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«TROP SENSIBLE» : DONNER LE NOM DE SAMUEL PATY À UN LIEU

Nommer une école, une place, un amphithéâtre ou une promotion en son honneur est une décision qui provoque encore des réticences.

Depuis l’assassinat du professeur d’histoire-géographie par un islamiste qui lui reprochait un cours sur les caricatures de Charlie Hebdo, le nom de Samuel Paty est devenu un symbole du combat pour la laïcité et de liberté d’expression. Mais nommer une école, une place, un amphithéâtre ou une promotion en son honneur est une décision qui provoque encore des réticences.

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« Trop sensible » : donner le nom de Samuel Paty à un lieu, un choix qui suscite encore des tensions

Par Jean-Loup Adenor. Publié le 14/10/2022 MARIANNE

Un acte « insupportable ». En décembre 2021, la plaque du square Samuel-Paty à Paris, située face à la Sorbonne, est dégradée. D’un coup de bombe, le vandale a tenté d’effacer le mot « islamiste » inscrit sous le nom du professeur « victime du terrorisme islamiste ». « Vouloir supprimer le caractère islamiste de cet acte odieux est insupportable », commente alors la maire du Ve arrondissement Florence Berthout (Divers droite), qui a déposé plainte. Cette dégradation illustre combien le nom de Samuel Paty, devenu malgré lui un symbole de laïcité, de liberté d’expression et de droit au blasphème, cristallise aujourd’hui encore les tensions. Jusqu’à provoquer, chez les responsables politiques ou institutionnels, une forte inquiétude.

Comme à Conflans-Saint-Honorine, dans le collège où travaillait l’enseignant. Pour rendre hommage au professeur, certains ont voulu renommer l’établissement « Samuel Paty ». « Un collège ou une rue Samuel-Paty, c’est ce qu’on lui devait au minimum », témoigne dans Marianne cette semaine Paul Marion, 26 ans, président des Amis de Samuel Paty et ancien élève du lycée. Une entreprise qui n’a pas abouti : « On a commencé par me dire que c’était trop tôt, que c’était trop sensible, qu’il fallait attendre mais que ça arriverait. » Deux ans après, « c’est la peur qui prend le dessus pour qu’on nous dise que c’est impossible : il ne faudrait surtout pas installer une cible sur l’établissement. »

LA PROMOTION SAMUEL-PATY

Mars 2021, Sciences Po Strasbourg. Le Bureau des étudiants de cet Institut d’études politiques (IEP) organise alors le vote par lequel la promotion doit décider du nom qu’elle va porter – traditionnellement, un personnage historique, une figure politique importante, un militant célèbre… Sur sa page Facebook, le BDE annonce les règles : chaque étudiant peut proposer des noms potentiels de promotion, lesquels doivent « répondre à deux conditions : la personne doit être décédée, et ne pas être « clivante » ». La direction de l’IEP précise qu’elle préférerait, dans un souci de parité, le nom d’une femme, mais elle ajoute que ce n’est pas obligatoire. Parmi les étudiants, un groupe décide de proposer le nom de Samuel Paty, pour honorer « un héros symbole du combat pour la liberté d’expression », expliquent-ils alors à Marianne.

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Le soir des résultats, le BDE dévoile la liste des noms sélectionnés : George Sand, Frida Kahlo, Marie Curie, Nina Simone et Gisèle Halimi, qui sera finalement choisie. Il est aussi précisé qu’après un « filtrage, la direction a choisi de retirer les noms qui avaient déjà été attribués à des promos précédentes. Dans un but de parité, les noms masculins ont aussi été écartés ». Ce qui était facultatif est donc devenu obligatoire. Parmi les noms censurés, celui de Samuel Paty, qui avec ses 31 voix aurait pourtant été qualifié pour la finale. L’établissement assure à l’époque à Mariannen’avoir pas décidé de « censurer » l’initiative des étudiants ; selon l’une d’entre eux, la disparition du nom du professeur reflète plutôt « une peur compréhensible mais aussi un aveuglement voulu : on se cache derrière une soi-disant lutte pour la parité afin de ne pas voir le problème ».

L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE SAMUEL PATY

Ailleurs pourtant, ce type d’initiatives a pu aboutir. En septembre à Tourcoing, la direction de l’Institut universitaire technologique (IUT) a inauguré un amphithéâtre au nom du professeur, ainsi que deux œuvres en son honneur : un portrait de Samuel Paty réalisé par le graffeur Ouroboros ainsi qu’une fresque murale du graffeur Maxime G. – « Contre l’obscurantisme. Pour les Lumières. Pour l’universalisme », peut-on y lire. Le cas le plus emblématique reste celui de l’école élémentaire Samuel Paty, inaugurée cette rentrée à Montpellier. Une décision capitale pour Michaël Delafosse le maire PS de la ville, lui-même professeur d’histoire-géographie. « Samuel Paty, c’est une figure qui me touche intimement, explique-t-il à MarianneLa IIIe République faisait très attention à la toponymie et aux dénominations en général. Ils avaient compris qu’il s’agit de raconter une histoire commune. » Pour le maire, renommer une école en hommage au professeur relevait donc de « l’évidence ».

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Michaël Delafosse reconnaît pourtant que son idée a d’abord été accueillie par un certain scepticisme, voire de la crainte. « Il ne s’agissait pas de commentaires malveillants mais j’ai dû me justifier, se souvient-il. C’était de l’inquiétude de leur part. Mais j’ai expliqué que si on renonçait là-dessus, les adversaires des principes républicains auraient gagné. Ce n’est jamais la peur qui doit guider nos choix, mais nos convictions. » Une fois mise au vote, la décision a recueilli l’unanimité des voix du conseil municipal : l’école tout juste construite dans le quartier de Tournezy devient donc l’école « Lucie Aubrac – Samuel Paty ».

« AUCUNE ALERTE »

Le ministre de l’Éducation nationale Pap N’Diaye se rend à l’inauguration du nouvel établissement, le 16 septembre. Les proches de Samuel Paty sont également présents, dont son meilleur ami.  « C’était bouleversant »confie Michaël Delafosse. Ce dernier prononce un discours pour réaffirmer l’importance de la mémoire : « Pour ce qu’il était, pour ce qu’il faisait, pour ce qu’il mettait en œuvre scrupuleusement, la vie de Samuel Paty fut arrachée. Un pareil événement dans l’histoire nationale ne peut sombrer dans l’oubli. Les dénominations de rues, de places, d’écoles contribuent à honorer les mémoires », déclare-t-il devant les invités.

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Si la décision a finalement été bien accueillie et l’initiative comprise par les riverains, parents et élus, c’est, selon Michaël Delafosse, parce qu’elle a été assumée « de façon parfaitement claire » : « Quand le maire d’une ville tient des positions très claires, que le ministre fait le déplacement et que nos valeurs sont réaffirmées, les choses se passent bien. Samuel Paty a été assassiné, il faut honorer sa mémoire car elle fait partie de l’histoire de notre pays au même titre que les victimes du Bataclan », explique-t-il. Et de prendre pour contre-exemple la déclaration d’Alexis Corbière sur les caricatures : « J’ai été très choqué de l’entendre dire qu’il n’aurait pas dû donner son cours de cette façon… » « Le métier d’enseignant, ce n’est pas de choquer en permanence les élèves, mais de le faire progresser », avait déclaré le député La France insoumise en octobre 2021 dans l’émission Ça vous regarde sur LCP.

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