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APPAUVRISSEMENT DE L’EUROPE – IRRÉVERSIBLE ? – (SUITE 3)

PRÉCÉDENTES PUBLICATIONS :

APPAUVRISSEMENT DE L’EUROPE – PRIX ET APPROVISIONNEMENT – (2, SUITE). https://metahodos.fr/2023/01/10/appauvrissement-de-leurope-suite/

Voilà par ailleurs ce que l’on pouvait lire en 2010 …

ENTRETIEN

L’Europe peut-elle échapper à l’appauvrissement ?

Entretien de Vincent Mercier avec Jean-François Macquin et Joël Henri. Publié par Vincent MERCIER

Revue des Ingénieurs : Nous avons souhaité rencontrer un consultant ayant une vaste expérience et des relations avec de nombreux chefs d’entreprises ou hauts fonctionnaires. Dirigeant d’un cabinet de conseil en stratégie tu peux t’exprimer en toute indépendance afin de nous dire quel avenir tu vois pour l’industrie en Europe de l’Ouest. Nous nous demandons si elle pourra rester compétitive au niveau mondial.

Vincent Mercier : Il ne faut pas se demander si cela est possible mais affirmer que c’est nécessaire. Au préalable considérons le contexte économique mondial. En trente ans le développement écono­mique a engendré de monstrueux déséquilibres des finances, de la compétitivité et des systèmes écologiques qui sont tous trois devenus insuppor­tables. Aux États-Unis l’endettement total – ménages, entreprises et collectivités publiques – a dépassé 350% du PIB et est presque aussi excessif dans plusieurs pays d’Europe et au Japon. Les plans de relance économique accroissent encore plus l’endettement et les crises financières à répé­tition contribuent à cette fuite en avant. Les pertes de compétitivité de l’Europe et des États-Unis ont abouti à des déficits commerciaux de 194 et 256 milliards de $ en 2007 avec la Chine. Enfin il faut que d’ici 2050 les émissions de CO2 soient divisées par deux si l’on veut limi­ter le réchauffement climatique à 2° alors que sans action, la tendance est à une multiplication par deux.

R.I. : Alors l’Europe va-t-elle plonger dans la misère et les troubles sociaux ?

V.M. : Justement, pour éviter cela il faut conserver une industrie. Elle seule est créatrice de richesses. L’Europe n’a que peu de ressources naturelles, hormis son sol. Une éco­nomie de services de proximité ne peut être que pauvre.

R.I. : Mais tu parais négliger l’exploitation du potentiel représenté par l’éducation, la recherche, l’économie de la connaissance et l’avenir décarboné, pour reprendre les termes du document «UE 2020» de la Commission.

V.M. : C’est un leurre inventé par les milieux politiques pour tranquilliser l’opinion ! Il ne suffit pas de former des diplômés pour susciter la création d’entreprises perfor­mantes. Les Européens ne disposent d’aucun avantage com­pétitif en ces domaines par rapport aux Chinois ou aux Indiens qui ne coûtent que le tiers et ont des environne­ments de travail de niveau international. Qui pourrait pré­tendre que ces derniers seraient nettement moins productifs ou créatifs. La Chine a autant de chercheurs que l’Union européenne et les dépenses de R&D y croissent de 15% par an. Le partage du travail entre concep­tion en Occident et fabrication en Asie tend à disparaître. Les fabricants bénéficient d’un retour d’expérience, comprennent mieux le pourquoi des caractéristiques des produits et parviennent à les perfectionner par eux-mêmes. Seuls les Allemands sont parvenus à délocaliser sans perdre le contrôle de leur technologie.

R.I. : Nous nous enfonçons dans le pessimisme. Ne vois-tu vraiment aucune parade ?

V.M. : Il me semble que certains secteurs sont moins exposés. C’est le cas lorsque :

  • la sécurité des produits est primordiale comme dans la pharmacie et le nucléaire,
  • les caractéristiques locales jouent un rôle important (tourisme, agro alimentaire, etc.),
  • les marques sont prestigieuses, ainsi les produits de luxe et véhicules haut-de-gamme,
  • les contraintes et coûts logistiques sont majeurs (ciments, matériaux de construction, etc.).

Mais seulement une part minoritaire de l’industrie est ainsi protégée. La vraie solution est une intégration européenne fortement accrue :

  • Union douanière protégeant les industries européennes. Jusqu’à maintenant les intérêts des États ont primé sur l’intérêt collectif de l’Union,
  • Étroite coordination des budgets nationaux débouchant sur la forte réduction des déficits de certains États,
  • création de grands champions européens mais les fiertés nationales et la Direction de la concurrence de la Commission s’y opposent actuellement,
  • Grands centres de recherche et universités technologiques européennes au recrutement très sélectif et bénéficiant d’importants crédits d’investissements,
  • Renonciation aux langues nationales et utilisation de l’anglais dans les relations intracommunautaires,
  • Économies à tous les niveaux de collectivités territoriales.

R.I. : Mais ceci protégera-t-il l’Europe de l’érosion de ses parts de marchés mondiaux ?

V.M. : Ce sera insuffisant. La Chine pratique un protection­nisme latent et ne respecte pas les droits de propriété indus­trielle. La venue de la Chine sur l’ensemble des marchés mondiaux est un problème sans commune mesure avec l’intégration des pays de l’Est qui a été gérée avec les règles en vigueur dans l’UE. Il y a d’abord les ressources humaines de la Chine qui paraissent sans limites. La gouvernance chinoi­se est efficace (convergence organisée du politique et de l’économique), la population est très travailleuse et animée du désir d’effacer un passé jugé humiliant, si bien que des générations successives ont accepté de grands sacrifices. Ceci s’est particulièrement manifesté depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiao Ping dont l’ambition était de faire de la Chine la première puissance mondiale en 2050. Inévitablement les niveaux de vie des Chinois et des Indiens convergeront vers ceux des Européens avec une baisse pour ces derniers, ne serait-ce qu’en raison des besoins croissants en matières premières des pays émergents, surtout si, comme ils y sont encouragés par l’Occident, ils développent leur consommation intérieure. Mais la réduction de cer­taines consommations dans nos pays ne sera pas si pénible, au contraire, si l’on considère les absurdités écologiques, donc économiques, auquel mène aujourd’hui la surabon­dance de certains produits. C’est l’un des défis majeurs de nos sociétés de mener à bien ce processus sans violence. Trop d’hommes ou de femmes politiques, de tous bords, ont ten­dance à céder à la facilité et à la démagogie et se refusent à exposer à leurs électeurs la gravité de la situation.

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R.I. : Mais comment concurrencer des pays où la protection sociale, donc les charges, est minime ?

V.M. : Une taxe douanière ou une TVA sociale à l’importation sont des réponses temporaires mais nécessaires, jusqu’à ce que ces pays mettent en place une vraie protection sociale, ce qui nécessitera des années.

R.I. : N’est-ce pas à des variations de taux de change, donc ceux du yuan contre dollar et euro, de corriger les déséqui­libres commerciaux ?

V.M. : En premier lieu les intérêts sont divergents au sein de la zone euro. Les pays à balance commerciale excédentai­re n’y ont pas intérêt. Ensuite une pression sur la Chine n’aura de succès que si États-Unis et Europe sont solidaires. Et les Chinois n’accepteront pas de voir leurs 2000 milliards de $ de réserve de change perdre une large part de leur valeur. Nous parviendrons peut-être à une meilleure gou-vernance mondiale mais au prix d’âpres discussions, qui dureront des années. Entretemps il peut y avoir de nouvelles fortes secousses financières.

R.I. : Comment ces évolutions préoccupantes se sont-elles manifestées dans les relations de Roland Berger avec ses clients ?

V.M. : Il y a vingt ans 80% des missions de conseil en stra­tégie avaient trait au développement alors que maintenant 80% concernent l’optimisation, c’est-à-dire comment sur­vivre avec moins de ressources dans un environnement dif­ficile et se positionner sur les nouvelles zones de croissance. ●

Auteur

Vincent MERCIER (N 1968 ICiv)

4 réponses »

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