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RAPPORT BRONNER (Partie 2) ENTRE DÉLIT ET BONNE FOI – ENTRE LIBERTÉ D’EXPRESSION ET POLICE DE LA VÉRITÉ : IMPASSES ?

NOTRE PUBLICATION PRECEDENTE

LA VERITE DANS LE DEBAT PUBLIC : LES MEDIAS SOCIAUX SEULS DESIGNES ? RAPPORT BRONNER (Partie 1) https://metahodos.fr/2022/01/19/gerald-bronner-faisons-de-lesprit-critique-une-grande-cause-nationale/VOIR LES LIENS VERS D’AUTRES PUBLICATIONS DANS CET ARTICLE

Enseignement moral et civique, vers une nouvelle réforme ?

Un rapport de plusieurs centaines de pages, une action : « un nouvel enseignement civique » ?

Nous aurions aimé que les autres acteurs du débat public soient concernés par le diagnostic et les propositions …en vain. Voir notre précédent article )

Bien d’autres mesures et réformes sont indispensables pour recréer le débat public et revivifier la démocratie

Suite aux recommandations du rapport Bronner, Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière être enclin à « un nouvel enseignement civique ». La mesure est assurément indispensable, mais sera t elle ma seule action concrete qui sortira du rapport Bronner ? par ailleurs n’est il pas nécessaire de l’accompagner d’un certain nombre de mesures du type de celles proposées par Metahodos ( avancée de l’age de vote, association des établissements scolaires aux scrutins, creation de conseils municipaux, départementaux, régionaux de jeunes, structures participatives dans les établissements d’enseignement …) ?

RAPPEL : Réformée pour la dernière fois en 2015, l’éducation morale et civique (EMC) est aujourd’hui enseignée aux élèves, du CP jusqu’à la terminale, avec environ 300 heures de cours. L’éducation aux médias et à l’information (EMI) est intégrée au programme d’EMC, de l’école jusqu’au lycée, et peut également être abordée de manière transversale tout au long du cursus dans le cadre du « parcours citoyen » mis en place suite aux attentats de 2015.

Article

Rapport Bronner : la bonne foi doit-elle encore excuser la diffusion de fausses informations ?

18 janvier 2022, The Conversation, Erwan Lamy Associate professor, ESCP Business School

Gérald Bronner vient de rendre au président de la République le rapport de la commission « Les Lumières à l’ère numérique », présentant une série de recommandations pour faire face « aux dangers que l’ère numérique fait peser sur notre démocratie et pour permettre à chacun de se libérer des bulles algorithmiques », selon les termes de la lettre de mission présidentielle.

Il s’agit en particulier de lutter contre les différentes formes de fausses nouvelles et de fausses informations qui circulent sur Internet.

Le rapport propose notamment une évolution du code civil en introduisant dans la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) un nouvel article disposant que « toute diffusion par voie numérique d’une nouvelle que l’on sait être inexacte et qui porte préjudice à autrui engage la responsabilité civile de celui qui la commet ainsi que de toute personne qui la rediffuse en connaissance de cause. »

Modifier le code civil

Cette proposition va sans doute dans le bon sens, celui d’un renforcement des exigences épistémiques – c’est-à-dire des exigences concernant la production d’informations fiables et correctement vérifiées – pour les usagers d’Internet et des réseaux sociaux, dont la responsabilité civile serait donc désormais engagée.

Mais cela ne suffit pas.

En effet, les fausses informations diffusées de manière délibérée (appelées « désinformations » dans le rapport Bronner) ne sont sans doute pas les plus nombreuses, ni peut-être même les plus importantes, si on les rapporte à la multitude des fausses nouvelles que produisent ou retransmettent en toute bonne foi les simples usagers du web et des réseaux sociaux, persuadés d’agir pour le mieux.

Les anti-vaxx diffusant des statistiques fausses ou trompeuses sur l’efficacité ou les effets des vaccins, par exemple, sont souvent certains de révéler la vérité (contre les forces obscures qui travailleraient à la cacher). Pourtant, c’est aussi cela qui devrait pouvoir être sanctionné.

Comment sanctionner ?

Le problème, bien sûr, est qu’il n’est pas possible de sanctionner la simple diffusion de fausses informations. Chacun est susceptible de se tromper, y compris les plus grands scientifiques ou les journalistes les plus exigeants. Sanctionner systématiquement le faux serait donc évidemment absurde et dangereux. Empêcher le faux de s’exprimer serait également contraire aux principes mêmes de nos démocraties qui organisent la liberté d’expression, comme le rappelle explicitement le rapport Bronner. La liberté d’expression, c’est aussi la liberté de dire des bêtises, sans quoi le débat collectif serait paralysé, et l’accès à la vérité, qui naît de la confrontation d’opinions contradictoires, rendu impossible.

C’est notamment pour cette raison que la commission Bronner préfère laisser inchangée la législation pénale en matière de diffusion de fausses informations, et s’en tient sur le plan juridique à cette prudente modification du code civil.

Il ne serait pourtant pas impossible d’avancer un peu plus sur ce terrain. Et ce serait sans doute désirable. Mais comment, sans tomber dans une forme de police de la pensée, et sans réveiller les fantasmes, agités notamment par l’extrême droite, d’un ministère de la vérité ?

Le problème de l’irresponsabilité épistémique

Le problème fondamental de l’information en ligne, ce n’est pas seulement la potentielle fausseté des informations diffusées sur Internet et sur les réseaux sociaux, c’est la légèreté et l’insouciance avec lesquelles ces instruments sont utilisés au quotidien. Il est si facile d’envoyer un tweet, de poster un message sur Facebook, une annonce sur LinkedIn… Rien n’impose d’aller vérifier le bien-fondé des informations que l’on diffuse ainsi, et tout incite au contraire à ne pas trop s’en préoccuper. Ça évite de se compliquer la vie, et c’est sans risque. Dès lors que l’on est de bonne foi et que l’on reste dans le cadre de la légalité, aucune autorité ne va vous reprocher de ne pas avoir correctement vérifié la fiabilité de l’information retransmise.

Autrement dit, les usagers des réseaux sociaux sont « épistémiquement irresponsables ». On est épistémiquement irresponsable lorsque l’on n’a pas à rendre compte, à quelque autorité que ce soit, des fautes que l’on peut commettre lorsqu’on ne vérifie pas correctement les informations que l’on diffuse.

Les usagers ne sont pas les seuls à être épistémiquement irresponsables. C’est également le cas des grandes entreprises d’internet et de leurs dirigeants. Lorsque Mark Zuckerberg exprime clairement qu’il n’a aucun compte à rendre concernant la vérité ou la fausseté des publicités politiques diffusées par Facebook, il est épistémiquement irresponsable. Cette irresponsabilité est structurelle, elle est liée à l’absence de règles concernant ce travail de vérification. Les propositions de la commission Bronner ne changeraient rien à cela.

Pour une responsabilisation épistémique des usagers du web

Contre cette irresponsabilité épistémique, il serait possible d’introduire une notion de responsabilité épistémique qui pourrait lui être opposée (cette notion repose sur un cadre théorique que j’expose dans un article à paraître dans le Journal of Business Ethics). Il ne s’agirait surtout pas de formuler des règles de bonnes conduites concernant la vérification des informations. Cela doit être laissé à l’appréciation de chacun. Cette responsabilité épistémique devrait plutôt être définie comme l’obligation de rendre compte de ses possibles fautes en matière de vérification des informations diffusées, et, le cas échéant, de réparer les éventuels préjudices causés à autrui si cette vérification n’a pas été faite correctement.

Supposons par exemple qu’un usager d’un réseau social retransmette une information fausse concernant les vaccins, et supposons que cette information fausse cause du tort à autrui. Aujourd’hui, cette faute demeure sans conséquence tant que l’usager est de bonne foi. L’introduction d’une notion de responsabilité épistémique dans l’arsenal juridique pourrait changer cela, sans affecter la liberté d’expression. Si l’usager en question peut montrer qu’il avait fait un travail minimum de vérification de ses sources, il ne serait pas inquiété. Dans le cas contraire, il pourrait être sanctionné. Dans tous les cas, l’usager serait tenu de rendre compte de son travail de vérification.

Une telle disposition inciterait donc les usagers du web et des réseaux sociaux à vérifier les informations qu’ils diffusent (et à garder la trace de ces vérifications). Bien sûr, cela imposerait un peu plus de travail, et ralentirait sans doute un peu l’activité des usagers du web, ce qui ne serait peut-être pas une mauvaise chose. Mais, à nouveau, cela n’entraverait aucunement leur liberté d’expression, chacun ayant toujours la liberté de se tromper, à la condition de s’être correctement assuré de la fiabilité des informations retransmises.

Cette responsabilisation épistémique impliquerait une obligation de moyen (vérifier ses sources à minima), non une obligation de résultat (dire le vrai). Mais l’on peut espérer qu’elle aiderait efficacement à lutter contre les fausses informations, et pas seulement contre les désinformations malintentionnées.

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