
ÉMISSION
La leçon au monde de la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern
Jeudi 19 janvier 2023 France Inter

La première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern vient de surprendre le monde entier. En annonçant sa démission la nuit dernière après 5 ans et demi à la tête du pays. Et sa façon de faire constitue une leçon d’humanité et de modernité.
Allez voir et écouter ce discours de la première ministre néo-zélandaise. Il est scotchant.
Respect, respect Madame Ardern !
« Je n’ai plus d’essence dans le réservoir, donc j’arrête », lâche cette femme de 42 ans, les yeux embués de larmes, la voix étranglée par l’émotion.
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Cette démission surprise frappe les esprits.
Parce que Jacinda Ardern, depuis 5 ans et demi, a fait exister la Nouvelle Zélande sur la carte du monde. Ce n’est plus seulement le pays des All Blacks.
Ardern a impressionné par sa réaction aux attentats terroristes d’extrême droite contre les mosquées de Christchurch en 2019.
Par sa lutte contre le radicalisme sur Internet.
Par ses succès dans la lutte contre la pandémie (« seulement » 2400 morts dans ce pays de 5 millions d’habitants).
Par son apparition à la tribune de l’Onu son bébé dans les bras.
Et sa façon de jeter l’éponge aujourd’hui frappe encore plus les esprits.
Que dit-elle ? « J’ai tout donné pour être première ministre, mais ce job implique aussi des responsabilités : Vous ne pouvez pas et ne devriez pas faire ce travail à moins d’avoir un réservoir plein (…) Je n’ai tout simplement plus assez d’énergie pour un mandat de plus (…) parce que je suis humaine, les politiciens sont humains ».
Jacinda Ardern, malgré les tensions inflationnistes en Nouvelle-Zélande, aurait pu l’emporter à nouveau lors des prochaines élections à l’automne.
Elle fait un autre choix, inouï pour un dirigeant politique : j’arrête parce que je pense ne plus être en capacité de faire le boulot correctement.
Une démission par choix, non par contrainte ou par échec
Alors vous allez me dire qu’il y a malgré tout plein de dirigeants politiques à avoir démissionné dans le monde avant elle.
C’est vrai mais pas comme ça. Pas en assumant ce raisonnement-là.
Il y a ceux qui jettent l’éponge parce qu’ils y sont contraints. Ce sont les victimes des scandales. Ce tiroir-là est bien rempli au cours du siècle écoulé.
Du Watergate avec Nixon à l’affaire Profumo au Royaume-Uni en passant par les démissions de ministres sous la Vème République française (Cahuzac pour n’en citer qu’un) ou les chutes de candidats à l’Elysée, on pense à DSK.
Ensuite il y a ceux qui jettent l’éponge par échec politique.
À réécouter : En Nouvelle-Zélande, la première ministre travailliste, Jacinda Ardern, tire sa révérence
Parce qu’ils s’estiment désavoués par un scrutin (de Gaulle), parce qu’ils sont virés par leur parti (récemment Liz Truss outre-Manche), parce qu’ils s’estiment en porte-à-faux avec leurs convictions (Nicolas Hulot démissionnant à ce même micro il y a quatre ans et demi).
Mais le renoncement de Jacinda Ardern est différent.
Elle dit : je suis fatiguée, je l’admets parce que je suis honnête. C’est un gros job et là je n’ai plus la force. Sous-entendu aussi : j’ai besoin de retrouver un équilibre avec ma vie privée.
Et alors là, dans cette catégorie, le tiroir est… presque vide !
Hormis des cas très particuliers. Le roi d’Angleterre Edouard VIII et son abdication en 1936 pour vivre avec la roturière américaine Wallis Simpson.
Ou bien la renonciation du Pape Benoit XVI en 2013, là encore un choix sans précédent.
Un acte de modernité et de courage
Donc cette attitude est moderne et courageuse.
Jacinda Ardern est moderne par son humanité, sa façon de regarder la politique différemment, de nous faire comprendre que l’équilibre vie privée – vie professionnelle est primordial.
On sait à quel point cette préoccupation est majeure dans les nouvelles générations. Le travail ne peut pas être l’alpha et l’omega de toute chose.
Et surtout c’est courageux.
Voici ce qu’en dit un député indien, Jairam Ramesh : « Il faut partir quand les gens se demandent tiens pourquoi il s’en va ? Plutôt que le moment où ils se demandent pourquoi il ne s’en va pas. Il faut plus de Jacinda Ardern ».
Depuis ce matin, de nombreux dirigeants rendent hommage à la première ministre néo-zélandaise. Le canadien Trudeau, l’européenne Metsola, l’australien Albanese, etc.
Mais ont-ils écouté ce qu’elle dit ?
Ardern, c’est un leader respecté qui se regarde dans le miroir et en conclue : je ne suis plus la bonne personne pour guider la collectivité, donc je mets de côté mon égo et la vanité de siéger sur le trône.
Que dans les régimes autoritaires, le dirigeant, de Poutine à Xi Jinping, ou Khamenei se dise « je suis le chef à vie parce que je suis le meilleur », c’est la loi du genre.
Mais en démocratie, c’est différent. La lucidité sur soi-même devrait faire partie des qualités du chef d’Etat ou de gouvernement.
Or mon petit doigt me dit qu’une fois passé les hommages de rigueur à la dirigeante néo-zélandaise, personne ou presque ne suivra son exemple.
Donc oui, respect, Madame Jacinda Ardern !
LIEN VERS LA VIDÉO :