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VIVRE EN LITTÉRATURE ET POÉSIE : « LE SILENCE ET LA COLÈRE » AVEC PIERRE LEMAITRE

« Pierre Lemaitre : « J’aime que le lecteur puisse s’interroger sur la véracité des faits »

TITRE OUEST FRANCE QUI POURSUIT :

Suite du « Grand Monde », « Le Silence et la Colère » est paru ce mercredi 4 janvier. À la fois roman et polar, il raconte l’histoire d’une famille au début des années 1950 : on y renoue avec les tribulations de la fratrie Pelletier. Nous avons rencontré Pierre Lemaitre pour un entretien exclusif !

«  »Vous voulez savoir à quoi ressemble un romancier heureux ? Regardez donc Pierre Lemaitre ! Ses polars ont fait sa réputation première avant de charmer jusqu’au New York Times. Son premier roman de littérature blanche, Au revoir là-haut, a obtenu le Goncourt en 2013. Ce Goncourt, adapté à l’écran, a triomphé au cinéma…

« Alors que bien des récipiendaires du prix voient les ventes de leurs livres suivants chuter, celles des romans de Pierre Lemaitre se sont maintenues : Le Grand Monde, dont la suite vient de paraître, a embarqué des centaines de milliers de lecteurs. Cette bonne fortune éditoriale a une raison : au lieu de se reposer sur son talent d’auteur de polar, Lemaitre a beaucoup travaillé. Sa connaissance des rouages de la littérature populaire du XIXe – celle des Zola, Balzac, Dumas – impressionne quand il en parle, et saute aux yeux quand on le lit.

« Récit familial et polar, Le Silence et la colère est la suite du Grand Monde. François Pelletier, journaliste, tente toujours d’éclaircir le meurtre de l’actrice Mary Lampson. Ce polar se double d’un roman noir : Jean Pelletier, assassin compulsif pas encore découvert, sent l’étau se refermer sur lui. Ce roman noir s’inscrit dans un roman social : grâce au magasin de fripes ouvert par Jean, vous saurez tout des horreurs de la gestion des ressources humaines de l’époque. Et grâce aux reportages de sa sœur Hélène, devenue enquêtrice, vous saurez à quoi correspondait ce qu’on appelait alors « l’hygiène ». La vie d’Hélène amènera aussi le roman à aborder la question de l’avortement clandestin.

« Dans le même temps, Lemaitre nous montre le progrès en marche, à travers l’histoire d’un barrage et un village promis à l’engloutissement, raconté façon western ! Et ces multiples intrigues (impossible de toutes les citer) sont chevillées de manière inextricable sans que jamais on ne s’y perde. Ne vous y trompez pas : les livres de Lemaitre sont faciles à lire parce qu’ils ont été difficiles à écrire. Il a fallu bien du travail pour mettre au point ces intrigues qui ouvrent chacune sur un microcosme. Et des efforts d’un autre genre pour parvenir à cette écriture limpide qui, jamais, ne fait obstacle au lecteur.

Lire aussi : Pourquoi faut-il courir acheter « Le Silence et la Colère » de Pierre Lemaitre ?

« C’est un Pierre Lemaitre en pleine forme que nous avons rencontré, dans les locaux de Calmann-Lévy : affable, sautant avec gourmandise sur nos questions, y répondant parfois avant qu’elles ne soient posées… Derrière cette jubilation d’auteur se cachent sans doute bien des noirceurs mais Lemaitre a le bon goût de les garder pour ses livres.

« Dans Le Silence et la Colère, on retrouve des figures emblématiques de la « patte » Pierre Lemaitre – un assassin cerné par l’angoisse comme dans Trois jours et une vie, des fonctionnaires effrayants, une mère maltraitante, etc. – avec aussi de nouvelles intrigues. Après la période indochinoise du Grand Monde, vous décrivez la France des années 1950, en premier lieu la France au travail – du journalisme, à la reliure ou aux ouvrières. Faut-il voir avec ce second volet des « Années glorieuses » votre grand roman social ? Votre exploration personnelle de ce genre littéraire ?

« Il faut remonter à la genèse du projet. J’avais dessiné globalement la ligne narrative de la famille sur les trois livres que devait constituer la série des « Années glorieuses », chacun représentant une décennie. Mais les Trente Glorieuses étaient une période trop longue. Le premier changement, c’est donc qu’il a fallu passer de trois à quatre livres.

Mes personnages sont jeunes en 1948 mais, à cette période-là, une fille entre 18 et 24 ans a déjà 3 mômes !

« La seconde chose, et c’est ce qui m’a le plus troublé, c’est la réalité du baby-boom. Mes personnages sont jeunes en 1948 mais, à cette période-là, une fille entre 18 et 24 ans a déjà 3 mômes ! Et avec une intrigue se déroulant dix ans plus tard, mes personnages allaient considérablement évoluer.

Il m’a donc fallu, d’une part, raccourcir le laps de temps de l’ensemble des Trente Glorieuses et, de l’autre, raccourcir le délai qui séparerait les livres – désormais quatre ou cinq ans. Les personnages n’ont pas trop vieilli, le lecteur peut les retrouver, et puis moi, surtout, je vois où ils sont. C’est ainsi que, lorsque j’ai terminé Le Grand Monde, je me suis vraiment confronté au monde social et à sa réalité. Après avoir joué avec les codes du roman d’aventures, pourquoi ne pas balayer, au fil des tomes, les divers genres littéraires ? Et si je me lançais dans un roman résolument social ?

« Ce fut le point départ du Silence et la Colère. Dans la foulée, j’avais déjà imaginé quelque chose qui interviendrait dans les années 1958-1959, autour de la parano du nucléaire, de la bombe, puisqu’on est dans l’ère Khrouchtchev – on partait donc sur une trame de roman d’espionnage. Et puis aussi un retour aux sources avec un récit à l’armature policière…

« Justement, quand on a en tête les divers volumes d’une telle entreprise, comment fait-on pour trouver l’équilibre entre l’unité et la spécificité de chaque ouvrage ?

« En fait, ce qui pilote la décision, c’est toujours le personnage. Je fais alors en sorte qu’il vienne par un bout toucher les problématiques sociales qui m’intéressent. Là, j’étais sur l’avortement. J’ai été alors stupéfait d’apprendre que la période de la Libération était plus meurtrière que Vichy et qu’il y a plus de poursuites sur l’avortement dans les années 1960 que dans les années 1930 ! On était dans l’ère où les Américains arrivent, il y a la Libération, le jazz tout ça, et puis, soudain la répression anti-avortement… Je tenais quelque chose avec ce constat. Il se trouve que j’avais dans mon histoire une fille qui avait 18 ans en 1948. Elle en a 23-24 après, c’était idéal pour évoquer cette question.

« Pour Le Silence et la Colère, les pilotes semblent donc être Jean, l’aîné, et Hélène, la cadette, qui va, par son enquête, nous montrer l’ancienne France, la province d’autrefois qui s’imagine immuable, et l’arrivée de la notion de bien commun, de modernité…

« Ça, c’était un choix. Mais mon pilote, surtout, dans ce domaine-là c’est France-soir, qui m’a servi de modèle pour Le Journal du soir. J’ai passé des journées à la bibliothèque à feuilleter France-soir, physiquement. J’aime bien ce moment d’immersion dans la période, on voit tout : comment les gens sont, comment ils parlent, comment ils s’habillent…

« Et puis j’aime bien cette espèce d’attention flottante, dans l’attente que quelque chose me frappe. Depuis Le Grand Monde, je cherchais comment travailler sur la question du béton pendant les Trente Glorieuses. C’est alors que je tombe sur le drame du barrage de Tignes en 1952. Et je me dis que c’est une idée formidable, parce que c’est le béton, c’est l’énergie, et l’exode rural… Le sujet parfait pour mon intrigue. Après, il me fallait juste la déterritorialiser et y faire entrer mes personnages… Or, l’avantage des journalistes, c’est qu’on peut les faire aller n’importe où dans le cadre du récit. En outre, je souhaitais que la question de l’avortement se passe non pas à Paris mais en province.

…/…

ÉMISSION

Pierre Lemaitre : « Je suis un homme en colère et je ne veux pas rester silencieux »

Jeudi 5 janvier 2023 RADIO FRANCE

Pierre Lemaitre, écrivain, auteur de Le Silence et la Colère (Calmann Levy), est l’invité du Grand entretien de France Inter. Son nouveau roman paraitra mardi 10 janvier.

Avec Pierre Lemaitre romancier, scénariste

Le nouveau roman de Pierre Lemaitre, Le Silence et la Colère (Calmann Levy), la suite du Grand Monde, s’apprête à paraître. Il sortira mardi 10 janvier en librairies. Dans ce roman social, qui se déroule en 1952, Pierre Lemaitre dit avoir voulu « traquer les conflits sociaux »« Il s’agit moins de raconter le siècle que de le feuilleter, de lui donner une certaine couleur », assure Pierre Lemaitre. « Dans ce livre, c’est à la fois un drame et une accélération de l’histoire », décrit l’auteur.

Souvent qualifié d’écrivain populaire, Pierre Lemaitre interroge ce terme. « On a l’impression quand on est populaire qu’on doit être démagogique. Moi je fais le pari inverse, qu’on peut avoir des romans fédérateurs. Cela n’exclut aucun lecteur et aucune lectrice », dit-il.

Le cadre de ce roman est celui des Trente Glorieuses. « Cela me fascine parce que c’est la période où j’ai grandi » dans laquelle « ce qui a été notre chance a été notre drame. C’est ça une tragédie ».

Au sujet des années 2020, Pierre Lemaitre juge que « ce sont des années qui manquent d’engagement » où le militantisme « est remplacé par les réseaux sociaux. On reste à distance, on ne s’en mêle plus ».

« Je suis un homme en colère »

Dans ce livre, les femmes occupent une grande place. Pierre Lemaitre rend hommage à Annie Ernaux. « L’Evènement a été un roman majeur dans l’histoire du féminisme et on ne peut pas, quand on est un homme, faire un roman dans lequel l’avortement a été posé comme une des questions, sans passer par ce grand classique », assure Pierre Lemaitre. Dans le sillage de l’écrivaine, Le Silence et la Colère décrit une période « où la domination masculine règne sans partage ».

Si Annie Ernaux écrit pour « venger sa race », Pierre Lemaitre assure avoir « des choses à dire sur l’enfance cabossée, le désir de revanche, j’ai en commun avec Annie Ernaux un combat social. Je suis un homme en colère et je ne veux pas rester silencieux. » Une colère qui continue de se développer selon l’écrivain.

Son combat pour aider les enfants dyspraxiques

L’écrivain alerte sur la dyspraxie, qui touche 400 000 enfants en France. « Les parents sont contraints à un parcours du combattant incroyablement éprouvant : ces enfants sont très cabossés par le système scolaire », dit-il. « Ces enfants dépensent des trésors d’énergies pour réussir à faire quelque chose que le système réclame d’eux et qu’ils sont incapables de produire et c’est là-dessus que le système va les juger. Ce sont des enfants qui savent très bien épeler un certain nombre de mots mais on leur demande de les écrire et si vous ne savez pas écrire, vous n’êtes rien », déplore Pierre Lemaitre.

L’écrivain assure qu’il sera dans la rue pour contester la réforme des retraites. « On vit dans une société terriblement fracturée, devant des événements tellement majeurs que mettre ce sujet à l’avant-plan, c’est à la limite de la provocation », estime Pierre Lemaitre.

Il veut également rassurer ses lecteurs. Il n’en a pas fini avec les romans policiers mais qu’il va d’abord terminer « ce feuilleton du siècle » qu’il a entrepris.

LIEN VERS L’ÉMISSION :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-05-janvier-2023-5146072

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