LA RÉFORME DES RETRAITES ET SES IMPLICATIONS POUR LA DÉMOCRATIE FRANÇAISE
Ce que les rapports de force révèlent de l’état de notre démocratie
Si la réforme des retraites actuellement présentée par l’exécutif fait l’objet d’une opposition syndicale et sociale indiscutable, qu’en est-il du positionnement des différentes formations politiques, et particulièrement de celles représentées à l’Assemblée nationale ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse ce que ces rapports de force révèlent de l’état de notre démocratie.
« Emmanuel Macron avait fait de la réforme des institutions un des chantiers de son second quinquennat. Il est fort possible que, suite à cette séquence, ce chantier s’impose à lui. » Conclut l’article.
ARTICLE
LA RÉFORME DES RETRAITES ET SES IMPLICATIONS POUR LA DÉMOCRATIE FRANÇAISE
14/03/2023. ANTOINE BRISTIELLE – FONDATION JEAN JAURÈS
Depuis de longues semaines, la réforme des retraites occupe l’immense majorité de la scène politique et médiatique. Plusieurs faits marquants retiennent ainsi l’attention sur trois plans : celui de l’opinion publique, celui des mobilisations lors des différentes journées d’action et celui du parlementarisme.
Sur le premier plan, une très large majorité de la population s’oppose ainsi à cette réforme, pourtant présentée comme un marqueur fort du second quinquennat.
Sur le deuxième plan, les journées de mobilisation organisées par les différentes formations syndicales sont particulièrement suivies, rassemblant jusqu’à 3,5 millions de personnes le 7 mars dernier, selon les syndicats, et 1,28 million selon la police.
Sur le troisième plan, les débats concernant la réforme des retraites ont placé l’Assemblée nationale au centre de l’attention. Ce sont ainsi les événements qui se sont produits au Palais-Bourbon qui ont été les plus discutés – et les plus critiqués. D’une part, le gouvernement a choisi une procédure accélérée pour que le texte soit discuté, limitant les débats à deux semaines en première lecture. D’autre part, les députés de la Nupes, et en particulier ceux de La France insoumise, ont multiplié les dépôts d’amendements pour ralentir les débats et éviter que le texte soit adopté. Mais alors que les députés du Parti communiste français, du Parti socialiste et d’Europe Écologie-Les Verts ont finalement décidé de retirer leurs amendements pour permettre au fameux article 7 – celui reculant l’âge de départ à la retraite à soixante-quatre ans – d’être discuté, les députés de La France insoumise ont persisté dans leur stratégie. Enfin, plusieurs passes d’armes virulentes ont également été fortement médiatisées, notamment lorsque le député « insoumis » Aurélien Saintoul a traité le ministre Olivier Dussopt d’« assassin » et d’« imposteur ». L’attitude de La France insoumise s’est donc largement retrouvée au centre des critiques, notamment par les figures de proue du mouvement syndical. Laurent Berger a ainsi indiquéque les journées de mobilisation ne seraient pas « la prolongation du bordel qui s’est passé à l’Assemblée », quand, dans le même temps, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a reproché à La France insoumise « de ne pas favoriser la clarté », en refusant le débat de fond à l’Assemblée. Des critiques de la sorte étaient par ailleurs formulées dans des termes assez similaires par de nombreux leaders du Parti socialiste, d’Europe Écologie-Les Verts et du Parti communiste français.
Dans ces conditions, et alors que les débats dans les deux chambres sont loin d’être terminés, il semble nécessaire de prendre un petit peu de hauteur afin de comprendre, d’une part, ce qui est réellement en jeu avec cette réforme et, d’autre part, d’envisager les implications de cette séquence sur le court et le moyen termes pour la démocratie et les institutions.
Une opposition structurelle à une réforme phare du gouvernement
On remarque tout d’abord à quel point cette réforme des retraites suscite une opposition extrêmement importante au sein de la société. Cela se matérialise d’ailleurs sur trois fronts : des débats très tendus à l’Assemblée nationale, des journées de mobilisation extrêmement suivies – faisant de ce mouvement social un des plus rassembleurs de ces trois dernières décennies – et un rejet massif de la réforme au sein de l’opinion publique. Sur ce point, les chiffres sont évocateurs, deux tiers des Français sont largement opposés à la réforme (67%)1. Ainsi, seuls les proches de Renaissance et des Républicains se disent favorables à cette réforme, montrant d’ailleurs à quel point le centre de gravité du macronisme s’est déplacé vers la droite ces dernières années (graphique 1).
Graphique 1. Attitude concernant la réforme des retraites, selon la proximité partisane2Par ailleurs, l’opposition globale à la réforme se couple à un soutien envers les mobilisations organisées par les différents syndicats : 64% des Français disent soutenir la mobilisation, un chiffre qui est loin d’avoir diminué depuis le début du mois de janvier, ce qui est pourtant souvent le cas lors de conflits sociaux qui s’inscrivent dans la durée. Plus frappant encore, alors que le gouvernement a axé sa communication sur les effets supposément dévastateurs d’un blocage du pays, une majorité de Français plébiscitent pourtant des modes d’action « durs ». 59% des Français soutiennent ainsi le fait de « mettre la France à l’arrêt » et 56% soutiennent l’idée d’une grève reconductible. De la même manière, lorsqu’on les interroge sur la suite à donner au mouvement social, 31% des Français déclarent que la mobilisation doit continuer de la même façon qu’actuellement et 41% qu’elle doit se durcir (contre seulement 28% déclarant qu’elle doit s’arrêter)3.Opposition syndicale plutôt que partisaneNous le disions plus haut, à l’heure actuelle, trois fronts sont ouverts contre la réforme des retraites : le front parlementaire, le front social et le front de l’opinion. Or depuis quelques semaines, certains représentants syndicaux, au premier rang desquels on retrouve Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, essayent de démontrer que les organisations syndicales sont les plus légitimes pour mener le combat, soit en opposant la bonne tenue des manifestations qu’ils organisent à des débats houleux à l’Assemblée nationale, soit en insistant, comme le 8 mars sur le plateau de « C Ce soir », sur le fait qu’il s’agit d’un combat « social » et non d’un combat « politique ». Même si un mouvement social est intrinsèquement politique, l’opinion semble néanmoins bien faire des syndicats les acteurs centraux de l’opposition à la réforme des retraites. Les syndicats de salariés sont les seuls acteurs du moment à qui les Français prêtent une attitude majoritairement responsable, bien devant les différents partis politiques, dont l’attitude est jugée majoritairement dangereuse (graphique 2)4.Graphique 2. Jugement concernant l’attitude des différents acteurs, pendant la réforme des retraites5La représentativité de l’Assemblée nationale en questionSi les débats ont été aussi virulents à l’Assemblée nationale, c’est en partie parce qu’il existe bien une bataille politique dans l’hémicycle.
Contrairement à ce que l’on a pu connaître depuis plus de vingt ans, le gouvernement n’y possède pas de majorité absolue. Les équilibres politiques qui s’y trouvent sont ainsi beaucoup plus représentatifs des différents clivages que l’on retrouve dans la société, contrairement au premier quinquennat Macron, où le président possédait une solide majorité absolue à l’Assemblée nationale, alors qu’il n’avait obtenu que 24% des voix quelques semaines plus tôt au premier tour de l’élection présidentielle.Or justement, 70% des Français plébiscitent une Assemblée nationale où aucun parti politique ne possède de majorité absolue6. La conflictualité qui existe dans la société doit donc bel et bien pouvoir se retrouver dans la composition de l’Assemblée nationale.
Comme on le constate par ailleurs sur le graphique 3, cette disposition est majoritaire chez les proches de l’ensemble des formations politiques du pays. Même chez les proches de Renaissance – le parti présidentiel pourtant le plus handicapé par cette absence de majorité absolue –, une courte majorité (51%) préfère une Assemblée nationale sans majorité absolue.
Chez les proches des différents partis d’opposition, cette attitude est encore exacerbée, avec un degré supplémentaire chez les proches des partis de gauche par rapport aux proches des partis de droite et d’extrême droite.Graphique 3. Opinion des Français concernant la composition idéale de l’Assemblée nationale7Les Français semblent donc valoriser une forme accrue de parlementarisme, mais comment souhaitent-ils par ailleurs que les différentes formations politiques se comportent à l’Assemblée ?Une attitude de compromis majoritairement souhaitéeEn septembre dernier, bien avant le débat sur la réforme des retraites, nous posions aux Français le dilemme suivant : « Même si son projet est différent de celui du gouvernement, une bonne opposition doit être capable de voter avec le gouvernement si les lois que ce dernier propose se rapprochent au moins en partie de ce qu’elle veut », ou bien au contraire : « Si l’opposition vote avec le gouvernement pour des lois qui, certes, se rapprochent en partie de ce qu’elle veut, mais ne changent pas suffisamment les choses, elle se trompe et fait le jeu du gouvernement ». 71% des Français étaient d’accord avec la première assertion, contre seulement 29% pour la seconde. Or à ce niveau, des divergences assez flagrantes entre les différents partis étaient bien visibles (graphique 4).Graphique 4. Opinion des Français concernant l’attitude que devraient avoir les groupes d’opposition à l’Assemblée nationale8Les proches de La France insoumise se distinguent ainsi assez nettement. Alors que les sympathisants des autres formations politiques valorisent largement une logique de compromis, ce n’est pas le cas pour les proches de La France insoumise, où deux blocs de poids équivalent se font face.Or ces équilibres qui existaient déjà de manière théorique l’été dernier se retrouvent de manière concrète dans ce débat sur la réforme des retraites. Ainsi, 56% des Français pensent que les députés devraient être dans une démarche de compromis, en essayant d’améliorer le projet initial du gouvernement, quand 42% des Français pensent au contraire qu’ils devraient être dans une démarche d’opposition ferme en rejetant en bloc le projet du gouvernement et en bloquant l’avancée de son examen. Plus encore, on remarque également certains grands clivages politiques à ce niveau (graphique 5).Graphique 5. Opinion des Français concernant l’attitude que les députés d’opposition devraient avoir au sujet de la réforme des retraites9Pour les proches d’Europe Écologie-Les Verts, du Parti socialiste, de Renaissance et de Les Républicains, la donne est claire, les députés doivent être dans une démarche de compromis et non d’opposition ferme par rapport au projet. C’est une situation inverse que l’on retrouve chez les proches du Rassemblement national (59%) et – encore davantage – de La France insoumise (71%), souhaitant au contraire que les députés rejettent en bloc le texte, sans aucun compromis.Il est par ailleurs extrêmement intéressant de regarder l’attitude que les Français souhaitent voir adopter par le gouvernement dans cette séquence. Si 17% des Français souhaitent que la réforme soit maintenue en l’état et 33% qu’elle soit retirée en totalité, un Français sur deux (49%) prône à nouveau le compromis en demandant à ce que la réforme soit maintenue, mais modifiée en profondeur10.ConclusionAu vu des différents éléments décryptés dans cette note, trois éléments ressortent clairement, avec des implications décisives pour le moyen terme.La France n’est pas touchée par une apathie politiqueContrairement aux différents discours pointant du doigt l’augmentation de l’abstention électorale (hors élection présidentielle), qui serait le symptôme ultime d’un désintérêt des Français pour la chose publique, l’épisode de la réforme des retraites montre à quel point la population française ne se désintéresse pas de son sort, lorsque l’on regarde les chiffres historiques lors des différentes journées de mobilisation. D’ailleurs, les données montrent que l’intérêt manifesté pour la politique est en augmentation depuis 2021, passant de 49% des Français à 57%11.
Cette première constatation en appelle immédiatement une seconde.La fragile légitimité des différents acteurs politiquesDès les années 1980, le célèbre politiste Ronald Inglehart12 avait alerté sur un changement d’époque en matière politique. Alors que l’individualisation des sociétés progresse, les citoyens accepteraient de moins en moins de voir des représentants politiques prendre en main la vie de la cité, mais viseraient au contraire à pouvoir participer plus directement en matière politique. Des constats similaires ont d’ailleurs été réalisés dans le cas français13. L’épisode de la réforme des retraites met ainsi ce phénomène en pleine lumière. Alors que l’action des principales forces politiques est perçue très négativement, c’est bien par eux-mêmes – en se mobilisant – que les Français espèrent faire bouger les choses.Vers une crise de régime ?Il est par ailleurs fort à parier que la grande perdante de la séquence actuelle soit l’image de la démocratie représentative. Résumons ainsi ce que nous avons dit jusqu’ici : les Français se félicitent d’avoir une Assemblée nationale sans majorité absolue et souhaitent que des compromis puissent être trouvés entre les différentes formations politiques et ce même sur un texte aussi clivant que cette réforme des retraites. Pour le dire autrement, les Français souhaitent un parlementarisme plus efficient, considérant qu’un président élu ne reçoit pas un mandat pour mettre automatiquement en place l’ensemble des réformes qu’il souhaite. Ainsi, 71% des Français considèrent que la réforme n’a pas été validée démocratiquement lorsque les Français ont élu Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle14.Pour autant, si les Français semblent attendre davantage de parlementarisme, et que les partis puissent agir dans une logique de compromis à l’Assemblée nationale, les partis politiques semblent encore largement éloignés de cette culture. Deux formations politiques pourraient tout particulièrement pâtir de cette séquence, la France insoumise, d’une part, dont l’opposition est jugée « trop radicale » – seulement 28% des Français pensent ainsi que ce parti a une attitude responsable pendant cette séquence. Mais d’autre part, la majorité présidentielle pourrait également être négativement impactée, tant les Français associent au macronisme une culture du compromis, dont la promesse est loin d’être tenue dans cette séquence : 66% des Français jugent ainsi l’attitude du gouvernement « dangereuse » dans le débat sur la réforme des retraites15.Plus globalement encore, si cette réforme venait à être appliquée en l’état alors qu’elle est aussi largement rejetée dans la population, cela pourrait encore renforcer l’impression d’une déconnexion entre la volonté populaire et les différentes institutions politiques du pays. Malgré une opposition très largement négative vis-à-vis de cette réforme et des mobilisations massives dans les rues, 64% des Français pensent néanmoins que la réforme sera votée et appliquée16.
Emmanuel Macron avait fait de la réforme des institutions un des chantiers de son second quinquennat. Il est fort possible que, suite à cette séquence, ce chantier s’impose à lui.
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