
Les démissions sèches se poursuivent
Si les entreprises communiquent sur l’importance de leur rôle sociétal, sur la « raison d’être » de leur activité, le « quiet quitting » et les démissions sèches se poursuivent, explique la journaliste du « Monde » Anne Rodier dans sa chronique.
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« La notion de sens au travail, qui n’était jusqu’alors qu’un questionnement personnel, est en passe d’être au menu des entretiens annuels
Anne Rodier LE MONDE
Carnet de bureau. Trouver le candidat idéal pour les uns, l’employeur idéal pour les autres. Les responsables des ressources humaines n’en finissent pas depuis trois ans d’étaler leurs difficultés à recruter, liées à la question de sens du travail.
Les entreprises ont réagi en communiquant sur l’importance de leur rôle sociétal, sur la « raison d’être » de leur activité, sur leurs actions environnementales à l’impact plus ou moins vérifiable. Mais le « quiet quitting » (« démission douce ») et les démissions sèches se poursuivent.
Quelques chercheurs ont été réunis, le 7 mars, par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), afin de débattre de la meilleure façon de réenchanter l’entreprise. Selon que l’environnement du travail dont on parle est stable, atypique ou disruptif, les leviers d’action pour remotiver les salariés varient (qualité de vie, parcours professionnel, etc.), explique Jérôme Bertin.
Ce responsable développement et innovation au sein de l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail Auvergne-Rhône-Alpes a évoqué les « trois variables qui pousseraient les gens à démissionner : des conditions de travail dégradées, un travail considéré comme appauvri piloté par des objectifs et non des services rendus, et une absence de perspective professionnelle ».
Des « entretiens de sens »
Deux de ces trois critères analysés par les chercheurs de l’Anact (les conditions de travail et l’évolution professionnelle) sont régulièrement suivis, avec plus ou moins de sérieux, dans le cadre des entretiens professionnels entre les salariés et les manageurs, qui se tiennent une fois par an, tout au long de l’année, ou tous les deux ans, selon les entreprises. La notion de sens au travail, qui n’était jusqu’alors qu’un questionnement personnel, est en passe de les y rejoindre.
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Le cabinet de conseil Grant Thornton surfe déjà sur la vague. En partenariat avec la start-up SomanyWays, spécialisée dans la résolution des problèmes d’engagement des salariés, il a réformé l’entretien annuel de ses collaborateurs pour y intégrer la question du sens au travail.
Les premiers « entretiens de sens » ont été testés au sein des directions de l’audit, fin 2022, avant d’être déployés aux autres métiers depuis février. Côté management, deux cents « parrains » ont été formés pour animer les « entretiens de sens ». Et, du côté des salariés, un outil d’autodiagnostic en soixante questions a été mis à disposition, en prévision de l’entretien avec leur « parrain », afin d’identifier ce qui a du sens dans leur travail. « Les aspirations des salariés ont évolué et les réponses fournies jusqu’à présent par les entreprises ne répondaient pas entièrement aux attentes », commente la DRH de Grant Thornton France, Christelle Le Coustumer
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« Même si nombre de cadres se reconvertissent dans la boulangerie, le maraîchage ou l’ébénisterie, la quête de sens au travail ne se résume pas au retour à l’artisanat (…). C’est au cœur des grandes entreprises et des services publics que va s’intensifier la lutte pour le sens au travail, qui est aussi un combat pour la démocratie et le vivant », annonçaient, à l’automne dernier, les économistes Thomas Coutrot et Coralie Perez dans leur ouvrage Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire (Seuil, 2022). Le dialogue est ouvert.
Les mutations du travail
La « découverte » du télétravail, les difficultés de recrutement de certains secteurs, l’« ubérisation » de nombreux emplois sont-ils les signes d’un changement radical de nos vies professionnelles ? Ce dossier a été réalisé en partenariat avec la Revue française de gestion.
- « Un nouvel agencement de notre société du travail est d’ores et déjà à l’œuvre », par Emmanuelle Barbara, avocate associée du cabinet August Debouzy, spécialiste en droit social
- « Il faut redonner du sens au travail de service », par Julien Cayla, professeur à Nanyang Technological University (Singapour), et Jean-Baptiste Suquet, professeur associé à NEOMA Business School
- « On devrait vouloir non pas de moins de bureaucratie, mais de meilleures bureaucraties », par Régis Martineau, professeur à l’ICN Business School
- « Il faut un changement de paradigme de l’innovation technologique dans les politiques et les discours publics », par Paul Muller, maître de conférences à l’université de Lorraine, et Bérangère Szostak, professeure à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
- « Il faut mettre la motivation au cœur du travail », par François Pellerin, chercheur associé à la chaire Futurs de l’industrie et du travail de Mines Paris-PSL
- « L’enjeu de France Travail sera de mieux coordonner les acteurs de l’emploi », par Nicolas Bourgeois, cofondateur du think tank Néos et membre du bureau exécutif de LRM
Anne Rodier