
« Le responsable est à l’Elysée, et … est politiquement irresponsable, c’est le paradoxe de la Ve République parlementaire et sa grande faiblesse »
(Extrait de l’article dont la lecture est proposée ci contre –
NB DE METAHODOS :
Cette hypothèse pourrait s’avérer pertinente après les décisions du Conseil Constitutionnel ? ou avant pour se libérer des éventuelles décisions qui s’imposeraient à l’exécutif ?
L’exécutif a aujourd’hui rejeté abruptement la demande des syndicats de faire une pause dans la réforme des retraites et désigner une médiation, afin de reprendre le dialogue. Le Modem était pourtant favorable à une médiation.)
« Nos institutions sont ainsi faites que nul ne peut demander des comptes au président de la République pendant la durée de son mandat. Le responsable du pouvoir gouvernant est politiquement irresponsable, c’est le paradoxe de la Ve République parlementaire et sa grande faiblesse.
« Face à la crise née du recours au 49.3 par le gouvernement pour faire adopter son projet de loi, le professeur de science politique Bastien François recommande, dans une tribune au « Monde », au président de la République de demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. »
ARTICLE
« L’article 10 de la Constitution peut permettre à Emmanuel Macron de débloquer la situation sans perdre la face »
Bastien François. Professeur de science politique. LE MONDE 28 mars 2023
« On a le droit d’employer le mot “victoire” », a estimé Elisabeth Borne, au lendemain de l’échec de la motion de censure transpartisane en réplique à l’usage de l’article 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites. Mais cette victoire a le parfum d’une défaite. Car voilà le gouvernement à l’arrêt et son chef réel, le président de la République, incapable de tracer une autre perspective qu’un élargissement, fort improbable, de la majorité relative qui le soutient jusqu’à présent à l’Assemblée nationale. Car voilà la mobilisation sociale relancée, les oppositions ragaillardies, les potentiels alliés d’hier (Les Républicains) fracturés, le camp présidentiel lui-même gagné par le doute. Car voilà la défiance installée partout, dans la rue et au Parlement. Car voilà la violence qui se déchaîne, nourrie par l’arrogance, parfois le mépris et, en tout cas, par la surdité des gouvernants.
Dans n’importe quel autre régime parlementaire, la dissolution de l’Assemblée nationale s’imposerait pour régler démocratiquement la crise politique. Mais en France, la dissolution ne peut pas régler entièrement cette crise, tout le monde en a bien conscience. Le responsable est en effet à l’Elysée et nos institutions sont ainsi faites que nul ne peut demander des comptes au président de la République pendant la durée de son mandat. Le responsable du pouvoir gouvernant est politiquement irresponsable, c’est le paradoxe de la Ve République parlementaire et sa grande faiblesse.
Si les commentateurs aiment louer la longévité de notre régime et sa supposée souplesse, ils oublient généralement de noter ce que la science politique a montré depuis longtemps : tous les systèmes de concentration et de personnalisation du pouvoir induisent une forte fragilité. Quand cela coince, pas de soupape de sûreté, pas d’échappatoire. Avec la tentation de la fuite en avant, qui ne peut qu’aggraver la crise.
Suspendre sans renoncer
La Constitution de 1958 a pourtant quelques mérites. Elle a prévu un article qui permettrait au président de la République de débloquer la situation sans perdre la face. Car, en dépit des appels de plus en plus nombreux à l’abandon du projet de réforme des retraites, nul n’imagine Emmanuel Macron avouer un échec. Effet de la fonction ou psychologie personnelle, peu importe. Cet article peu connu de la Constitution – il est vrai qu’il n’a été utilisé que trois fois sous la Ve République – permet au président de la République de demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles avant sa promulgation (à laquelle il est constitutionnellement obligé, sinon, dans un délai contraint).
L’article 10 a été pensé en 1958 comme une compétence d’arbitrage permettant au président de forcer le Parlement à remettre l’ouvrage sur le métier dans le cas où, alors pensé comme probable, une loi aurait été adoptée contre la volonté du gouvernement. Dans l’esprit des constituants, cette demande de nouvelle délibération s’analysait comme une sorte de veto suspensif. L’article 10 n’a jamais été employé dans ce sens. Il pourrait être utilisé aujourd’hui pour sortir de la crise.
Demander une nouvelle délibération, c’est d’abord suspendre l’application de la loi, avec l’apaisement que l’on peut en attendre, mais sans y renoncer. La loi est toujours là mais peut encore être modifiée. C’est rendre aussi la maîtrise du temps au président de la République et à son gouvernement puisque le calendrier de cette nouvelle délibération dépend de son bon vouloir. Elle peut n’être jamais inscrite à l’ordre du jour des Assemblées, et ainsi disparaître sans faire de bruit, ou bien être le point d’appui d’une nouvelle discussion avec les forces syndicales, d’un argumentaire plus convaincant du gouvernement et d’un débat parlementaire moins corseté.
Apprendre à gouverner autrement
Demander une nouvelle délibération est également une façon de prendre enfin au sérieux le résultat des législatives de juin 2022. Le président de la République ne dispose plus d’une vaste majorité le suivant comme un seul homme, et jusqu’à présent il semble n’en avoir tiré aucune leçon sur l’art de gouverner. Apprendre à gouverner autrement serait d’ailleurs une façon de mettre en œuvre cette « méthode refondée » qu’il annonçait le soir de sa victoire à la présidentielle de 2022.
Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les quatre années qui viennent avec un gouvernement incapable de s’attaquer aux redoutables défis sociaux, économiques, environnementaux et militaires que nous affrontons – l’arme, limitée, du 49.3 étant de surcroît, et peut-être définitivement, dévaluée (un peu comme l’usage de la dissolution après l’échec du président monarchiste, le maréchal Mac-Mahon, en 1877). Mercredi 22 mars, le président de la République a assuré agir « en responsabilité ». La responsabilité ici, alors que le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat démontre que nous n’avons plus qu’une décennie pour éviter la catastrophe, serait de surseoir à l’application de la réforme pour ne pas en obérer d’autres à venir, bien plus essentielles pour notre avenir et celui des générations futures.
Bastien François est professeur de science politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.
Bastien François(Professeur de science politique)