
Antilles : la justice prononce un non-lieu dans l’enquête sur le scandale du chlordécone
Seize ans après les premières plaintes et huit mois après la fin de l’enquête, un non-lieu a été prononcé lundi 2 janvier dans le scandale de l’empoisonnement des écosystèmes au chlordécone, un pesticide abondamment utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 en Guadeloupe et en Martinique.
Une décision à haute valeur symbolique
L’enquête au long cours sur l’empoisonnement des Antilles françaises au chlordécone s’est conclue par un non-lieu. Cette issue était également demandée par le parquet de Paris dans ses réquisitions fin novembre.
Le tribunal judiciaire de Paris reconnaît un « scandale sanitaire », mais prononce un non-lieu
Un non lieu définitif ? dans cette affaire de pollution à grande échelle provoquée par l’épandage de l’insecticide dans les bananeraies de la Guadeloupe et de la Martinique. Les victimes annoncent leur volonté de faire appel.
RAPPELONS L’UN DES ÉLÉMENTS MAJEURS DU SCANDALE D’ÉTAT :
Utilisé dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, le chlordécone a été autorisé en Martinique et en Guadeloupe jusqu’en 1993, sous dérogation, quand le reste du territoire français en avait interdit l’usage.
Il n’a été banni des Antilles que quinze ans après les alertes de l’Organisation mondiale de la santé et a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.
L’Etat est désigné clairement comme le «premier responsable», dans les conclusions de l’enquête parlementaire sur l’usage du chlordécone aux Antilles, présenté mardi.
En septembre 2018, Emmanuel Macron reconnaissait lors d’une visite en Martinique la pollution au chlordécone comme un «scandale environnemental». Avant d’ajouter qu’il n’y aurait pas d’indemnisation de la population, et surtout qu’il n’y avait «aucune preuve scientifique établie»entre l’exposition au chlordécone et le nombre record de cancers de la prostate.
ARTICLE 1.
Chlordécone aux Antilles: la justice reconnaît un « scandale sanitaire » mais prononce un non-lieu
Publié le : 06/01/2023 -24 HEURES
Un non-lieu entouré de précautions pour un « scandale sanitaire » ultra sensible: deux juges d’instructions parisiennes ont mis lundi un point final, sans poursuites, à l’enquête sur l’empoisonnement massif des Antilles au chlordécone, un pesticide autorisé dans les bananeraies jusqu’en 1993.
Cette décision à haute valeur symbolique, apprise jeudi de source proche du dossier et confirmée par une source judiciaire, était redoutée par des élus et habitants de Martinique et de Guadeloupe, qui ont régulièrement dénoncé un risque de « déni de justice ».
Dans une ordonnance signée lundi et longue de plus de 300 pages, deux magistrates instructrices du pôle santé publique et environnement du tribunal judiciaire de Paris ont mis un terme à cette information judiciaire ouverte en 2008.
De manière rarissime, les deux juges concluent leur ordonnance par cinq pages d’explications sur les raisons de leur non-lieu.
La pollution des Antilles au chlordécone est un « scandale sanitaire » et une « atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de Martinique et de Guadeloupe.
Une femme porte un t-shirt portant le slogan « Tous contre le chlordécone » à La Boucan à Sainte-Rose, sur l’île de la Guadeloupe, le 29 novembre 2021 © Christophe ARCHAMBAULT / AFP/Archives
L’enquête a selon elles établi « les comportements asociaux de certains des acteurs économiques de la filière banane relayés et amplifiés par l’imprudence, la négligence, l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques qui ont autorisé l’usage du chlordécone à une époque où la productivité économique primait sur les préoccupations sanitaires et écologiques ».
Mais la décision de non-lieu se justifie d’après elles d’abord par la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés », « commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes », la première l’ayant été en 2006.
Les magistrates soulignent également « l’état des connaissances techniques ou scientifiques » au début des années 1990, qui « ne permettait pas » d’établir « le lien de causalité certain exigé par le droit pénal » entre le pesticide et les atteintes à la santé.
« Il n’est pas possible de faire valoir des avancées scientifiques » ultérieures car elles sont « postérieures aux faits » objets de l’information judiciaire, soulignent les juges.
Arguant également de divers obstacles liés au droit, les magistrates attestent que « la cause (des plaignants) a été entendue » et qu’elles ont eu pour « souci » d’obtenir une « vérité judiciaire », mais elles constatent leur impossibilité à « caractériser une infraction pénale ».
A mots couverts, l’ordonnance tacle aussi la plupart des parties civiles, « longtemps silencieuses » dans cette enquête et dont « l’intérêt pour l’instruction ne s’est réveillé » qu’il y a deux ans.
Les deux juges invitent assez ouvertement les victimes du chlordécone à profiter de « la causalité aujourd’hui établie » entre le pesticide et les dommages subis par la population pour saisir « d’autres instances ».
Ce non-lieu est une « honte », a réagi la Confédération paysanne.
« C’est un scandale annoncé, donc ce n’est pas une immense surprise. Ce que nous savons c’est que l’ensemble des avocats a l’intention de continuer les procédures, c’est-à-dire de contester cette décision », a assuré Philippe Pierre-Charles, membre du collectif Lyannaj pou Depolyé Matinik.
Pour Maitre Louis Boutrin, avocat de l’association Pour Une écologie Urbaine, partie civile depuis 2007, cette décision est « un déni de justice ».
-90% des populations touchées-
Utilisé dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, le chlordécone a été autorisé en Martinique et en Guadeloupe jusqu’en 1993, sous dérogation, quand le reste du territoire français en avait interdit l’usage.
Il n’a été banni des Antilles que 15 ans après les alertes de l’Organisation mondiale de la santé.
Il a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.
Selon un rapport publié le 6 décembre par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), près de 90% des populations de Martinique et de Guadeloupe sont contaminées au chlordécone.
Les Antilles détiennent le triste record mondial de cancer de la prostate.
Depuis le 22 décembre 2021, il est reconnu comme maladie professionnelle, ouvrant la voie à une indemnisation pour les ouvriers agricoles.
En 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible.
Le 25 novembre, le parquet de Paris avait requis un non-lieu, estimant que les faits étaient prescrits, s’agissant notamment de l’empoisonnement, ou non caractérisés, concernant l’administration de substances nuisibles.
Depuis l’annonce de ces réquisitions, manifestations et rassemblements ont repris en Martinique, après les milliers de personnes qui avaient défilé à Fort-de-France en février 2021.
Le 6 décembre, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy, a interpellé Emmanuel Macron face au risque de « déni de justice ».
Le chef de l’Etat est « le premier à avoir reconnu la responsabilité de l’Etat dans la pollution du chlordécone en 2018 », l’a défendu le même jour le ministre délégué aux Outre-mer, Jean-François Carenco.
ARTICLE 2. Extrait
Aux Antilles, les parties civiles dénoncent une instruction « bâclée » après le non-lieu prononcé par la justice dans le scandale du chlordécone
D’aucuns, aux Antilles, redoutaient ce dénouement. La justice a rendu, lundi 2 janvier, une décision de non-lieu définitif dans le dossier pénal du chlordécone, clôturant dix-sept années de procédure. Sans surprise, les deux juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris ont suivi les réquisitions du parquet, rendues le 24 novembre 2022, dans cette affaire de contamination de milliers d’hectares de terres agricoles par cet insecticide à forte toxicité, qui avait été abondamment épandu dans les plantations bananières de la Guadeloupe et de la Martinique entre 1972 et 1993.
Depuis deux ans, les associations qui avaient déposé plainte en février 2006 pour « empoisonnement », « mise en danger de la vie d’autrui », « administration de substance nuisible » et « tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises » ont connu plusieurs déconvenues qui semblaient rendre cette issue toujours plus inéluctable. En effet, dès janvier 2021, les juges d’instruction informaient les plaignants d’une possible prescription du dossier. Puis, en mars 2022, les deux magistrates notifiaient les parties civiles de la fin de leurs investigations, sans mises en examen.
Aucun des quatre avocats des parties civiles, contactés par Le Monde, n’avait encore reçu l’ordonnance de non-lieu le 5 janvier, date à laquelle la décision des juges était révélée par l’Agence France-Presse. Dans ce document de plus de 300 pages, souligne l’AFP, les deux juges reconnaissent un « scandale sanitaire », sous la forme d’« une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » de la Martinique et de la Guadeloupe.Lire aussi Scandale sanitaire aux Antilles : qu’est-ce que le chlordécone ?
« Déni de justice »
Les magistrates prononcent néanmoins un non-lieu, évoquant la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés », et soulignant également « l’état des connaissances techniques ou scientifiques » au moment où les faits ont été commis. Autant de facteurs qui concourent à l’impossibilité de « caractériser une infraction pénale ».
« Ce n’est pas une déception. On s’y attendait », admet Christophe Lèguevaques, avocat de plusieurs parties civiles, dont l’association Vivre en Guadeloupe. Après l’annonce des réquisitions de non-lieu, Me Lèguevaques avait, le 22 décembre, adressé au tribunal un mémoire de 239 pages dans lequel il présentait notamment « de nouveaux arguments » contre la prescription. « Ce qui est surprenant, c’est qu’en même pas dix jours ils aient eu le temps d’assimiler tous ces arguments et d’y répondre », ironise cet avocat au barreau de Paris.
…./…