
ARTICLE
« Les réactions à l’adoption du texte (retraite) portent en germe une défiance à l’égard des institutions »
Mathieu Stoclet juriste. LE MONDE. 26 avril 2023
L’adhésion des citoyens étant une condition nécessaire du bon fonctionnement de la démocratie, le juriste Mathieu Stoclet propose, dans une tribune au « Monde », la mise en place d’une convention citoyenne sur les institutions – une manière, selon lui, de refonder le pacte social.
Le processus législatif qui a conduit à l’adoption de la loi du 14 avril 2023 réformant les retraites a donné lieu à de très nombreuses et parfois violentes critiques. Toutefois, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, le texte a été adopté et promulgué dans le respect des conditions prévues par la Constitution. Si l’on peut s’interroger sur la parfaite conformité de ce processus à l’esprit des textes, il apparaît conforme à leur lettre.
A cet égard, les critiques adressées au Conseil constitutionnel sont infondées. Il faut rappeler qu’il n’avait, initialement, que des prérogatives limitées. Il a progressivement, grâce notamment à la qualité de ses décisions, assis son autorité. Mais il est louable qu’il n’ait pas voulu, en censurant la procédure législative, se reconnaître un pouvoir qui ne lui a pas été reconnu par le constituant. Il ne dispose pas, comme les Cours suprêmes des pays de common law, d’un pouvoir de création de la norme. Il a pour mission de contrôler la conformité de textes à une Constitution écrite. Il dispose bien évidemment, dans le cadre de cette mission, de la marge de manœuvre que lui confèrent des textes tels que la Déclaration de 1789. Mais son pouvoir demeure encadré par la Constitution.
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On se bornera à relever que, à rebours de ce qui est parfois soutenu, le recours à la procédure prévue par l’article 49.3 de la Constitution interdit de considérer que le texte a été voté par l’Assemblée nationale : en raison de la motion de censure déposée, les députés ne se sont pas prononcés uniquement en fonction des effets et enjeux de la loi. Ils ont nécessairement considéré les résultats, difficiles à anticiper, que de nouvelles élections étaient susceptibles de produire sur la composition de l’Assemblée nationale.
Pistes de réflexion
Toutefois, le nombre et la violence des réactions qui se sont exprimées incitent à ne pas se contenter de ces conclusions. Les réactions à l’adoption de cette réforme portent, en effet, en germe une défiance à l’égard des institutions qui ont pris part à ce processus. Or, ce constat n’est pas neutre. On ne peut compter sur le fait que les citoyens oublieront leurs griefs. Bien souvent, la colère ne disparaît pas totalement et ressurgit à une autre occasion, d’autant plus violemment qu’elle n’aura pas été entendue. Elle peut, notamment, s’exprimer au travers d’un vote protestataire.
Or, la démocratie n’est jamais acquise et doit, toujours, être protégée. L’une des conditions de son bon fonctionnement réside dans l’adhésion des citoyens. Chacun ne consent à déléguer une partie de sa souveraineté que parce qu’il considère que sa volonté est prise en compte et respectée par les institutions. A l’inverse, le sentiment de ne disposer d’aucune influence sur les décisions des pouvoirs publics peut générer la violence, car elle constitue parfois le recours de ceux qui estiment ne plus disposer de moyen légal et pacifique de se faire entendre.
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Le souci de préserver la démocratie commande dès lors de faire évoluer le fonctionnement des institutions, non parce que cela serait intrinsèquement nécessaire, mais parce qu’un nombre croissant de citoyens s’en défient désormais. Ils finiront, si rien n’est fait, soit par se détourner de la démocratie en accordant leurs suffrages à des formations politiques qui ne la respectent pas autant qu’elle devrait l’être, soit en recourant à la violence – ou les deux.
Les pistes de réflexion sont nombreuses. On peut s’interroger sur le point de savoir s’il convient de redonner plus de pouvoir au Parlement face au pouvoir exécutif, notamment en supprimant le fameux article 49.3. Les prérogatives respectives du président de la République et du premier ministre, le rôle du Conseil économique, social et environnemental ou les pouvoirs du Sénat peuvent également être examinés. Surtout, la question de l’amélioration de la participation citoyenne doit être posée.
Chacun est légitime à s’exprimer
Le référendum d’initiative partagée, qui reste soumis à des conditions trop strictes, et qui demeure entre les mains du Parlement, ne peut constituer à cet égard une réponse satisfaisante. Ainsi, la question de la mise en place d’un véritable référendum d’initiative citoyenne doit être abordée. Similairement, les modalités de révision de la Constitution, qui suppose aujourd’hui nécessairement un accord de l’Assemblée nationale et du Sénat, pourraient être examinées. On pourrait, encore, s’interroger sur un renforcement du rôle et des pouvoirs du Conseil constitutionnel et, corrélativement, sur le mode de nomination de ses membres, afin que ceux-ci échappent au soupçon de complaisance vis-à-vis du pouvoir en place.
Les chemins pour répondre à ces questions sont divers. Toutefois, la mise en place d’une convention citoyenne mérite d’être privilégiée.
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Les précédentes conventions citoyennes ont démontré que ces organisations pouvaient produire des travaux de très grande qualité, innovants et engagés. Le regard sur les institutions de citoyens réunis autour d’un projet commun et sans postures partisanes sera particulièrement intéressant parce qu’il reflétera l’avis de nos concitoyens sur un sujet sur lequel chacun est légitime à s’exprimer : le pacte social. Une telle convention présenterait en outre un grand avantage. Nos concitoyens risquent, en effet, de se défier, par principe, des solutions que proposeront les institutions contestées pour se réformer elles-mêmes. Une convention citoyenne permet d’éviter cet écueil. Ainsi, en permettant aux citoyens qui seraient tirés au sort de débattre, réfléchir et formuler des propositions de réforme, on accroît les chances que les institutions se rapprochent de ce que nos concitoyens appellent de leurs vœux, et qui ne constitue finalement qu’une application du principe de la République posé par l’article 2 de la Constitution : « Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »
Mathieu Stoclet est juriste et avocat, docteur en droit privé