
Emission
La dangereuse banalisation de l’humiliation
France Culture Réécouter La dangereuse banalisation de l’humiliation. À retrouver dans l’émission AFFAIRE EN COURS par Marie Sorbier
L’humiliation est-elle d’abord une question politique ?
Le philosophe Olivier Abel plaide pour une meilleure prise en compte du sentiment d’humiliation partagé par beaucoup de citoyens.L’humiliation est-elle d’abord une question politique ?
Alors que la France se trouve au beau milieu d’une campagne électorale où tous les coups sont permis, la question de l’humiliation, souvent mésestimée, semble resurgir au sein de notre société contemporaine.
On le sait, une élection présidentielle peut aisément se perdre ou se gagner à cause d’une humiliation subie ou grâce à une humiliation infligée ; ou bien, une élection peut être remportée par un candidat se faisant le porte-parole des humiliés.
Véritable stigmate de l’époque, Marie Sorbier cherche à en savoir davantage sur l’omniprésence de ce sentiment d’humiliation, notamment en politique, auprès du philosophe Olivier Abel.
La question de l’humiliation : serpent de mer protéiforme«
L’humiliation est une question politique ! Trop souvent on la prend pour une question psychologique ou morale. Il m’a semblé très important de la prendre sous son angle politique, sous l’angle des structures humiliantes de notre société. » Olivier Abel
Cette humiliation structurelle, pouvant prendre bien des formes, notamment économiques, politiques ou encore institutionnelles, se manifeste sournoisement dans le quotidien de chacun.
« Lorsque quelqu’un à un guichet reçoit un public en utilisant son petit bout de pouvoir pour bien faire comprendre qu’il est du bon côté du manche, que l’autre doit se soumettre à ses injonctions, c’est un comportement auquel il faut être sensible. Je pense que ça a des effets délétères extrêmement profonds et durables. » Olivier Abel
Réécouter Attente, stress, convivialité : la vie des deux côtés du guichet 59 MINMODES DE VIE, MODE D’EMPLOI
Attente, stress, convivialité : la vie des deux côtés du guichet Banalisation et élargissement du spectre de l’humiliationDans la société contemporaine l’un des problèmes majeurs de l’humiliation est sa progressive et dangereuse banalisation. Là où l’on n’hésite pas à s’indigner face aux inégalités, aux injustices ou encore aux violences, le plus souvent, il n’en est rien face à l’humiliation, car elle a cela de pernicieux qu’elle fait taire lorsque l’on en est victime.
« L’humiliation a des effets lointains, parfois désastreux, que ce soit pour des individus ou des sociétés entières, elle peut avoir des effets politiques énormes. Il faut que l’on redevienne sensible à cette question, que l’on développe une sensibilité collective à ce sujet afin de le considérer avec grande attention. » Olivier Abel
Le philosophe Olivier Abel nous met en garde non seulement contre la progressive banalisation de l’humiliation mais aussi contre l’exposition que l’on donne aux humiliations, particulièrement celles de personnalités de notoriété publique.
« Sur internet il y a forme d’humiliation horizontale extrêmement forte avec des phénomènes mimétiques puissant. Il y a une sorte de lynchage médiatique qui va s’attaquer plus particulièrement aux gens ayant déjà une réputation, accompagné d’une sorte de curieux plaisir à traîner les gens dans la boue. » Olivier Abel
Si l’on peut voir dans cette démarche une sorte de revanche, d’expression d’un certain ressentiment à l’égard des gens ayant tenu le haut du panier depuis longtemps, l’humiliation subie n’en reste pas moins disproportionnée. Là où un échange de coup peut être relativement mesuré et mesurable, il n’en est rien pour l’humiliation, dont l’impact, propre à la sensibilité de chaque victime, est incommensurable.
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Selon Olivier Abel, le recours à l’humiliation est particulièrement malsain dans le sens où il touche à quelque chose de très intime en chacun de nous, qui est le besoin de reconnaissance.
« Le besoin de reconnaissance est infini. C’est pour cela que l’humiliation touche quelque chose qui creuse les sujets et les sociétés de manière interminable. Historiquement, l’humiliation a pu avoir des effets illimités dans les sociétés. En témoigne la signature du Traité de Versailles. Ces atteintes à la reconnaissance peuvent avoir des conséquences durant plusieurs décennies. » Olivier Abel
Avec la disparition d’espaces cathartiques, comme pouvait l’être le théâtre dans l’antiquité, l’humiliation est-elle devenue la voie d’expression de la colère ?
Selon Olivier Abel, il est indéniable que les garde-fous ont en partie disparu de la scène politique, la rendant ainsi vulnérable à son envahissement par les sentiments ou l’émotions.
« La fonction de la tragédie grecque, par exemple, était de civiliser les grandes pulsions, les grandes fureurs. Les furieuses Érinyes de L’Orestie d’Eschyle deviennent des « bienveillantes » par un travail de civilisation des grandes pulsions. Aujourd’hui, les barrières fragiles sont tombées et les sentiments submergent la scène politique. » Olivier Abel
lien vers l’emission :
https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=528dae20-6702-4c06-96d4-e63a09ce212b
Pour approfondir la question, retrouvez l’ouvrage De l’humiliation d’Olivier Abel aux éditions Les liens qui libèrent.