
EMISSION
Qu’est-ce que le « mal radical » selon Kant ?
Jeudi 5 janvier 2023 FRANCE CULTURE
Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) se demande d’où vient le mal dans le monde, et si l’être humain est méchant par nature. Comment comprendre que le La mal, radical et non pas absolu, est autant un penchant naturel que le résultat de notre volonté ?
Avec philosophie propose cette semaine une série intitulée « Pourquoi les philosophes aiment-ils la radicalité ? ». Dans le langage ordinaire, le mot « radical » semble de plus en plus assimilé à « extrémiste », avec d’éventuelles connotations négatives. Pour les philosophes, être radical, c’est aller à la racine des choses, une attitude intéressante, voire nécessaire pour certains. Un tel décalage donne à réfléchir. Voici le quatrième et dernier épisode de cette série : qu’est-ce que le « mal radical » selon Kant ?

Avec
Elena Partene, agrégée-répétitrice au département de philosophie de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et docteure en philosophie.
Antoine Grandjean, professeur à l’Université de Lille, spécialiste de philosophie allemande.
Le mal est imputable à la volonté, et non à la connaissance :
Le mal radical kantien est un mal de nature morale. Elena Partene précise en effet que « chez Kant, le mal radical est pris dans une conception purement morale, c’est-à-dire que la première chose qu’il faut dire, c’est que la discussion sur le mal se déprend d’un lien à l’intellect et à la connaissance. La manière dont Kant aborde le mal est une manière anti-intellectualiste. Dans la tradition, la maxime socratique « Nul n’est méchant volontairement » a joué un grand rôle. On a souvent expliqué le mal en le rabattant sur l’erreur, donc par une confusion entre le bien apparent et le bien réel. En réalité, tout le monde veut faire le bien, mais parce qu’on confond les deux, on en arrive à faire le mal, qui est donc imputable à l’intellect, au raisonnement, comme si c’était une erreur de calcul ou une erreur de raisonnement, et non pas à la volonté. Kant, sur ce point, connaît l’influence rousseauiste qui affranchit la volonté morale de la sphère intellectuelle. Il ne faut donc pas rabattre le mal, qui est imputable à la volonté et non à la connaissance, sur une volonté que Kant appelle « diabolique ». Même lorsqu’il agit mal, l’être humain ne veut pas le mal pour lui même, le mal pour le mal, puisqu’en réalité, tout être humain, même le plus scélérat, même le plus criminel, entend la loi morale.«
Le mal radical kantien est le mal fondamental :
Antoine Grandjean explique que l’adjectif « radical », dans le concept de mal radical, « renvoie au fond à une exigence qui est celle de la raison, celle de remonter à la racine des choses. C’est notamment un titre de Leibniz : De l’origine radicale des choses (1697). La raison cherche à comprendre et à reconduire les choses à leur racine. Si le mal est radical, c’est au sens où il est le mal à la racine. Le mal radical, c’est celui, comme le dit Kant, qui est au fondement de la corruption, qui corrompt fondamentalement toutes nos maximes, c’est-à-dire les règles d’action que nous nous donnons. Le mal radical, c’est le mal fondamental. Kant produit un concept qui indique d’une certaine manière que toutes nos fautes locales sont dérivées d’une sorte de faute originaire. Mais cette faute originaire doit rester une faute, autrement dit elle doit rester un acte de la liberté. Le mal radical est une sorte de pli que notre liberté se donne elle-même.«
L’émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.
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Bibliographie
- Elena Partene, Dimitri El Murr (co-direction), Kant et Platon. Lectures, confrontations, héritages, éditions Vrin, 2022
- Elena Partene, Alexandre Feron (co-direction), Le Principe, éditions Lambert-Lucas, 2021
- Elena Partene, La norme et l’excédent. Étude sur les prémices du transcendantal kantien, éditions Hermann, collection “Le Bel Aujourd’hui”, à paraître le 31 janvier 2023
- Antoine Grandjean, Critique et réflexion. Essai sur le discours kantien, éditions Vrin, 2009
- Antoine Grandjean, La philosophie de Kant, éditions Vrin, 2016
- Antoine Grandjean, Métaphysiques de l’expérience. Empirisme et philosophie transcendantale selon Kant, éditions Vrin, 2022
- Antoine Grandjean, traduction du texte de Kant intitulé Sur l’échec de tout essai philosophique en matière de théodicée, aux éditions Cécile Defaut, 2009
Références sonores
- Archive de Georges Bataille, interview avec le journaliste Pierre Dumayet à propos de son livre intitulé La Littérature et le Mal (1957), 1958.
- Lecture par Manon de La Selle d’Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique (1788), Première partie, Chapitre 3, Pléiade : Kant, Œuvres philosophiques, Tome 2, p. 729-730.
- Extrait de William Shakespeare, Macbeth (1606), Acte I, scène 7. Diffusion sur France Culture le 30 janvier 1971. Texte français et adaptation par Claude Mourthé. Enregistrement en décors naturels, dans le cadre de l’abbaye de Royaumont.
- Chanson du groupe Television, « See No Evil », 1977
- Lecture par Manon de La Selle d’Emmanuel Kant, La Religion dans les limites de la simple raison (1793), traduction J. Giobelin revue par M. Naar, Vrin, p. 79.
- Extrait de William Shakespeare, Macbeth (1606), Acte V, scène 1. Diffusion sur France Culture le 30 janvier 1971. Texte français et adaptation par Claude Mourthé. Enregistrement en décors naturels, dans le cadre de l’abbaye de Royaumont.
Le Pourquoi du comment : philosophie
Toutes les chroniques de Frédéric Worms sont à écouter ici.