
INQUIÉTUDE ET CONTESTATION
La départementalisation, due à la réorganisation de la PJ destinée à répondre aux enjeux sécuritaires et territoriaux, inquiète les services concernés.
ROBERT BROUSSARD, ANGE MANCINI… À L’ÉLYSÉE HIER MARDI AVEC LES GRANDES FIGURES DE LA POLICE
Les anciens «grands flics» ont été reçus mardi soir à l’Élysée pour un dîner autour d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État a souhaité leur rendre hommage et avoir leur avis sur la profession de policier ainsi que les évolutions apportées au métier durant les dernières années.
Objectif : discuter notamment du rôle de «l’institution policière» face «aux nouvelles menaces», a indiqué l’Élysée.
Parmi les invités, figuraient Robert Broussard, Ange Mancini, Charles Pellegrini, Jo Querry et Frédéric Péchenard, ce dernier étant vice-président LR du conseil régional d’Ile-de-France, notamment en charge des questions de sécurité.
Va t on vers une volte face du président sur la réforme de la PJ ?
Le ministre de l’Intérieur et le directeur général de la police nationale présents auront certainement défendu leur projet de réforme de la police judiciaire, qui prévoit de placer tous les services de police d’un département -renseignement, sécurité publique, police aux frontières (PAF) et police judiciaire (PJ) -sous l’autorité d’un seul Directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet.
La réforme de la police nationale soutenue par le chef de l’État rencontre l’opposition d’enquêteurs de la PJ qui craignent la dilution de leur savoir-faire, voire l’abandon de certains territoires. La Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) a également exprimé son inquiétude.
VOIR NOS PRÉCÉDENTES PUBLICATIONS :
RÉFORME DE LA POLICE : INQUIÉTUDES DES PROCUREURS https://metahodos.fr/2022/09/29/reforme-de-la-police-les-procureurs-font-part-de-leurs-inquietudes/
POLICE JUDICIAIRE : LE RESPECT DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS DOIT S’IMPOSER https://metahodos.fr/2022/09/22/police-judiciaire-le-respect-de-la-separation-des-pouvoirs-doit-simposer/
RÉFORME DE LA POLICE JUDICIAIRE : « UNE MENACE POUR L’ÉTAT DE DROIT» https://metahodos.fr/2022/09/20/la-fin-de-la-police-judiciaire-une-menace-pour-letat-de-droit/
RÉFORME DE LA POLICE JUDICIAIRE – FRONDE GÉNÉRALE ET PASSAGE EN FORCE https://metahodos.fr/2022/09/12/reforme-de-la-pj-quatre-fois-mauvaise-tacle-le-procureur-general-de-la-cour-dappel-de-versailles/
ARTICLE
Suppression de la police judiciaire : une réforme à surveiller
Par Thierry Lentz* Publié le 24/09/2022 LE POINT
Si la délinquance augmente, si les chiffres d’élucidation des affaires se tassent, si les méchants peuvent terroriser les braves gens et si la population « ressent » de l’insécurité, c’est parce qu’on n’a pas réformé assez tôt, assez vite et assez fort. « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! » aurait dit le commissaire Bourrel des Cinq Dernières Minutes, célèbre feuilleton de la télé de grand-papa diffusé entre 1958 et 1996. C’est, en substance, ce que nous dit le ministre de l’Intérieur en déposant au Parlement sa loi d’orientation et de programmation. Elle est motivée sur le grand air de la modernité, de la proximité, de la transparence et de l’exemplarité.
On va avoir enfin une police « à la pointe », plus efficace parce que reconfigurée et proche des citoyens (encore que le développement des plaintes par Internet en soit l’exacte antinomie). Flics et pandores seront même « augmentés », à tous les sens du terme : plus nombreux et dotés des moyens cybernumériques interfacés. On annonce 22 % de budget supplémentaire sur cinq ans, 8 500 recrutements, 200 nouvelles brigades de gendarmerie (on peut parier que la majorité sera « foraine »), des « cyberpatrouilleurs », des « classes de reconquête républicaine », 1 500 policiers spécialisés dans les violences intrafamiliales, un Code et une procédure pénale adaptés, etc. Surtout, air lui aussi connu, on « rapprochera du terrain » la police et la gendarmerie en départementalisant l’organisation et l’autorité. Qui pourrait s’opposer à un tel chantier ?
À peine déposé, le projet de loi a pourtant fait l’objet de nombreuses critiques, principalement en ce que la départementalisation entraînera la suppression de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Fondée par Georges Clemenceau en 1907 (les « brigades du Tigre ») et institutionnalisée en 1929, son existence n’avait jamais été remise en question. Parmi les adversaires de cette partie de la réforme, les avocats du Conseil national des barreaux et, ce qui est plus rare, les magistrats de la Conférence nationale des procureurs, qui ne semblent pas croire à la nécessité d’éclater la DCPJ par départementalisation de l’activité entre les mains des préfets dont, rappelons-le, le corps est en voie de disparition pour donner au gouvernement plus de souplesse dans ses choix (il faut parfois connecter des réformes éloignées entre elles pour comprendre certaines choses… mais là n’est pas la question d’aujourd’hui).
Une question de priorités
La suppression de la DCPJ est au contraire nécessaire, répond le ministre. Elle permettra d’envoyer plus de 5 000 policiers renforcer l’action de proximité, ce qui, espère-t-il sans doute en son for intérieur, permettra d’améliorer les statistiques générales. Il reste à espérer que cela ne se fera pas au détriment de la lutte contre le grand banditisme. Gérald Darmanin rétorque évidemment qu’il n’en est pas question, ce dont on lui donne volontiers crédit. Mais si l’on se met à la place d’un préfet qui se fait « engueuler » tous les jours parce que ses chiffres de la délinquance au quotidien sont mauvais, la tentation sera grande, pour lui, d’opérer des choix dans les priorités, pourquoi pas au détriment de dossiers au long cours mangeurs de moyens.
M. Darmanin balaye aussi les questions posées par le passage des fonctionnaires de la PJ du giron exclusif du Parquet à la tutelle de l’autorité préfectorale, mais il n’est pas clair sur le point qui consiste à savoir qui remplacera la coordination nationale dans les affaires complexes et interdépartementales. Et, disent certains, quid des affaires politico-financières gérées par le Parquet national financier ? Sans doute a-t-on pensé à ces questions en haut lieu, et nous ne faisons pas de procès d’intention. On souhaitera simplement que, comme cela a été le cas pour la suppression des Renseignements généraux en 2007, on ne s’apercevra pas dans quelques années que l’on a fait une bêtise. Instruit par l’échec de celui qu’on dit être son modèle, Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin a dû bien étudier ce point. Il s’en expliquera – du moins on le souhaite – devant les chambres législatives dans les semaines à venir.
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Réformite aveugle
De cette affaire, nous souhaiterions tirer deux conséquences de nature bien différente.
La première est que la réformite continue à faire des ravages. Cette maladie récurrente touche depuis un bon demi-siècle nos hommes de pouvoir, de quelque bord qu’ils soient. Elle vise la Constitution, la législation, les organisations, bref tout ce qui structure une société, souvent sans vue d’ensemble. Les symptômes en sont l’agitation permanente et la certitude que le changement prouve l’action. Les résultats en sont souvent la fatigue des citoyens face à l’insécurité morale et juridique, l’inquiétude des professionnels et le dysfonctionnement des services de l’État, qui ont plus besoin de volonté politique que de chambardements incessants. Mais voilà, la réformite donne des ailes à celui qui en est atteint. Il est convaincu d’œuvrer pour la bonne cause et – ça n’est pas à négliger – dispose d’un bon argument pour expliquer ses résultats décevants en chargeant ses prédécesseurs. « Si on avait réformé avant, on n’en serait pas là » : voici, désormais, la conclusion de toute affaire politique. Même Le Guépard de Visconti n’est plus dans le vent : on change désormais pour que tout change (et non plus pour que rien ne change), parce que rien n’était mieux avant. La réforme, suprême espoir et suprême pensée, aurait dit le poète.
Plus légère, la seconde réflexion touche… à nos imaginaires. Adieu, Bourrel, Moulins et Maigret (« Commissaire Maigret, Police judiciaire ! »). Nos héros et antihéros de la PJ appartiendront bientôt à l’Histoire, et il nous restera plus que Pinot, simple flic.
*Historien, professeur à l’Institut catholique de Vendée.
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