
Italie : les élections législatives remportées par l’extrême droite
Un discours unitaire pour faire face aux craintes : Le discours de Giorgia Meloni s’est voulu prudent et unitaire afin de rassurer ceux qui voient dans cette victoire un danger pour la démocratie italienne et l’avenir de l’Europe.
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La victoire de l’extrême droite met-elle la démocratie italienne en danger?
Giorgia Meloni, un pur produit de la politique italienne depuis Berlusconi
ARTICLE 1
La victoire de l’extrême droite met-elle la démocratie italienne en danger?
Publié le 29 septembre 2022 SLATE Christophe Carron – Jean-Marie Colombani – Alain Frachon
La future présidente du Conseil Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia dominent largement le Parlement.
L’Italie votait le 25 septembre pour élire 200 sénateurs et 400 députés. Sans surprise, l’alliance des droites menée par le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia –et sa patronne Giorgia Meloni– est arrivée en tête avec 44% des voix. Un score qu’il faut décomposer en trois: 26% pour Fratelli d’Italia, près de 9% pour la Ligue de Matteo Salvini et un peu plus de 8% pour Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi.
En face, la coalition de gauche atteint péniblement les 26% (dont 19 pour le Parti démocrate), quand le Mouvement 5 étoiles de Giuseppe Conte assure plus de 15% et que le nouveau mouvement centriste Terzo Polo («troisième pôle») recueille près de 8% des voix. Une victoire écrasante de l’alliance menée par Meloni et une grande inquiétude en Europe face à une Italie qui, une nouvelle fois, se laisse tenter par l’extrême droite, qualifiée par beaucoup de «postfasciste».
La droite dure au pouvoir chez nos voisins n’est pas une première: on se souvient de Silvio Berlusconi, qui fut longtemps président du Conseil, et de Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur tellement présent qu’on en arrivait à le confondre avec le chef du gouvernement, Giuseppe Conte. Et même si Giorgia Meloni a écrasé dans les urnes les partis avec lesquels elle a passé son alliance, elle va devoir composer avec eux pour mettre en place son gouvernement.
Ainsi, est-ce que l’extrême droite de Fratelli d’Italia aura les mains libres? Et doit-on s’inquiéter pour la démocratie italienne?
ARTICLE 2
Giorgia Meloni, un pur produit de la politique italienne depuis Berlusconi
Gaël Brustier — Édité par Sophie Gindensperger — 26 septembre 2022 SLATE
Alors qu’en France, on annonce la victoire de l’extrême droite aux élections italiennes, de l’autre côté des Alpes, les médias italiens parlent de celle du «centro-destra» («centre droit»). Il est pourtant facile d’y voir clair.
Il n’y a aucune nouveauté radicale dans les résultats de ce dimanche 25 septembre en Italie. Ils sont le fruit d’un implacable processus dont les partis et responsables politiques de premier plan sont à la manœuvre depuis vingt-cinq ans.
La victoire de la coalition de droite comprenant Fratelli d’Italia (FdI, 26,4%), la Lega (9%) et Forza Italia (8%) est nette, massive, sans appel. Mais elle n’est pas inédite.
L’ombre de Berlusconi
Ces trois partis ont déjà gouverné ensemble dans le passé, et ce, depuis 1994. FdI est une formation issue d’Alleanza Nazionale (Alliance nationale, AN), qui a participé à différents gouvernements Berlusconi avec pour portefeuille les Affaires étrangères, la Défense ou la Jeunesse (avec Giorgia Meloni). La coalition retrouve le pouvoir sans être plébiscitée, avec des résultats connus par elle dans le passé.
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Par ailleurs, le score de FdI est identique à celui de la totalité du centro-sinistra (centre gauche, 26,4%). Les années Berlusconi ont radicalisé l’électorat de centre droit et FdI a siphonné ses partenaires, établissant d’abord un autre rapport de force à droite.
Berlusconi, toujours bien présent dans la vie politique italienne, est celui qui a légitimé FdI et la Lega en les amenant au pouvoir et, évidemment, en bousculant la perception que l’Italie se faisait pendant longtemps du passé fasciste.
Alessandra Mussolini sans le patronyme
Enrico Letta, secrétaire du Parti démocrate italien (PD), paye quant à lui à la fois les affres idéologiques des familles composant le PD mais aussi les surenchères des petits partis de gauche ou le cavalier seul du centre de Matteo Renzi. Aucune dynamique ne pouvait prendre dans pareil contexte. Letta paye l’abstention, massive dans les milieux populaires de gauche.
Le score du Mouvement 5 étoiles (M5S) est très correct (autour de 15%). Emmené par Giuseppe Conte, il se maintient comme une force politique importante en Italie. Au passage, son ancien chef, devenu dissident, Luigi di Maio, est expulsé du Parlement par les urnes.
Le «style Meloni» ne lui est pas propre: c’est celui de Berlusconi, Beppe Grillo, Umberto Bossi ou de son mentor Ignazio La Russa (ancien ministre de la Défense). La focalisation sur le fait qu’elle soit une femme fait perdre de vue qu’elle est le produit d’un quart de siècle de politique sous domination médiatique de Berlusconi. Elle fait du Alessandra Mussolini sans le patronyme.
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Berlusconi s’est tour à tour appuyé sur l’encadrement de l’ex-Parti socialiste italien (PSI) pour former Forza Italia, puis a absorbé AN au cours des années 2000: il cajolé les uns en défendant Bettino Craxi (mort en exil après sa condamnation dans l’opération «Mains propres» qui a révélé corruption et financement illégal des partis politiques dans les années 1990), puis les autres en émettant des idées frôlant le révisionnisme sur le fascisme.
Contexte européen
Meloni est davantage le produit du berlusconisme que de sa propre famille politique. Ce changement en Italie est d’abord celui des rapports de force au sein de la droite. Ce qui change, c’est le contexte européen. Gianfranco Fini, ancien président du parti néofasciste Mouvement social italien (MSI), puis fondateur du parti d’extrême droite Alliance nationale, avait été accueilli à la Convention Giscard sur l’avenir de l’Europe de 2001 avec une angoisse feinte: en deux jours, il était parvenu à rassurer tout le monde et devenir finalement un artisan et un avocat zélé de la constitution européenne.
Le contexte est différent: crise énergétique, économique, flux migratoires… Les partenaires européens doivent surtout s’attendre à des négociations à grand spectacle. Finalement, comme souvent en Italie, ne fallait-il pas que tout change pour que rien ne change?