
BILLET
Pour une gauche radicalement pragmatiste et démocratique
BILLET DE BLOG 16 SEPT. 2022 LE CLUB DE MEDIAPART jimmy.behague Responsable national Génération-s délégué au handicap et à l’inclusion et président de la Neurodiversité-France
C’est le temps des congrès, des tribunes et des motions. Néanmoins, le texte qui suit ne sera ni une tribune où l’on accumule les signatures pour persuader de l’unanime adhésion au propos tenu de manière caricaturale; et ce ne sera pas non plus une motion car une motion ne s’adresse qu’aux militants d’un parti. Ce n’est qu’un billet d’espoir, et une déclaration de liberté.
C’est le temps des congrès, des tribunes et des motions. Néanmoins, le texte qui suit ne sera ni une tribune où l’on accumule les signatures pour persuader de l’unanime adhésion au propos tenu de manière caricaturale; et ce ne sera pas non plus une motion car une motion ne s’adresse qu’aux militants d’un parti.
Ce n’est qu’un billet d’espoir, une envie de retrouver une forme de foi, et une déclaration de liberté.
Tout le monde vous le dira, le monde va mal, la France va mal, les gens (dont moi) vont mal. Je n’ai donc pas besoin de l’écrire.
Depuis maintenant quelques années, je défends les droits des personnes en situation de handicap (dont toujours moi mais aussi mes enfants) et nous allons mal aussi.
Beaucoup partagent ce constat et beaucoup vous le décrivent avec force détails en vous proposant des solutions clé en main : transition écologique, sobriété, justice sociale. Ce sont des concepts importants mais, comme ils ne sont jamais définis, ils sont réduits à de simples éléments de langage.
Savez vous pourquoi ces mots ne sont pas définis par les partis ou les responsables politiques ?
Il y a plusieurs raisons à cela. J’en énoncerai quelques unes.
La première est que les partis et les organisations politiques sont désormais réduits à portion congrue. Et l’objectif principal de ces partis, qui jouent leur survie est de ne surtout pas perdre de militants à défaut d’en gagner. Définir, préciser les choses, les réaliser, crée des clivages, divise, car définir une chose, un concept en limite son champ d’existence, le conditionne.
Et la division étant parfois irrémédiable, la perte de militants un trop grand risque, les partis préfèrent un consensus flou qui ne sera pas tranché, sauf si victoire à des élections.
La seconde est que les partis sont si petits, que les personnes manquent pour réfléchir et travailler de façon structurée et complète sur des sujets aussi complexes. C’est donc un cercle vicieux car c’est précisément le manque d’identité intellectuelle qui empêche beaucoup de personnes d’adhérer à un parti ou à une association.
Ce n’est pas un manque de volonté, une paresse, c’est une volonté de survivre avec les conditions difficiles que les organisations politiques subissent.
De fait lorsque vous lisez une tribune vous êtes obligés de vous concentrer pour repérer une éventuelle intention à laquelle vous pourriez vous raccrocher pour croire à nouveau en la politique.
Une autre raison consiste en ce que les partis, du fait du faible nombre de militants, ne représentent plus en proportion suffisamment importante la société. Cette dernière raison a deux conséquences tragiques : une incapacité à transmettre et diffuser ses idées dans l’espace public et parmi les citoyens, ainsi qu’une incapacité à évoluer rapidement sur ces idées pour qu’elles soient corrélées de façon durable, à la diversité des réalités.
Une dernière raison parmi celles exposées, est que les partis étant fragiles, ceux -ci ont des difficultés à faire évoluer leurs diverses idéologies ou leurs systèmes de croyances. Le rythme effréné des séquences électorales et leur grand nombre n’aident pas.
Les militants le ressentent et beaucoup, tous partis confondus, m’ont témoigné en souffrir.
Mais cela, on ne peut le dire dans une tribune, ou une motion. Et pourtant, lorsque l’on souhaite incarner un projet d’avenir il convient de démarrer à partir de ce qui est existant même si cela conduit à ne pas se faire beaucoup d’amis comme c’est désormais certainement mon cas.
Pourtant, la fragilité des partis est précisément ce qui empêche les projets de changement de société de devenir concrets. Il ne s’agit pas uniquement de les réaliser, mais de faire en sorte que leur théorie soit réaliste et prête justement à être réalisée.
Même lorsque la NUPES y parvient, cela ne convainc plus.
A droite la situation n’est pas plus optimiste. Et c’est l’incapacité des forces modérées à créer une philosophie pratique de leur projet qui légitime les extrêmes.
De fait, si le Rassemblement National est si fort, il est causé par notre incapacité à être pragmatiste.
Etre pragmatiste (et non pragmatique) c’est pour le dire simplement, être en capacité d’analyser les problèmes, d’en poser un questionnement complet et clair, de formuler des hypothèses nombreuses et très diverses, afin les expérimenter pour résoudre le problème et évoluer. Si les partis arrivent actuellement à établir des constats, leur travail s’arrête là. Ils ne parviennent pas à formuler les bonnes questions, ce qui a pour conséquence de ne pas parvenir à formuler les hypothèses, et donc à ne pouvoir expérimenter les solutions. La seule exception qui nuance ce propos survient lorsqu’un parti bénéficie du travail d’associations qui ont déjà effectué un travail pragmatiste sur un sujet donné.
Au sein de Génération.s, mon parti, le Revenu Universel, par exemple, se confronta à cette problématique, et nos tergiversations sur le sujet engendra du doute chez les citoyens que cela pouvait intéresser.
On peut en citer d’autres, la laïcité au Parti Socialiste (qui a valu beaucoup de confrontations avec le Printemps Républicain), la sobriété chez EELV, le rapport à l’emploi au PCF, ou encore le rapport à la politique internationale chez LFI. (de vastes sujets, complexes, et très divers).
Aussi, ces sujets n’ont pas été analysés, définis, problématisés rigoureusement, et sont donc des propositions qui ne sont pas du tout concrètes et donc en l’état réalisables (même si elles sont réalistes).
Les causes n’ont pas été étudiées davantage ce qui créé un décalage entre ce que proposent les partis et ce que ressentent les citoyens dans leur quotidien. Un exemple éclairant fut notamment le Revenu Universel en 2017 qui, relié au Burn out comme seule allusion faite sur le sujet du travail, fut dès lors considéré comme une aumône par beaucoup d’ouvriers, d’employés qui considèrent que leur travail a un sens, et donc ne comprenaient pas le Revenu Universel comme un outil d’émancipation, mais au contraire comme un outil de déni de l’utilité sociale et économique de leur activité.
Aussi, abandonner les éléments de langage et ne proposer que ce qui a été travaillé réellement, complètement, avec humilité est selon moi un enjeu majeur. C’est le seul moyen de restaurer une crédibilité auprès des citoyens, et de proposer un projet qui soit aussi un récit générant de l’espoir. C’est le principal paradoxe de la politique et d’un projet de société, provoquer une foi réaliste.
Mais les partis ne peuvent être pragmatistes s’ils ne sont pas démocrates et démocratiques.
Démocrates, en ce qu’ils basent leur projet de société sur la défense des principes de la démocratie en France : la Défense réelle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, des Lumières (mais des Lumières dont la connaissance serait effective, et fiable). Si projet d’une nouvelle République, que les principes de la démocratie soient là aussi défendus.
Et démocratiques, en ce qu’ils permettent en leur sein la liberté d’expression, de débat, de construction politique, et d’accès aux responsabilités selon des règles claires et qui garantissent l’égalité réelle ainsi que la représentation fidèle de toutes et tous.
Actuellement, nous parlons beaucoup à gauche des questions sociales et écologiques mais finalement peu des questions démocratiques. Ce qui est déroutant.
Car il ne peut y avoir de société du partage sans une société de la participation.
Il ne peut y avoir une société écologique sans le respect des droits individuels.
Il ne peut y avoir de modèle économique viable écologiquement sans un débat continu au sein de l’espace public.
C’est peut être également pour cette raison que les partis ont de grandes difficultés à crédibiliser leurs programmes. Ils n’articulent pas suffisamment leurs projets et leurs propositions sur la question démocratique.
C’est pourtant cela à Génération.s et dans toute la gauche qui doit nous motiver.
La NUPES se doit de ne pas être une simple alliance avec des partis qui petit à petit sclérosent. Les partis ne doivent pas être seulement des appareils à programmes théoriques.
J’ajoute que nous devons mener une bataille culturelle. Non pas uniquement contre Macron dont c’est le dernier mandat et qui est en roue libre, mais contre le RN qui peut gagner en 2027. S’il y a bien un combat sur lequel nous pouvons gagner, c’est bien celui de la question démocratique et il s’agit du sujet sur lequel le RN n’arrivera jamais à progresser.
Militons donc pour une démocratie radicale et une gauche radicalement pragmatiste et démocrate.
Un dernier mot pour mon parti, que j’inclus dans le constat que je dresse et dans les espoirs que je nourris. Je ne signerai aucune tribune, aucune motion autre que celle qui mettra en avant le travail réel et réaliste sur des sujets maîtrisés et sur une volonté farouche de placer la démocratie comme le pilier de notre vision du monde et de notre société. Une démocratie sociale, écologiste et radicale. Je suis désormais libre de choisir cette ambition.
Je souhaite terminer par ces mots de John Dewey qui définit ainsi la démocratie radicale : « la démocratie n’est pas seulement dans les fins que même les dictatures revendiquent aujourd’hui comme les leurs : la sécurité des individus et l’égalité d’opportunité quant au développement de leur personnalité. Elle signifie aussi qu’une priorité absolue est donnée aux moyens par lesquels atteindre ces fins. Les moyens sur lesquels elle repose consistent dans l’activité volontaire des individus, par opposition à toute coercition ; dans l’assentiment et le consentement, par opposition à la violence ; dans la force d’une organisation intelligente, par opposition à l’organisation imposée de l’extérieur et d’en haut. Le principe fondamental de la démocratie est que les fins de liberté et d’individualité pour tous ne peuvent être atteintes que par des moyens en accord avec ces fins. »
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