou a finalement été nommé Commissaire au plan.

L’obligation de démissionner quand on est mis en examen n’a aucun fondement juridique, et c’est même la négation de la présomption d’innocence. La mise en examen résulte de l’existence d’indices rendant « vraisemblable » que la personne « ait pu » participer à une infraction, alors que pour une condamnation, il faut des preuves. Nombreux sont les ministres mis en examen qui ont ensuite été déclarés innocents, à commencer par… Édouard Balladur. Chaque année, des milliers de mis en examen bénéficient d’un non-lieu ou d’une relaxe. La mise en examen n’est qu’une étape procédurale et ne devrait pas être considérée comme une précondamnation

Il reste que dans ce contexte très particulier, une mise en examen du supérieur hiérarchique du parquet, auquel il serait reproché d’avoir agi illégalement à l’égard de magistrats, créerait une situation particulièrement inconfortable Comme il n’y a pas de précédent, il est difficile de prédire si Éric Dupond-Moretti pourrait tenir jusqu’à l’élection présidentielle. En tout cas, il n’aura fait que renforcer le corporatisme des juges qu’il voulait briser.

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