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CONCENTRATION DES MÉDIAS (1) : UN « RISQUE POUR LA DÉMOCRATIE » JEAN-BAPTISTE RIVOIRE

Huit milliardaires se partagent aujourd’hui l’essentiel de la presse française.

Vincent Bolloré premier actionnaire de Canal+, de deux grands groupes d’édition (Editis, Hachette), de nombreux journaux (magazines de Prisma Media, JDD, Paris Match) et de la radio Europe 1. C’est sur sa chaîne d’information CNews, que Eric Zemmour, polémiste d’extrême-droite, a pris son envol pour devenir candidat à la présidentielle.

Bernard Arnault détient Les Echos, Le Parisien Aujourd’hui en France, Radio Classique.

François Pinault est le propriétaire de l’hebdomadaire Le Point, la famille Dassault du Figaro.

Bernard Arnault, PDG de LVMH à la tête des quotidiens Les Echos, Le Parisien et de Radio Classique

Patrick Drahi président d’Altice, qui détient l’opérateur de télécoms SFR et surtout les médias BFMTV et RMC, sans compter l’antenne i24News. Ce, après avoir un temps eu dans son giron les titres de presse l’Express et… Libération – on y reviendra.

Xavier Niel est au capital du groupe Le Monde, de l’hebdomadaire L’Obs, peut-être sera-t-il le futur patron de La Provence.

Daniel Kretinsky a notamment pris possession de Marianne et Elle.

Bouygues a huit chaînes de télé, dont TF1 et LCI.

« Cette mainmise des grandes fortunes inquiète, surtout en période de campagne présidentielle. »

Peut on lire sur France Info. « Est-ce qu’elles influencent l’opinion, est-ce qu’elles ordonnent une ligne éditoriale aux rédactions, empêchent-elles de sortir des affaires gênantes ? Bref, les médias sont-ils toujours indépendants ? C’est ce que cherchent à savoir les sénateurs, qui ont installé une commission d’enquête sur la concentration des médias. Tous les grands patrons vont être auditionnés, à commencer mercredi 19 janvier par Vincent Bolloré, le PDG de Vivendi. »

« Ça pose des questions évidentes de pluralisme interne à ces rédactions,

surtout lorsque l’un de ces actionnaires, Vincent Bolloré, rompt avec ce qui se passait d’habitude, à savoir une autonomie relative des rédactions. On sait que CNews et Europe 1 sont soumises à une ligne politique de plus en plus marquée à l’extrême droite, de manière assumée. Et par ailleurs c’est la première fois dans une campagne électorale qu’un candidat émerge directement d’un groupe de presse. On a un actionnaire qui a rendu possible la candidature d’Eric Zemmour, cette candidature est le produit de l’exposition dont il a bénéficié sur Cnews entre 2019 et 2021, et C8 avec TPMP qui a consacré une importance incroyable à Zemmour entre septembre et décembre 2021. Nous sommes dans une campagne électorale qui se joue en grande partie à partir des conditions fixées par cet actionnaire », explique Alexis Lévrier, maître de conférences à l’Université de Reims, spécialiste de l’histoire des médias et auteur du livre Macron et Jupiter, le pouvoir présidentiel face à la presse paru aux éditions Les petits matins.

La fusion prévue entre TF1 et M6.

Alors que rapprochement annoncé entre Vivendi et Lagardère suscite de vives inquiétudes, la fusion entre TF1 et M6 inquiète cris qui sont favorables à la pluralité.

Deux points de vue s’opposent : « Il y a le discours d’Emmanuel Macron, qui dit qu’il faut des champions nationaux pour faire face à l’emprise des Gafa et Netflix, et le discours qui prétend que même si on fait des supers groupes français, ils ne feront pas le poids de toute façon. Peut-être que l’instrument de régulation que l’on devrait fixer est au niveau politique : limiter l’emprise de ces géants, leur capacité à préempter l’essentiel des recettes publicitaires de la presse. C’est peut-être un débat à mener au niveau européen : comment se battre contre l’emprise de ces géants ? Est-ce que c’est en fusionnant TF1 et M6 que l’on va résister à Google ou à Netflix, j’en doute… » déclare Alexis Lévrier.

La Loi de 1986 jugée obsolète

Reste à savoir ce que celui ou celle qui remportera l’élection présidentielle en avril fera du rapport du Sénat. Beaucoup jugent obsolète la loi de 1986 relative à la liberté de communication.

Dans une tribune du Monde publiée à la mi-décembre, plus de 250 journalistes et professionnels des médias, dont Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, appelaient les candidats à la présidentielle à prendre des engagements pour s’opposer au « fléau » de l’hyperconcentration dans les médias.

Ils réclamaient une « réforme en profondeur » de la loi de 1986, assortie de la création d’un « statut juridique » spécifique pour les rédactions et d’un « délit de trafic d’influence en matière de presse » pour « limiter tout interventionnisme des actionnaires » et « garantir la participation active des rédactions à la gouvernance de leurs médias ».

L’INFORMATION, BIEN PUBLIC ? «UN ESPACE PUBLIC À RÉINVENTER» Henri Pigeat https://metahodos.fr/2021/12/07/linformation-un-bien-public/

ACTUALITÉ. LE SENAT VA ENQUETER SUR LA CONCENTRATION DES MEDIAS. Quel impact sur la démocratie ? https://metahodos.fr/2021/11/23/le-senat-va-enqueter-sur-la-concentration-des-medias/

Les médias presse : 6% de confiance, 21% d’aide sur chiffre d’affaire. https://metahodos.fr/2021/09/10/la-presse-de-plus-en-plus-dependante-des-aides/

LES FRANÇAIS ET L’INFORMATION : DÉSINVESTISSEMENT DES ÉMETTEURS ET DES LECTEURS DANS UN BIEN COMMUN ? https://metahodos.fr/2021/07/27/les-francais-detestent-ils-linformation/

LA LIBERTÉ DES MÉDIAS VUE DE L’ELYSÉE : DE «L’EMPIRE LIBÉRAL» À «L’EMPIRE AUTORITAIRE» ? https://metahodos.fr/2021/06/07/de-lempire-liberal-a-lempire-autoritaire-quand-le-macronisme-a-un-gros-probleme-avec-la-liberte-des-medias/

INDÉPENDANCE DES MÉDIAS : LE DÉFI JURIDIQUE ET FINANCIER. J.CAGE https://metahodos.fr/2021/05/17/independance-des-medias-le-defi-juridique-et-financier-telos/

Entretien

Jean-Baptiste Rivoire « La concentration des médias est un risque pour la démocratie »

Publié le 16/01/2022, l’Union Propos recueillis par Samuel Ribot

Jean-Baptiste Rivoire, ancien pilier du journalisme d’investigation à Canal+, dénonce dans un livre les connivences entre le sommet de l’État et les capitaines d’industrie devenus patrons de groupes médiatiques toujours plus puissants.

À quel moment vous êtes-vous décidé à écrire sur les liens entre les trois derniers chefs de l’État et les grands patrons ayant choisi d’investir dans la presse ?

À partir du jour où Vincent Bolloré a pris le contrôle du groupe Canal+ afin de développer son influence et qu’il a décidé de mettre au pas toute la politique éditoriale, dont évidemment l’investigation. Je me suis dit que c’était là quelque chose qui pourrait un jour se raconter de l’intérieur, et j’ai donc commencé à prendre des notes. 

Comme une enquête remarquable avait déjà été faite sur Bolloré, je n’ai pas voulu m’intéresser à lui en particulier mais plutôt à l’aspect systémique de la question, à cette volonté manifestée par cinq grands patrons français (Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Patrick Drahi, Arnaud Lagardère et Xavier Niel) de prendre le contrôle d’une grande partie de la presse française. Au-delà de ça, je voulais comprendre pourquoi le monde politique laissait faire, pourquoi les règles du jeu étaient soit insuffisantes soit inappliquées.

“Sarkozy a agi avec une grande violence vis-à-vis de médias dont il était certain que la majorité le haïssait personnellement”

Pressions sur l’AFP et la direction du Monde, verrouillage de « l’affaire Cécilia »… On a tendance à l’oublier, mais Nicolas Sarkozy a été particulièrement offensif vis-à-vis des médias. Or, cela ne semble pas avoir servi de signal d’alarme.

Sarkozy a agi avec une grande violence vis-à-vis de médias dont il était certain que la majorité le haïssait personnellement. Il a par exemple tout fait, sans succès, pour empêcher que le trio Niel-Bergé-Pigasse n’acquière Le Monde. Mais en même temps, il a pu s’appuyer pendant longtemps sur des groupes très puissants comme Bouygues et Lagardère, qui ne lui ont pas ménagé leur soutien.

Forcément, ceux qui lui ont succédé se sont dits : « Quelle efficacité ! Il a réussi à se faire pote avec les milliardaires qui contrôlent la presse et qui l’ont soutenu massivement. Voilà un exemple à suivre ! »Hollande, quand il est arrivé, avait l’image du type qui blague avec les journalistes, respectueux de la règle, mais il s’est très vite intéressé (sous l’influence de sa compagne Valérie Trierweiler) à ceux qui contrôlaient vraiment les médias : les patrons de presse.

C’est ainsi qu’il a approché Vincent Bolloré et ensuite Martin Bouygues, avec lequel il a signé un armistice qui lui a été clairement bénéfique. Puis, à deux ans de la présidentielle, il a manœuvré pour placer Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions, où cette dernière s’est attelée à décimer la direction de l’information et les magazines d’information comme Complément d’Enquête ou Envoyé Spécial.

Pour Macron, ça a été beaucoup plus naturel puisque pratiquement tous ces groupes de presse lui ont offert une visibilité absolument incroyable, qui lui a permis de passer de quasi inconnu à président de la République en l’espace de dix-huit mois. Je ne dis pas que ces milliardaires ont fait l’élection, mais cette force de frappe médiatique a joué un rôle majeur.

Vous observez d’ailleurs qu’Emmanuel Macron, une fois élu, s’est empressé de soutenir une loi protégeant le secret des affaires. Dans quel but ?

Macron, c’est un banquier à l’Élysée. Il faut garder présent à l’esprit qu’il a fait fortune chez Rothschild entre 2008 et 2012, où il a travaillé dans le domaine des fusions-acquisitions et fréquenté tout le CAC 40. Or, ces gens-là sont exaspérés par les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation, qui les contraignent à une transparence dont ils ne veulent absolument pas. Ils demandent donc depuis longtemps une loi sur le secret des affaires, qu’Emmanuel Macron essaiera de faire passer une première fois sans succès en 2014, en tant que ministre de l’Économie. Ensuite, sous le poids des lobbys, l’Europe adoptera une directive sur le secret des affaires qui sera transposée chez de nous de manière particulièrement stricte. Aujourd’hui, cette loi entrave clairement la liberté d’informer en France.

Vous dénoncez une tentative de l’exécutif de « bâillonner l’information », mais de nombreux médias comme Mediapart, Le Canard Enchaîné ou certaines émissions de France TV continuent à en faire…

Le Canard, comme Mediapart, ont construit leur indépendance grâce à des statuts particuliers et sans avoir recours à la publicité, ce qui fait qu’on ne peut pas leur tordre le bras en matière éditoriale. Et les lecteurs suivent, montrant qu’ils sont prêts à payer pour de l’information indépendante et de qualité. Dans le domaine de l’audiovisuel, c’est beaucoup plus compliqué, en effet. Dans le privé comme dans le public.

Avec ce livre, ne craignez-vous pas d’alimenter le sentiment déjà très fort de rejet des médias et des responsables politiques ?

Voir qu’aujourd’hui des confrères de BFM ou CNews sont obligés d’aller couvrir des manifestations avec des gardes du corps, c’est quelque chose de tout à fait inquiétant. Il y a dans une partie de la population une énorme colère contre la presse qui m’interpelle, mais la presse doit aussi se regarder en face : soit les journalistes courbent l’échine (et les gens le voient), soit ils décident de faire de l’information avec déontologie et honnêteté en traitant tous les sujets, y compris ceux qui dérangent les actionnaires. On ne peut pas passer son temps à jouer les contre-pouvoirs tout en refusant de procéder à une analyse sans concession du travail des médias dans leur ensemble. C’est d’ailleurs pour cela que les gens accordent de plus en plus de crédit à des médias indépendants, quitte à les financer directement. C’est comme ça qu’on a monté notre propre média et qu’on s’apprête à diffuser une enquête en neuf volets sur le Président en exercice, quelque chose de tout à fait inédit, que toutes les chaînes nous ont refusé…

La commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias va entendre Vincent Bolloré, Bernard Arnaud et Xavier Niel la semaine prochaine. Qu’en attendez-vous ?

Pas grand-chose, dans la mesure où j’ai le souvenir de l’audition de Vincent Bolloré et Maxime Saada (président de Canal+), dans les mêmes conditions, en 2016, après la censure exercée sur un documentaire consacré au Crédit Mutuel. Les sénateurs avaient été totalement enfumés. Cette fois, tout dépendra de la façon dont ils se seront préparés, parce qu’en face, croyez-moi, les autres seront prêts ! L’intérêt, c’est que le travail de cette commission, qui plus est en année électorale, va braquer les projecteurs sur ce phénomène de concentration extrême des médias, qui comporte selon moi de grands risques pour la démocratie.

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