
EMISSION
Comment peut-on être anti-américain ?
Jeudi 19 janvier 2023 FRANCE CULTURE
Quand un auteur français faisait le récit de son voyage aux Etats-Unis, en 1930, et montrait une vision apocalyptique de la civilisation américaine soumise au règne de l’argent et du puritanisme.
Les polémiques autour du « wokisme » ont réactivé récemment une image négative des Etats-Unis, pays où les adeptes du « politiquement correct » feraient la loi. Ce genre de discours s’inscrit dans le prolongement d’une longue histoire qui nous en apprend plus sur la France que sur l’Amérique. Un livre intitulé Scènes de la vie future, paru en 1930, fut un véritable best seller. L’auteur, Georges Duhamel, y raconte son voyage aux États-Unis réalisé à la fin de l’année 1929.
Une vision apocalyptique de la civilisation américaine soumise au règne de l’argent
Il livre à ses lecteurs une vision apocalyptique de la civilisation américaine, dénonçant une société soumise au règne de l’argent, dominée par la production de masse, le machinisme et la publicité. Dans un contexte marqué par les lois sur la prohibition de l’alcool, Duhamel fustige aussi le carcan des règles puritaines qu’il attribue au remords d’une société confrontée aux « fautes humaines inexpiables » qu’ont été la traite et l’esclavage. Le succès de ce livre tint surtout au fait que Duhamel présenta la société américaine comme une anticipation de ce qui nous attendait inexorablement. « Tous les stigmates de cette civilisation dévorante et sans âme, écrit-il, nous pourrons les découvrir avant vingt ans sur tous les membres de l’Europe ».

La réception du livre reflète les clivages qui traversaient la société française de cette époque. Personne ne lui reprocha de ne pas avoir dénoncé les quotas en matière d’immigration et ses quelques réflexions sur la « séparation des races » ne suscitèrent pas de commentaires. Ce qu’ont retenu les commentateurs de droite, pour en féliciter l’auteur, ce sont ses critiques d’une société gouvernée par des principes qui anéantissaient, selon lui, les valeurs ancestrales de l’Europe. On trouve déjà dans ce livre des thèmes qui font écho aux polémiques actuelles sur la « guerre de civilisation », même si elles ne sont plus alimentées par les mêmes arguments.
Pour la gauche, au contraire, cet écrivain était perçu avant tout comme le porte-parole de la bourgeoisie. Il lui était reproché de parler pour les « happy few » et non pas pour « la masse ». Il était critiqué aussi pour de ne pas avoir dit un seul mot sur les quatre millions de chômeurs, ni sur l’exécution des militants anarchistes, Sacco et Vanzetti.
Ceux qui applaudissaient l’anti-américanisme de Duhamel et ceux qui le déploraient
La réception du livre fut traversée par une autre ligne de fracture, qui ne recoupait pas complètement la première. Elle opposait ceux qui applaudissaient l’anti-américanisme de Duhamel et ceux qui le déploraient. Parmi ces derniers, il faut citer les écrivains américains dont les ouvrages avaient été récemment traduits en français, Le camp des antiaméricanistes n’hésitait pas à mobiliser à son profit les critiques de la société américaine que des romanciers comme Upton Sinclair, proche des socialistes, avaient émises à l’égard de leur propre société. Interrogé sur ce point, ce dernier refusa énergiquement d’être enrôlé dans ce type de croisade en affirmant que ses livres étaient avant tout « une tentative d’éducation de soi-même entreprise par l’Amérique » (…)
Bibliographie :
Anne-Marie Duranton-Crabol, « De l’anti-américanisme en France vers 1930 : la réception des Scènes de la vie future », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2001/1, pp. 120 à 137.
LIEN VERS L’ÉMISSION
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