
ÉMISSION
Alain Borer, poète : « La langue française est exposée au risque de s’effondrer en français pourri »
Mercredi 23 novembre 2022. FRANCE CULTURE
La langue française est menacée de substitution et de « désinvention » alerte Alain Borer. Dans cette tribune, l’écrivain voyageur explique que si les mots migrent d’une langue à l’autre, subsistent en elles des données grammaticales et philosophiques à défendre.
Avec
- Alain Borer Poète, écrivain-voyageur, romancier, dramaturge, critique d’art, spécialiste d’Arthur Rimbaud, essayiste
« La langue française n’est pas exactement menacée de disparition comme le gaulois dont subsistent quarante mots » prévient Alain Borer, mais elle pourrait « s’effondrer en français pourri, en une sorte de dialecte de l’empire anglo-saxon« . L’écrivain voyageur, qui se définit comme un « marchand des quatre saisons » curieux des langues du monde, ne veut pas que nous perdions le goût de parler français. Selon lui, deux choses au moins le menacent. D’abord, la substitution des mots français par des mots étrangers et, à partir de là, une forme de « désinvention » : alors que notre langue s’est toujours nourrie d’une pluralité d’autres, pour décrire les objets nouveaux qui s’offrent à nous, nous n’inventerions plus des termes en français mais dans un anglais imité
« La substitution n’a jamais eu cours en langue française : les mots étrangers innombrables ont toujours été transformés sur place, remodelés par l’oreille francophone, comme l’arabe djouba devient jupe, et comme Rabelais transforme cervella en cervelas. On préfère mail à courriel, bashing à dénigrement, niouzlaideur à lettre d’information, fake news à fausse nouvelle ou infox, hashtag à mot-dièse, slikeline à funambule, fooding à cuisine, etc. » Alain Borer, Speak White ! Pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?
Du bonheur « périssable » de parler français
« Substitution et désinvention sont des formes d’un effondrement radical de la langue française » estime Alain Borer. L’écrivain y voit même une forme de « soumission à l’imaginaire à la langue du maître », dominante et globale. Car il existe des particularités grammaticales et morphologiques propres à chaque langue qui renseignent sur une culture, comme la lettre sur l’esprit. « Ces données civilisationnelles sont très différentes d’une langue à l’autre. L’enjeu, ce n’est pas seulement la substitution d’une langue à l’autre, c’est la substitution d’une civilisation à l’autre« , estime Alain Borer. Si aucune langue n’est supérieure à une autre, poursuit l’écrivain au tricorne, toutes diffèrent par un projet singulier et, en cela, se complètent philosophiquement.
« J’en appelle à chérir notre langue, à la défendre, l’illustrer, à ne pas la méconnaître. Il s’agit de considérer avec Camus que « ma patrie, c’est la langue » et qu’elle est une patrie sans frontières. C’est en cela, disait encore l’écrivain, que nous devons préserver ce que nous sommes, pour garder la chance de devenir différents un jour. » Alain Borer
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