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LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ : CONFRONTATION FERTILE ?

BILLET

De l’incompatibilité entre liberté, égalité et fraternité

Jean-Marc SAURET Le mardi 16 mai 2023

La pensée continue : elle vient en complément, et en illustration d’articles précédents. Si les voyages et les rencontres forgent notre connaissance du monde et des gens, ils nous apprennent comment ceux-ci pensent et voient ledit monde. On comprend alors à travers ce qu’ils verbalisent, comment ils le conçoivent. S’il existe des points communs, il y a aussi des singularités. S’il est vrai que si les Français sont très attachés à l’égalité (pourvu que l’autre n’en ait pas plus que moi !), les Américains, eux, sont plus attachés à la liberté (pourvu que d’autres ne se mêlent pas de mes affaires). On constate que les deux postures sont relativement égocentrées et certes, s’en réclamer ainsi nous y installe dans une large mesure…

Notre devise affiche avec évidence que nous vivons en tout bien tout honneur sous le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité ». En toute simplicité ? Certes, ce n’est sans doute pas le cas et nombre de digressions et coups de canif dans le contrat jonchent les rues. Le triptyque usuel serait plutôt le sexe, l’argent et le pouvoir, une conception néolibérale. Mais pourquoi cette mécanique républicaine qui semble bien huilée ne fonctionne-t-elle pas si bien que ça ?

En préliminaire, pour défricher le sujet avant d’aller plus avant, il me parait utile de nous souvenir qu’en 1848, au moment précis où la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est adoptée, le philosophe Charles Renouvier la définit dans son Manuel républicain de l’homme et du citoyen : « S’il n’y avait que la liberté, l’inégalité irait toujours croissant et l’État périrait par l’aristocratie ; car les plus riches et les plus forts finiraient toujours par l’emporter sur les plus pauvres et les plus faibles. S’il n’y avait que l’égalité, le citoyen ne serait plus rien, ne pourrait plus rien par lui-même, la liberté serait détruite et l’État périrait par la trop grande domination de tout le monde sur chacun. Mais la liberté et l’égalité réunies composeront une République parfaite, grâce à la fraternité. C’est la fraternité qui portera les citoyens réunis en Assemblée de représentants à concilier tous leurs droits, de manière à demeurer des hommes libres et à devenir, autant qu’il est possible, des égaux. »

En fait, ces valeurs qui « frontonnent » notre vie sociale, au-delà du fait que des vertus émulatives ne peuvent ni s’imposer, ni venir de l’extérieur, ne me semblent toujours pas vraiment compatibles entre elles. La liberté voudrait que je puisse aller où bon me semble y faire ce qui me passe par la tête. Mais voilà que déjà, la bonne morale me reprend et m’affirme que ma liberté s’arrête là où celle des autres commence. Mais en vertu de quoi la liberté de l’autre commence à ce point précis ? Rien ne me l’indique. Rien ne le pose non plus ni pour vrai, ni pour évident, encore moins comme référence. 

Ce point de départ est totalement subjectif, aussi soumis aux représentations de l’autre. Il s’agit en cette occurrence, de déterminer cette frontière de la bienséance, afin d’ouvrir une négociation. Mais les deux parties sont-elles prêtes à cela ? Le doute est certain car la représentation de ce qu’est la liberté est tout aussi personnelle que culturelle. Et si on profitait de cette négociation pour déterminer ce qu’est la liberté ? NHé bien, nous ne sommes pas au bout de nos peines… Il n’y a là rien d’évident !

Gardons cela un temps de côté et regardons ce que nous pouvons faire avec l’égalité. De prime abord, bien des citoyens confondent égalité et équité. Si l’un possède un peu plus qu’un autre, alors il rétorquera qu’il en a besoin pour bien des raisons éminemment subjectives. A l’évidence, celui qui est très grand aura besoin de moins de barreaux à son échelle qu’un très petit. L’égalité réside bien dans l’atteinte de la même bonne hauteur : celle qui permet de bien voir devant, par exemple. L’égalité n’est pas dans la hauteur de l’échelle… L’équité est bien l’atteinte d’un confort identique, d’un résultat équivalent sans partir du même point. Alors que l’égalité réside dans l’attribution d’échelles identiques à chacun. Là aussi, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Quant à la fraternité universelle, elle est plus perçue comme attendue des autres que comme pratiquée à leur adresse dans une réclamation agacée de réciprocité anticipée… « Pourquoi lui simplifierais-je la vie s’il ne me la simplifie pas d’abord ? » Et ce, jusqu’à l’aberrante expression de l’ex-président Trump : « Pourquoi préserver la planète pour les générations à venir ? Qu’ont-elles fait pour nous ? » Là aussi, nous ne sommes pas sortis de ladite auberge républicaine. Cette valeur-là se présente comme une enveloppe qui présume la faisabilité des deux autres dans une harmonie citoyenne. Nous y reviendrons.

Regardons à présent la compatibilité de ces valeurs entre elles. Une liberté totale implique que je puisse posséder bien plus que quiconque si ça me chante, et à la limite, cela pourrait me permettre de ne pas respecter les règles des autres, leurs biens et leurs valeurs, coutumes et intérêts… C’est bien là un des piliers du libéralisme : avoir le droit et le pouvoir de faire tout ce que l’on veut en toute concurrence et compétition, et ce jusqu’au détriment des autres. Le néolibéralisme ajoutera l’autorisation aux plus forts de confisquer les moyens. Donc, la liberté n’est pas compatible avec l’égalité. Dont acte !

L’égalité absolue, comme nous semblons l’avoir vu appliquée dans les états dits communistes prive les plus téméraires de tout un pan de liberté d’action et de propriété, au même titre que nous avons vu plus haut et avec des fortunes diverses. L’absence de respect de l’humanité de l’autre, voire de fraternité réelle, a laissé le système se dégrader. S’organisaient alors les passe-droits jusqu’à l’implosion et la ruine. C’est un peu le même phénomène qui se dessine dans le néolibéralisme actuellement. Donc, l’égalité n’a rien d’absolu. Dont acte !

Qu’en est-il alors de la fraternité ? Si elle est un incontournable, alors où est la liberté ? Si d’ailleurs elle s’applique ou s’exerce à bon escient, alors j’ai comme un doute sur l’égalité de traitement des uns et des autres… Sans elle, quel que soit le régime, il est voué au totalitarisme et à l’effondrement. Il se pourrait alors que la fraternité soit une valeur qui transcende toutes les autres… Nous y reviendrons. 

Mais regardons déjà ce qu’offre ce triptyque comme panache blanc de la république qui, sans lui, ne peut donc pas fonctionner. D’une part, on n’impose pas de l’extérieur des valeurs comme « reliantes ». Et d’autre part un triptyque aussi antagoniste ne peut que soulever bien des interrogations et des suspicions. De plus ces valeurs mal bornées n’ont vraiment rien de stable.

Il se trouve que l’accoutumance à la toute petite tricherie rend acceptable la tricherie, voire par accoutumance prendre un écart supérieur, et puis encore et encore… C’est aussi là une question de représentation. Un certain crescendo s’installe insidieusement. Il en va ainsi pour l’horreur, la transgression et l’agression des autres et de leurs biens. C’est ce que je crois entendre dans l’expression : « Qui vole un œuf, vole un bœuf ! » A l’instar de la grenouille dans de l’eau froide mise progressivement à bouillir, le quidam s’accoutume de ses propres transgressions jusqu’au crime. La nature humaine réclame liberté et égalité mais ne les connaît pas.

Il me souvient avoir perçu un criminel demander aux policiers qui l’arrêtaient si sa victime était bien à l’hôpital. Il ne s’était même pas rendu compte du niveau de l’agression meurtrière qu’il venait de commettre. La conscience est donc bien plus importante, déterminante, que les valeurs elles-mêmes. Elles ne sont que des panaches blancs agités a posteriori comme signes de reconnaissance.

Alors, oui, la fraternité est bien peu compatible avec la liberté, laquelle est incompatible avec l’égalité, laquelle ne garantit pas, et de loin, la fraternité. Le fait des accoutumances aux transgressions explique l’immoralité, le mensonge et la manipulation. On retrouve ces caractéristiques chez des élites déviantes, lesquelles font modèle. Ainsi, elles ne savent plus ce qu’elles font, ne s’en rendent plus compte et continuent de tenir des propos moralisateurs, infantilisants et culpabilisants à l’adresse de « ceux qui n’en sont pas » : ceux justement qu’ils gouvernent et méprisent. L’induction des comportements est là. D’où cette pensée populaire : « S’ils le font, je ne vais pas me gêner ! »

La fraternité dépasse en effet la liberté car la finalité d’une telle pratique est bien de reconnaitre l’autre comme aussi important que soi Elle est au-delà de l’égalité car dès lors l’autre est au moins aussi important que soi, sinon plus. C’est dans la pratique que la valeur s’installe. Il faut une communauté d’intérêt, un usage communautaire, comme le font des fraternités de tous ordres pour que la pratique s’installe. Alors seulement, la fraternité aura une chance d’exister. Sinon, elle restera un vœu pieux, un « truc de bisounours »…

Le fait de nommer à équivalence la liberté, l’égalité et la fraternité pourrait bien indiquer que nous n’aurions vraiment rien compris de ces valeurs-là. Car, parce qu’elle repose sur une représentation sociale motrice, la fraternité transcende toutes les autres valeurs, dont nous n’avons dès lors plus besoin. Et si nous les réclamons encore, il se pourrait bien que ce soit la fraternité qui nous fasse totalement défaut. Pourtant, elle suffit à tous et à tout, au bien-être individuel et collectif, et notamment à l’équilibre social et sociétal. La formule « salut et fraternité », apparue lors de la convention de 1792, relevait donc d’une bonne intuition. Dont acte…

Avant de fermer cette page, il  me vient de dire ceci. Je visionnais sur la toile l’invective d’un passant à l’attention de la maire de Paris. Son service d’ordre tentait de l’éloigner mais il maugréait toujours un propos factuel, lucide et pertinent. Que se passe-t-il ?

Il se passe que quand les dirigeants s’occupent plus de leurs mandats que des gens et des situations dont il ont la charge, les gens du peuple font sans eux. D’abord, ils rouspètent vivement, puis ils commencent à se débrouiller tous seuls, à construire en petit et par morceaux dans l’entre-soi, puis ils renversent la table et se débarrassent des « rois » et de leurs appareils. Ce sont les trois phases de l’exaspération ! Nous sommes bien à la première étape et déjà quelque peu dans la seconde. Ensuite les gens marchent vers un « communalisme fraternel et libertaire ». Nombre de communes sont déjà en mouvement …

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