
TROIS RECOURS QUI NE SONT PAS SANS FONDEMENTS JURIDIQUES
Avec trois recours déposés auprès de l’institution, les députés de la Nupes, du RN et des sénateurs de gauche espèrent une censure totale de la réforme des retraites de la part des sages après l’adoption très controversée du texte.
LES MEMBRES DU Cl CONSTITUTIONNEL FERONT-ILS LE CHOIX DE NE PAS AGGRAVER LA CRISE DE L’EXÉCUTIF ( SANS ATTÉNUER LA CRISE SOCIALE ) ?
Le Cl Constitutionnel nous habitue à parfois faire prévaloir l’approche politique plutôt que la juridique.
Dans ce contexte, une hypothèse d’alternative : ou bien il privilégie la position de l’exécutif – le PR restant inflexible sur la réforme – ou il prend une mesure facilitant une sortie de crise – les mouvements ne faiblissant pas.
Mais ne voit-on pas le PR – ne constatant pas de signes d’apaisement de la crise populaire – s’en remettre au Cl Constitutionnel … ce qui peut faire exploser l’hypothèse d’alternative présentée plus haut.
Rappelons que le Conseil d’Etat, qui s’est déjà prononcé sur le texte, a indiqué que si la réforme déborde de l’année en cours, certaines dispositions concernent quand même le budget 2023. Utiliser un projet de loi de financement n’est donc pas en principe inconstitutionnel … pour 2023 ?
Nous savons que l’indépendance du CC porte à interrogation et que les conseillers d’Etat rattachés à l’exécutif ne sont pas sans éclairer les décisions du CC, par ses propres analyses et par l’instruction des décisions du CC.
VOIR NOTRE AUTRE PUBLICATION :
Dominique Rousseau, constitutionnaliste : « Il semble difficile que le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi sur la réforme des retraites »
QUELQUES EXTRAITS DE L’ARTICLE PROPOSÉ CI CONTRE EN LECTURE :
BENJAMIN MOREL :
« La méthode ( l’usage du PLFRSS) escamote le débat au sein du Parlement et fragilise la délibération démocratique », expliquait le 17 janvier Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Assas, dans Le Monde. »
Jean-Philippe Derosier :
« c’est un véhicule qui n’a pas été imaginé initialement pour faire ce type de réforme ». …le gouvernement assume le fait que ce projet de loi consiste « à réformer les retraites et pas à directement affecter les finances de la Sécurité sociale »
L’AVERTISSEMENT DU CONSEIL D’ÉTAT :
« cette réforme qui va entrer en vigueur en septembre prochain ne commencera à déployer ses effets qu’au cours du dernier quadrimestre de 2023, voire au-delà », rappelle M. Derosier, rejoignant les avertissements adressés au gouvernement par le Conseil d’Etat. »
Thibaud Mulier :
« On parle de « cavaliers sociaux » pour des dispositions dont la présence dans une loi de financement de la Sécurité sociale n’est pas justifiée au regard de l’article 34.20 de la Constitution et de l’article 1 de la loi organique relative au financement de la sécurité sociale. « Il s’agit d’une mesure qui n’a pas d’incidence sur les conséquences financières du budget de la Sécurité sociale »,résume Thibaud Mulier. »
JEAN PIERRE CAMBY :
« une censure totale du Conseil constitutionnel pourrait apparaître comme « une déclaration de guerre ouverte contre l’exécutif et la majorité sénatoriale ». Dans le contexte social tendu, « cette décision, nécessairement discutable au plan juridique, jetterait de l’huile sur le feu et serait périlleuse ». »
ARTICLE EXTRAITS
Réforme des retraites : cinq questions pour comprendre la possible censure de la part du Conseil constitutionnel
Emmanuel Macron l’a répété lors de son interview du 22 mars : il espère une entrée en vigueur de la réforme des retraites d’ici la fin de l’année. Toutefois, la partie n’est pas encore jouée. Après l’adoption du projet de loi grâce à l’article 49.3, tous les regards sont désormais tournés vers le Conseil constitutionnel.
Saisis conjointement par la première ministre, Elisabeth Borne, et trois groupes distincts de parlementaires – la Nouvelle Union populaire et sociale (Nupes) et le Rassemblement national (RN) côté Assemblée nationale, la gauche côté Sénat –, les juges constitutionnels doivent se prononcer d’ici un mois sur le texte, pour déterminer si son contenu et la façon dont il a été débattu sont conformes à la Constitution. Un préalable indispensable à la promulgation et à l’entrée en vigueur de la réforme.
Quels sont vraiment les risques de voir cette réforme-phare du quinquennat d’Emmanuel Macron censurée ? Explications sur les points qui peuvent poser problème avec trois spécialistes de la Constitution.
Lire aussi la tribune : Réforme des retraites : « Le Conseil constitutionnel a les moyens de proposer une sortie de la crise politique »
Que contiennent les recours de l’opposition déposés auprès du Conseil constitutionnel ?
Le recours des députés de la Nupes, qui demande au Conseil constitutionnel « de censurer l’ensemble du texte », s’articule autour de trois points :
- la procédure utilisée par le gouvernement, avec le recours à une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS) et à l’article 47-1 (qui limite le débat parlementaire à cinquante jours) ;
- l’insincérité des informations transmises par le gouvernement aux parlementaires ;
- la présence dans le texte de dispositions qui ne relèvent pas du champ spécifique d’un PLFRSS, appelées communément « cavaliers sociaux ».
A l’extrême droite, les auteurs de la saisine déposée par le RN reprennent peu ou prou les mêmes arguments, en y ajoutant la violation de l’article 34.16 de la Constitution, qui prévoit que les PLFRSS tracent un chemin clair vers l’équilibre financier du système social.
La saisine intergroupes des sénateurs socialistes, écologistes et communistes soulève, en outre, la question de l’accumulation « inédite » des instruments de procédure invoqués par le gouvernement pour « contraindre le Parlement à adopter la loi ».
Pourquoi l’usage du PLFRSS dans le cas d’une réforme des retraites interroge ?
Le premier grief de la Nupes et du RN porte donc sur le recours par le gouvernement à un PLFRSS plutôt qu’à un projet de loi classique pour porter sa réforme des retraites. L’outil législatif est ainsi qualifié de « détournement de procédure » par les députés de gauche, et de « véhicule législatif inadapté », pour les parlementaires d’extrême droite.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est un texte présenté chaque automne par le gouvernement pour fixer l’équilibre financier des différentes branches de la Sécurité sociale pour l’année suivante. Une fois promulgué, il peut être modifié plusieurs fois en cours d’année par des PLFRSS.
Le gouvernement a choisi ce véhicule principalement parce que les textes budgétaires échappent à la règle constitutionnelle qui interdit de recourir plus d’une fois par session parlementaire à l’article 49.3 – l’un des rares outils qui permet à l’exécutif de faire adopter des lois malgré son absence de majorité absolue au Parlement. Il évitait ainsi de dégainer son dernier « joker » avant l’été 2023.
Avant même le début des débats parlementaires, cette stratégie a fait grincer des dents. « La méthode escamote le débat au sein du Parlement et fragilise la délibération démocratique », expliquait le 17 janvier Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Assas, dans Le Monde.
Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille, rappelle que « c’est un véhicule qui n’a pas été imaginé initialement pour faire ce type de réforme ». L’universitaire, qui a participé à la rédaction de la saisine des sénateurs de gauche, précise que, même si certaines dispositions ont un impact direct ou indirect sur le budget de la Sécurité sociale, le gouvernement assume le fait que ce projet de loi consiste « à réformer les retraites et pas à directement affecter les finances de la Sécurité sociale ».
Le doute est d’autant plus fort, poursuit-il, que cette loi de financement rectificative est censée affecter seulement le budget 2023. Or, « cette réforme qui va entrer en vigueur en septembre prochain ne commencera à déployer ses effets qu’au cours du dernier quadrimestre de 2023, voire au-delà », rappelle M. Derosier, rejoignant les avertissements adressés au gouvernement par le Conseil d’Etat.
En quoi la procédure d’examen de la réforme remet-elle en cause la clarté et la sincérité du débat ?
- L’usage du 47.1
Le recours au PLFSS rectificatif a permis au gouvernement d’utiliser le dispositif prévu au second alinéa de l’article 47.1 de la Constitution. Réservé aux textes budgétaires, cet article dispose que, « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours ».
En tout, les débats au Parlement ont été limités à cinquante jours (en vertu du troisième alinéa du même article). Cela a empêché les députés de se prononcer sur la réforme en première lecture à l’Assemblée nationale, notamment en raison de l’avalanche d’amendements déposés par les députés de La France insoumise. L’application des délais prévus par cet article a coupé court au débat parlementaire en transmettant automatiquement le texte au Sénat, puis à une commission mixte paritaire, avant de revenir à l’Assemblée nationale avec une adoption finale survenue après un nouveau recours au 49.3, le 16 mars.
Lire aussi : Réforme des retraites : qui sont les membres du Conseil constitutionnel qui vont examiner la loi ?
Ces délais restreints étaient-ils justifiés ? Ils ont été imaginés par la Constitution pour garantir que la loi de Sécurité sociale intervienne rapidement en réponse à une nécessité. « Or, là il n’y a pas d’urgence à réformer le système des retraites ; c’est un choix politique du gouvernement que de vouloir le faire rapidement, mais il n’y a pas une échéance comme celle qu’il y a annuellement lorsqu’on adopte la loi de financement de la Sécurité sociale qui doit être adoptée avant le 31 décembre », explique Jean-Philippe Derosier.
Ainsi, le recours au 47.1 pourrait constituer une atteinte à « la clarté et la sincérité du débat parlementaire », qui est pourtant une exigence constitutionnelle.
- La multiplication des leviers de procédure
Au cours du cheminement parlementaire de cette réforme, le gouvernement a sollicité un grand nombre d’instruments de procédure, perçus par l’opposition comme une limitation du temps de parole et une atteinte à la bonne tenue du débat parlementaire :
- l’article 47.1 ;
- l’article 44 de la Constitution, dont le deuxième alinéa permet de déclarer irrecevables un certain nombre d’amendements ;
- l’article 38 du règlement du Sénat, qui permet de clôturer le débat sur un article ou un amendement dès lors que deux orateurs d’avis contraire sont intervenus dans la discussion ;
- l’article 42 du règlement du Sénat, qui a été utilisé pour limiter les prises de parole et fixer un temps de parole forfaitaire aux groupes politiques ;
- l’article 44 alinéas 2 et 3 du règlement du Sénat, qui a permis de demander le vote bloqué du Sénat sur le texte ;
- et enfin l’article 49.3, pour faire adopter le texte sans vote, pour la seconde fois, à l’Assemblée nationale.
Le Conseil constitutionnel doit s’assurer du bon déroulement du débat démocratique, de la qualité de la loi, mais aussi du respect du travail parlementaire d’élaboration de la loi. Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Nanterre, rappelle que, « même si l’argument du respect de la Constitution s’entend, finalement l’Assemblée nationale ne s’est jamais prononcée sur les textes ».
Si tous ces instruments sont conformes à la Constitution, pris indépendamment, leur accumulation questionne tout de même les juristes : « C’est inédit qu’autant de leviers de procédures aient été actionnés dans le cadre de la discussion d’une même loi, et cette accumulation fait soulever un autre doute sur la clarté et la sincérité du débat parlementaire », relève M. Derosier.
Des « cavaliers sociaux » censurés ?
On parle de « cavaliers sociaux » pour des dispositions dont la présence dans une loi de financement de la Sécurité sociale n’est pas justifiée au regard de l’article 34.20 de la Constitution et de l’article 1 de la loi organique relative au financement de la sécurité sociale. « Il s’agit d’une mesure qui n’a pas d’incidence sur les conséquences financières du budget de la Sécurité sociale », résume Thibaud Mulier.
Or Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel, a prévenu qu’il serait vigilant sur le sujet : « Nous regarderons [si le projet] a une incidence financière, car tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire », a déclaré M. Fabius à des journalistes en janvier, selon des propos rapportés par Le Canard enchaîné.
La principale mesure sur la sellette est l’« index seniors ». Cette disposition de la réforme, censée améliorer le taux d’emploi des seniors, ne touche en effet pas directement les comptes de la Sécurité sociale, puisqu’il s’agit d’une obligation de transparence imposée aux entreprises, sous peine de sanctions financières.
La création d’un « CDI senior », introduit dans la loi par un amendement de la droite au Sénat, risque le même sort. Cette mesure visait à favoriser le recrutement de salariés âgés d’au moins 60 ans.
Lire aussi : Réforme des retraites : qu’est-ce que l’« index seniors » que veut mettre en place le gouvernement ?
Une censure globale du texte est-elle envisageable ?
Tous ces éléments peuvent-ils faire pencher la balance vers une censure totale de cette réforme des retraites par le Conseil constitutionnel ? « Dans l’absolu, une censure totale est tout à fait possible, estime Jean-Philippe Derosier. Si les sages devaient retenir le fait que le véhicule législatif n’est pas approprié et que le principe de clarté et de sincérité des débats a été à ce point altéré qu’il affecte toute la loi, la censure totale sera encourue. »
Soulignant aussi le risque d’inconstitutionnalité « pour des raisons de forme de procédure plus que de fond », Thibaud Mulier s’attend plutôt à une « censure partielle » de certains « cavaliers sociaux ».
Dans le passé, le Conseil constitutionnel a déjà procédé à des censures totales de lois, y compris financières. Mais celle que les juristes citent régulièrement pour un motif de procédure est une décision lointaine, portant sur la loi de finances de 1980. « C’est le cas emblématique où il y a eu une censure pour un motif de procédure, rappelle Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines et spécialiste de droit électoral. Le Conseil constitutionnel avait censuré ce texte parce que le gouvernement n’avait pas respecté le vote en deux parties, à savoir d’évaluer d’abord les recettes avant les dépenses. »
Pour cette réforme des retraites, les arguments de l’opposition risquent toutefois de ne pas suffire, selon M. Camby : « L’application de ces textes constitutionnels ne peut pas conduire à une décision d’inconstitutionnalité tirée de la procédure. » L’universitaire relève que « les arguments de portée générale sur la clarté et la sincérité du débat avancés par les oppositions sont plutôt de nature politique, ce que le Conseil a l’habitude de rejeter, même si les conditions classiques du débat sont altérées ». Selon lui, une censure totale du Conseil constitutionnel pourrait apparaître comme « une déclaration de guerre ouverte contre l’exécutif et la majorité sénatoriale ». Dans le contexte social tendu, « cette décision, nécessairement discutable au plan juridique, jetterait de l’huile sur le feu et serait périlleuse ».
Je tiens d’abord à rappeler que l’article 47 de la Constitution est la traduction du principe constitutionnel de consentement à l’impôt.
Quant à la protection sociale, elle a toujours relevé d’une gestion paritaire, confiée aux partenaires sociaux.
Toutefois, ce principe se heurtait au constat des financements considérables apportés par l’impôt, dont la place croissait tandis que celle des cotisations était en diminution constante.
Il a donc fallu trouver un équilibre entre le maintien du rôle des partenaires sociaux et du gouvernement d’une part et, d’autre part, la revendication légitime du Parlement de suivre l’emploi des ressources fiscales qu’il lui était demandé de voter.
Je suis sidérée de constater que le gouvernement se soit fondé sur les délais d’examen très brefs imposés au Parlement pour alourdir l’article 47-1C de toutes sortes de dispositions pour arracher à date certaine l’adoption de la réforme des retraites.
Le pouvoir en place a transformé les lois de financement de la Sécurité sociale en Super-DDOS.
À titre d’information, les DDOS désignent des projets fourre-tout portant « diverses dispositions d’ordre social », dans lesquels sont rassemblées toutes sortes de mesures, n’ayant comme dénominateurs communs qu’un lien plus ou moins ténu avec le domaine social et un foisonnement volontaire propice à dissimuler de mauvais coups.
Affaire à suivre…
@Anne Brunet
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