
Des motivations strictement économiques
« La retraite et son régime ne concernent pas seulement les millions de retraités et de seniors. Il y a aussi des effets sur l’emploi et son accessibilité, sur la croissance et les niveaux de consommation, et même des effets sur l’inflation, les recettes publiques et le solde budgétaire. Le fait que des centaines de milliers de personnes d’une même classe d’âge partent à 62 ou 64 ans aurait des conséquences directes sur le taux d’emploi, le chômage, la consommation, la croissance, etc. » peut on lire dans l’article ci contre.
ARTICLE
Les conséquences économiques du report de l’âge légal de départ à la retraite
Pierre Rondeau — Édité par Natacha Zimmermann — 20 janvier 2023 SLATE
L’Observatoire français de conjoncture économique a calculé les effets qu’aurait un départ légal de la vie active à 64 ans, contre 62 ans actuellement.
À écouter les éléments de langage du gouvernement, il faut absolument remettre à plat le système des retraites et le réformer rapidement. Il en irait de sa survie et de sa capacité à assurer, pour les futurs retraités, le versement de leurs pensions.
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) pointe notamment un risque de déséquilibre budgétaire allant de 0,5 à 0,8 point du PIB d’ici à 2032, ce qui altèrerait durablement les mécanismes de redistribution et de soutien. Sans compter la nécessaire réduction du déficit public, en hausse depuis la crise liée à la pandémie de Covid-19, qui serait ralentie par les pertes liées au financement des retraites. Conséquence, le report de l’âge légal de départ, de 62 à 64 ans, deviendrait indispensable.
En face, les syndicats sont vent debout contre cette réforme. Ils refusent catégoriquement un tel projet et pointent les exagérations du gouvernement. Le déficit du régime, contrôlable, ne serait que de 10 milliards d’euros sur un budget total de 331 milliards d’euros, et pourrait être résorbé en 2070, selon différents scénarios ciblés.
Pire encore, le rapport du COR indique que «quelle que soit la convention adoptée pour le calcul du solde retraite, le solde global des finances publiques n’en est pas affecté». Autrement dit, avec le régime inchangé, sans réforme, bien qu’en déficit sur les vingt-cinq prochaines années, le système n’aurait aucune conséquence sur les finances publiques.
Des considérations strictement économiques
Mais alors pourquoi vouloir à tout prix le changer? Pourquoi insister sur la nécessité de reculer l’âge légal de départ à la retraite, si le système tient et se pérenniserait naturellement dans le temps? Il doit aussi y avoir des considérations strictement économiques, en matière de chômage, d’emploi et de croissance.
La retraite et son régime ne concernent pas seulement les millions de retraités et de seniors. Il y a aussi des effets sur l’emploi et son accessibilité, sur la croissance et les niveaux de consommation, et même des effets sur l’inflation, les recettes publiques et le solde budgétaire. Le fait que des centaines de milliers de personnes d’une même classe d’âge partent à 62 ou 64 ans aurait des conséquences directes sur le taux d’emploi, le chômage, la consommation, la croissance, etc.
C’est ce qu’ont tenté de démontrer l’Observatoire français de conjoncture économique (OFCE), le laboratoire d’études économique de Sciences Po Paris, et le COR, en janvier 2022. L’OFCE a construit une modélisation macroéconomique permettant de constater les conséquences du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, soit précisément ce que le gouvernement souhaite mettre en œuvre aujourd’hui.
Plus de travailleurs, mais pas plus d’offres d’emploi
Menée par l’économiste Xavier Ragot, cette étude fait ressortir plusieurs éléments. Tout d’abord, les premiers effets positifs de la réforme devraient se faire ressentir à long terme, c’est-à-dire dans les cinq années suivantes. Dans l’intervalle, le recul provoquerait une diminution des salaires, toute chose égale par ailleurs, de 0,3% par an, une hausse du chômage de 0,8% et une baisse de 0,25% du PIB. Comment expliquer cela?
L’allongement de l’âge légal conduirait en effet à une augmentation de l’offre sur le marché du travail, entre les actifs présents et les personnes de plus de 62 ans qui auraient dû laisser leur place, mais qui restent. La concurrence entre actifs se renforcerait et tirerait vers le bas le niveau des salaires nominaux, par le déséquilibre entre l’offre et la demande de travail. Et avec des salaires à la baisse, la consommation et la croissance du PIB diminueraient.
Néanmoins, l’OFCE estime que la plupart de ces effets seraient atténués au bout de cinq ans. Passée cette durée, la baisse des salaires aurait un effet direct sur le coût du travail et sur l’incitation des employeurs à embaucher. L’emploi repartirait. Celui-ci aurait alors un effet positif sur la consommation, sur la croissance et, dans une moindre mesure, sur les salaires. Sans pour autant que l’on retrouve des niveaux comparables à la période d’avant la réforme: certains effets négatifs seraient seulement amoindris. Par exemple, le taux de chômage resterait de 0,3 point de pourcentage supérieur à ce qu’il était.
Trois propositions de l’OFCE
Pour limiter les effets négatifs à court terme et éviter qu’ils se maintiennent dans le temps, l’OFCE fait trois propositions. Tout d’abord, il est évident, selon les auteurs, qu’il faut agir hors période de tension sur le marché de l’emploi, lorsque le chômage est faible et la concurrence entre les actifs réduite.
Ensuite, ils affirment qu’il convient d’associer le projet sur les retraites avec un plan de soutien des investissements publics et privés, afin de tirer vers le haut la croissance et compenser le coût macroéconomique de la réforme. Enfin, ils estiment qu’il faut un soutien de la consommation, au travers d’une politique de la demande visant exclusivement les salaires, notamment l’amélioration du salaire minimum. Selon les auteurs,«[d’]autres politiques de soutien au salaire (salaire minimum) auraient des effets négatifs sur l’emploi». Des propositions qui ne sont pas toutes à l’ordre du jour du gouvernement.
Aujourd’hui, le taux de chômage se maintient à 7,3% –pas vraiment le plein emploi, donc–, et les salaires nominaux n’augmentent pas au niveau de l’inflation. Il faudra voir quelles seront les conséquences sur l’emploi, le chômage, le pouvoir d’achat et la croissance si la réforme venait à passer.