
ÉMISSION
Libelle, pamphlet, caricature… satire à vue !
Jeudi 3 novembre 2022 FRANCE CULTURE
La Poire de Philipon, La Lanterne d’Henri Rochefort, Les Grimaces d’Octave Mirbeau… Le XIXe siècle est l’âge d’or de la presse satirique. Grâce à la loi libérale de 1881, pamphlétaires et caricaturistes peuvent s’en donner à cœur joie, mais leur liberté d’expression est-elle si absolue ?
Avec
Cédric Passard est professeur agrégé de sciences sociales à l’Institut d’études politiques de Lille et membre du CERAPS – Lille 1.
Laurent Bihl Historien des médias à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
Valérie Hannin Directrice de la rédaction du magazine L’Histoire
C’est la longue histoire de la liberté d’expression, celle de l’art du pamphlet, de la caricature et de la satire, avec les écrits acerbes de Juvénal et les mazarinades, avec Voltaire, Chateaubriand, Victor Hugo, et bien sûr avec les dessins de Philipon, les brûlots d’Octave Mirbeau, ceux d’Henri Rochefort, et le sourire de Cabu !
La liberté de la presse : l’âge d’or du pamphlet et de la caricature
Le pamphlet et la caricature semblent ménager un espace de liberté d’expression inédit au XIXe siècle, qui voit une multiplication des titres de presse. Le passage par les ciseaux de la censure, qui était auparavant la norme, par le jeu des autorisations préalables de parution, est définitivement aboli par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Tandis que le pouvoir politique relâche son contrôle sur la presse, l’alphabétisation de la population permet un élargissement du lectorat, le contexte politique de la Troisième République ouvre une période de démocratisation, et le progrès des moyens techniques permet un développement massif de la presse, et notamment de la presse d’opinion. Autant de facteurs qui invitent à investir un espace public en cours de construction et à haranguer l’opinion publique.
Pamphlétaires et caricaturistes profitent de cette liberté pour critiquer, parfois très violemment, les hommes politiques, le gouvernement, la justice, la religion, les questions sociales, en développant également une veine grivoise, voire franchement érotique. Cédric Passard, spécialiste de l’histoire intellectuelle et de la politisation sous la IIIe République, souligne l’existence de « différentes cultures politico-pamphlétaires. Nous trouvons des pamphlets socialistes, des pamphlets anarchistes ou libertaires, mais également des pamphlets monarchistes et nationalistes ; mais l’antiparlementarisme semble être partagé par tous ces pamphlétaires, pour des raisons différentes.
Chez les socialistes ou les anarchistes, nous retrouvons le rejet d’une république bourgeoise au nom d’une démocratie plus directe et plus pure, tandis que chez les monarchistes ou les nationalistes, on rejette la Gueuse (la République). Ainsi, ces oppositions se fédèrent mais n’ont finalement pas les mêmes visions. »
Les pamphlétaires et les caricaturistes ont à leur disposition toute une palette de procédés pour épingler leur cible : hyperbole, détournement, vulgarité, calembour, métaphore, ironie, attaque ad hominem… Ils ne reculent devant rien. Leurs textes et leurs dessins, s’ils sont parfois franchement drôles et inspirés, n’ont pas forcément pour seule vocation de faire rire le lecteur, mais aussi de le faire réfléchir, de le mettre mal à l’aise, ou simplement de représenter le réel dans toute sa complexité. Ils ont en revanche généralement recours à une rhétorique du dévoilement, qui se charge de montrer sans fard les vicissitudes de la vie politique, l’illicite, l’indicible, et même l’affreux. Face au public, ils affichent une ambition de pédagogie sociale, qui vise à émanciper le peuple.
Laurent Bihl, spécialiste de l’histoire des médias, évoque la diffusion du pamphlet et des caricatures : « Ces deux façons de contester et de traduire une indignation se tiennent dans un contexte d’immenses transformations sociales, urbaines et des modes de vie. Dans cette société changeante, la caricature ne se donne certainement pas la mission que se donne le pamphlet. La caricature cherche à être un noyau social et ne cherche pas forcément à faire rire. Elle traduit, par des hyperboles, des déséquilibres, des scandales sociaux et la misère. La dimension de dénonciation de la caricature se veut sociale. »
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