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LE Cl CONSTITUTIONNEL, LA SOLUTION POLITIQUE A LA CRISE ?

Une « Charge politique explosive »

« L’institution présidée par Laurent Fabius, saisie à la fois par des parlementaires et par la première ministre, doit se prononcer sur la conformité du texte à la Constitution. Si sa décision, attendue vendredi 14 avril, est avant tout juridique, elle revêt aussi, dans le contexte actuel, un caractère politique », comme le résume LE MONDE dans l’article proposé à votre lecture.

« …dans les coulisses du pouvoir, beaucoup se méfient de Laurent Fabius : « Il veut se payer Macron », veut croire un très haut responsable de l’exécutif. » EXTRAIT

« Paradoxalement, si une censure du texte pour détournement de procédure serait un camouflet pour M. Macron, cela lui offrirait une porte de sortie politique, alors qu’il se trouve dans une impasse. « EXTRAIT

ARTICLE

Réforme des retraites : le Conseil constitutionnel dans le rôle d’arbitre

Par Solenn de Royer. 30 mars 2023

Au-dessus de la lourde porte d’entrée, une sphinge sculptée, qui dit à la fois le pouvoir, l’impassibilité et le secret. Puis l’escalier d’honneur, qui mène à la salle des délibérations, au premier étage de l’aile Montpensier du Palais-Royal, où s’est installé le Conseil constitutionnel au lendemain de sa création, en 1958. C’est dans cette pièce feutrée, aux teintes bleues et or, que le président, Laurent Fabius, et les huit membres de l’institution délibéreront de la délicate réforme des retraites. Avant de rendre publique leur décision, vendredi 14 avril.

Les neuf juges constitutionnels devront dire si la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont la mesure-phare (le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans) cristallise toutes les oppositions, est conforme à la Constitution. Il y a huit jours, des députés et sénateurs de gauche, et des députés du Rassemblement national (RN), ont déposé trois recours contre le texte.

Ces élus d’opposition critiquent le véhicule choisi par le gouvernement pour sa réforme, un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFSSR), via l’article 47.1 de la Constitution, ayant permis d’examiner le texte dans un temps restreint. Celui-ci a été adopté sans vote le 16 mars, grâce à l’article 49.3 de la Constitution. Ils reprochent aussi à l’exécutif d’avoir produit une information « insincère » en multipliant les déclarations contradictoires sur plusieurs points de la réforme, le montant de la pension minimum, notamment.

Prenant les devants, la première ministre, Elisabeth Borne, a elle aussi saisi la juridiction sur cette loi, « eu égard à l’importance de la réforme qu’elle porte », précise la secrétaire générale du gouvernement, Claire Landais, dans un courrier adressé à Laurent Fabius, le 21 mars. Le Conseil doit également se prononcer sur la recevabilité de la demande de référendum d’initiative partagée (RIP) lancée par 250 parlementaires d’opposition.

Intense pression

La pression est intense sur ses neuf membres, nommés par le président de la République et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. « Une annulation [de la loi] offrirait une sortie de crise pour tout le monde », veut croire – et il n’est pas le seul – le député (Parti socialiste, PS) Boris Vallaud, selon lequel cette décision comporte aussi une « dimension existentielle » pour l’institution du Palais-Royal.

En 2006, celle-ci avait été soumise à une pression analogue, alors que les manifestations se durcissaient contre la loi sur l’égalité des chances et le contrat première embauche (CPE) de Dominique de Villepin. Le Conseil avait déclaré le texte conforme à la Constitution, « alors que cela aurait pu aider le gouvernement que nous le censurions », reconnaît aujourd’hui la sociologue Dominique Schnapper, qui a participé à la délibération. Enlisé, Jacques Chirac avait promulgué la loi dans la foulée mais réclamé que celle-ci ne soit pas appliquée.

En déplacement dans les Hautes-Alpes, jeudi, Emmanuel Macron a dit attendre du Conseil constitutionnel qu’il examine la très controversée réforme des retraites avec « sagesse » et « calme ». En privé, Elisabeth Borne ne croit ni au risque de censure, ni au RIP. Même si, dans les coulisses du pouvoir, beaucoup se méfient de Laurent Fabius : « Il veut se payer Macron », veut croire un très haut responsable de l’exécutif.

Le 13 janvier, lors d’un déjeuner de presse (ayant fuité dans Le Canard enchaîné), le président du Conseil constitutionnel avait laissé entendre que le choix du gouvernement d’avoir recours à l’article 47.1 de la Constitution, qui limite les débats à cinquante jours à l’Assemblée et au Sénat, pouvait poser problème. « Nous ne voulons pas de détournement de procédure », avait-il glissé, évoquant la question de la « sincérité » des débats. Il avait ajouté que tout ce qui était « hors champ financier » pouvait être considéré comme un « cavalier » (sans rapport avec le projet de loi), notamment l’« index seniors » ou les critères de pénibilité. « Fabius, qui a toujours rêvé d’être président de la République, se retrouve en situation de juger le président de la République, s’amuse l’ancien premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Il retrouve là un rôle à sa mesure. » Qu’en fera-t-il ?

« Soyons les serviteurs du droit et les esclaves du devoir »

Ses relations avec Emmanuel Macron sont glaciales. Les deux hommes se sont rencontrés en 2009, lors d’un colloque au Chili, coorganisé par la Fondation Jean Jaurès. Simple député PS, M. Fabius n’a pas encore retrouvé le chemin du pouvoir. Quant à M. Macron, c’est un inspecteur des finances d’à peine 30 ans, qui a commencé à se faire un nom au sein de la commission Attali, mise en place par Nicolas Sarkozy. Cinq ans plus tard, nommé à Bercy par Manuel Valls, il poursuit son ascension, sous l’œil froid de son aîné, alors au Quai d’Orsay. Au même âge (37 ans), « j’étais premier ministre », répète alors Laurent Fabius.

Même soupçon de paternalisme en 2017 dans la salle des fêtes de l’Elysée, le jour de l’intronisation du plus jeune président de la Ve République, élu à 39 ans. Face à lui, le président du Conseil constitutionnel évoque, avec une réserve envieuse, la campagne « chamboule-tout » du candidat d’En marche ! En 2022, au lendemain de la réélection de ce dernier, il se montre glacial, évoquant un premier quinquennat de « crises » et pointant un « malaise démocratique préoccupant »« En ces temps troublés, soyons les serviteurs du droit et les esclaves du devoir », ajoute-t-il, citant Victor Hugo.

Pendant la crise sanitaire, M. Macron s’était exaspéré du manque de réactivité de Fabius, aux abonnés absents le week-end précédant le déconfinement, le 11 mai 2020, alors que l’exécutif avait besoin qu’il valide rapidement la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, adoptée le 9 mai par le Parlement. Ce retard avait contraint le gouvernement – qui ne voulait pas retarder l’exécution de sa décision – à imaginer un artifice pour déconfiner quand même, s’exposant à des risques juridiques. « Fabius, c’est Fabius, mais on est neuf », relativise l’un des membres du Conseil, qui rappelle que les décisions sont « collégiales ».

Placés selon leur ancienneté et le rang protocolaire de l’autorité qui les a nommés, les neuf juges constitutionnels se retrouvent toujours assis à la même place autour de la table en forme de fer à cheval. Aux côtés du président, se mêlent d’ex-responsables politiques (5 sur 9) et d’anciens hauts fonctionnaires dotés d’une solide expertise juridique. La composition de l’institution et sa proximité supposée avec le pouvoir sont régulièrement critiquées, certains lui reprochant, à l’instar de la professeure de droit public Lauréline Fontaine, une « grande complaisance avec les majorités politiques successives ».

Moment « sensible »

Le Conseil, dans sa composition actuelle, est loin d’être hostile au pouvoir. En 2019 et 2022, Emmanuel Macron a nommé Rue de Montpensier deux anciens ministres, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault, qui ont compté parmi les premiers à rejoindre l’aventure d’En marche !, avant 2017. Tous deux ont été ministres de la cohésion des territoires. Proche de François Bayrou, Mme Gourault est un pilier du MoDem, quand l’ex-sénateur vient du Parti radical. Réputé « éternel râleur » et « bouffeur de curés », cet ancien avocat et professeur de droit occupe le bureau de Michel Charasse (décédé en 2020), au troisième étage de l’aile Montpensier. Comme le faisait avec diligence l’ancien conseiller de François Mitterrand, il rend compte discrètement au chef de l’Etat de l’activité du Conseil.

La plus jeune des « neuf », Véronique Malbec, ex-procureure générale de Rennes et ancienne directrice de cabinet d’Eric Dupont-Moretti à la chancellerie, a 64 ans. Le doyen, l’ancien premier ministre Alain Juppé, en a 77. Ses collègues ont été surpris par la « discrétion » et « l’humilité » inattendue de l’homme « droit dans ses bottes » de 1995, jugé « bien plus sympathique qu’imaginé »« Juppé peut être tenté de racheter ses péchés en censurant cette loi à laquelle s’opposent les trois quarts des Français », s’amuse un haut dirigeant des Républicains (LR).

Ces derniers jours, les neuf membres du Conseil font l’objet de toutes les attentions. Quand un parlementaire ou un ministre croise l’un d’eux à une remise de décoration ou à l’opéra, celui-ci affiche un mutisme souriant. Tous, ou presque, ont d’ailleurs aimablement décliné les sollicitations du Monde« Notre devoir de réserve est plus impératif que jamais », argue Alain Juppé, qui rappelle combien le moment est « sensible ». « Incandescent… », précise François Seners. « Inflammable ! », renchérit François Pillet.

Dans les couloirs feutrés de « Montpensier », les rapporteurs ont commencé à travailler il y a plusieurs semaines déjà, sans même attendre la saisine. Les noms de ces derniers sont tenus soigneusement secrets, afin que la collégialité de la décision ne soit pas entachée. Selon nos informations, Laurent Fabius a désigné deux spécialistes des droits du Parlement, Corinne Luquiens, qui fut la très respectée secrétaire générale de l’Assemblée, et le conseiller d’Etat François Seners, qui a dirigé le cabinet de Gérard Larcher au Sénat. De son côté, Alain Juppé devra examiner le bien-fondé d’un éventuel RIP. Quelques jours avant la séance de délibération, les trois rapporteurs feront passer à leurs collègues un projet de décision, après avoir compulsé la jurisprudence sur les points contestés et auditionné des députés de gauche, le 4 avril.

La délibération pourrait être animée quand sera abordé l’usage de l’article 47.1 par le gouvernement. Cette disposition a été introduite dans la Constitution en 1996, à l’aune d’une révision initiée par Jacques Chirac et portée par… Alain Juppé. Ce dernier, alors premier ministre, s’était vivement opposé sur le sujet au député socialiste Laurent Fabius. Lors du Congrès réuni à Versailles, le 19 février 1996, le premier avait vanté une réforme censée redonner du pouvoir au Parlement, tandis que le second critiquait l’hypocrisie du gouvernement, qui accorderait un « faux pouvoir de décision » à l’Assemblée et au Sénat, du fait notamment de la concision du temps des débats. « Il y aura peu de jours pour examiner des projets fort importants », regrettait alors Laurent Fabius.

« Charge politique explosive »

A minima, le 14 avril, le Conseil constitutionnel devrait censurer les « cavaliers sociaux », qui n’ont rien à faire dans une loi de financement de la Sécurité sociale, comme l’« index seniors », par exemple. « Mais c’est son jugement sur le parcours législatif du texte qui est attendu », souligne l’ex-garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, qui rappelle que le gouvernement a mobilisé, au cours de l’examen du texte, « tous les outils constitutionnels de domestication du Parlement », de l’article 47.1 au 49.3. « Si chaque article ne paraît pas avoir été utilisé dans des conditions contestables, leur accumulation dessine un cas particulier », poursuit-il.

S’ils sont censés juger en droit, les membres du Conseil peuvent difficilement s’exonérer de la « charge politique explosive » de leur décision, comme l’écrit le sociologue Michel Offerlé dans une tribune au Monde du 24 mars. Paradoxalement, si une censure du texte pour détournement de procédure serait un camouflet pour M. Macron, cela lui offrirait une porte de sortie politique, alors qu’il se trouve dans une impasse. « Fabius a toujours été désireux de faire jouer un rôle à l’institution, observe M. Cambadélis. En dénouant la crise, il installerait le Conseil comme une véritable cour suprême, une instance de recours, au-dessus du président de la République. »

Une censure serait un coup de tonnerre et relancerait le vieux débat sur le « gouvernement des juges ». En 1958, l’ex-garde des sceaux Pierre-Henri Teitgen expliquait qu’il fallait à tout prix éviter que « le gouvernement effectif soit aux mains des retraités qui siégeront dans ce Conseil ». Deux ans plus tard, l’ancien président de la République René Coty affirmait quant à lui que l’institution du Palais-Royal devait être « une cour d’arbitrage entre les pouvoirs », et non pas « une cour constitutionnelle au-dessus des pouvoirs »« Je suis là pour protéger le droit mais aussi pour protéger la République », répétait Michel Charasse, qui fut membre entre 2010 et 2019.

Au sommet de l’Etat, où l’on assure avoir « pris des assurances » au moment de choisir le PLFSSR comme véhicule législatif, très peu croient à la possibilité d’une censure pour détournement de procédure. Une validation du RIP (« mal rédigé » par les auteurs, relève-t-on dans les couloirs du pouvoir) est également jugée peu probable. « Too big to fail »(« trop important pour échouer »), résume l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Julien Vaulpré, président du cabinet de conseil Tadeo. A gauche, on semble se préparer aussi à une simple censure partielle, qui n’empêchera pas la promulgation de la loi. « LFI [La France insoumise] est engagée dans un processus organisé de délégitimation du Conseil constitutionnel, comme elle l’a fait avec le Parlement », observe ainsi le ministre des transports, Clément Beaune.

La mission du Conseil Constitutionnel, soucieux que sa décision soit comprise et acceptée, est infiniment délicate : « S’il censure, les procès sur “le gouvernement des juges” ressortiront. S’il ne censure pas, on dira qu’il protège l’exécutif », résume Jean-Jacques Urvoas. De leur côté, M. Macron et Mme Borne espèrent qu’une validation du texte, même incomplète, contribuera à dévitaliser le mouvement social. « Depuis quand doit-on tomber à genoux parce que le Conseil a parlé ? », avait lancé le leader de LFI Jean-Luc Mélenchon en 2018. A partir de la décision du Conseil, si le texte n’est pas censuré, Emmanuel Macron aura quinze jours pour promulguer la loi.

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