
Le RIP concerne bien une « réforme » au sens de l’article 11
La proposition de loi issue d’un référendum d’initiative partagée voulant fixer à 62 ans l’âge maximal de départ à la retraite est bien une « réforme » au sens de l’article 11 de la Constitution, explique, dans une tribune au « Monde », le professeur de droit Paul Cassia.
CERTAINES DE NOS PRÉCÉDENTES PUBLICATIONS :
metahodoshttps://metahodos.fr › 2023/03/28dans la réforme des retraites pourrait venir du Conseil constitutionnel. 28 mars 2023 — RÉFÉRENDUM D’INITIATIVE PARTAGÉE – RIP (1) : « La « pause » dans la … la loi sur la réforme des retraites » https://metahodos.fr/2023/03/ …
metahodoshttps://metahodos.fr › 2023/04/05LE RIP (3) CRÉÉ SANS CHANCE DE MISE EN ŒUVRE ? – POINT DE VUE. il y a 7 jours — RÉFÉRENDUM D’INITIATIVE PARTAGÉE – RIP (1) : « La « pause » dans la réforme des retraites pourrait venir du Conseil constitutionnel …
metahodoshttps://metahodos.fr › 2023/03/28RIP (2) : LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL MAÎTRISE … 28 mars 2023 — RÉFÉRENDUM D’INITIATIVE PARTAGÉE – RIP (1) : « La « pause » dans la réforme des retraites pourrait venir du Conseil
ARTICLE
Réforme des retraites : « Le référendum d’initiative partagée porte bien sur la politique sociale de la nation »
Paul Cassia Professeur de droit à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. 11 04 2023 LE MONDE
Le Conseil constitutionnel doit rendre, vendredi 14 avril, deux de ses décisions les plus attendues de la période récente. L’une est relative à la loi de financement rectificative de la sécurité sociale, laquelle fixe à 64 ans l’âge d’ouverture du droit à la retraite ; l’autre a trait à une proposition de loi en vue d’un référendum d’initiative partagée (RIP), laquelle entend que cet âge soit fixé à 62 ans au maximum.
Lorsque au moins 185 parlementaires ont déposé une proposition de loi RIP, le Conseil constitutionnel doit en vérifier la conformité avec la Constitution, en prenant en compte les données de fait et de droit, à la date où il a été saisi – le 20 mars. S’il n’est pas contesté que le RIP « retraite à 62 ans » remplit d’évidence la quasi-totalité des prescriptions constitutionnelles, la première ministre a déposé des observations demandant au Conseil constitutionnel de rejeter cette proposition de loi référendaire, au motif qu’elle ne véhiculerait pas une « réforme » de politique sociale de la nation au sens de l’article 11.1 de la Constitution, dès lors qu’au 20 mars l’âge de départ à la retraite est déjà établi par la loi à 62 ans.
Le Conseil constitutionnel a auditionné, le 4 avril, une partie des parlementaires. Les membres de l’institution leur ont posé une seule question sur le RIP : ce dernier peut-il être analysé comme une « réforme » ? Ce terme a été introduit à l’article 11 de la Constitution par une loi du 4 août 1995 signée par Alain Juppé, alors premier ministre et désormais conseiller constitutionnel, auquel le président Laurent Fabius a confié le soin d’être rapporteur sur le sort à réserver à la proposition de loi RIP. L’interrogation quant à sa portée est décisive, car elle conditionne la suite à donner au RIP, en premier lieu l’ouverture pour neuf mois de la phase de recueil d’au moins 4,8 millions de soutiens préalables à un éventuel référendum.
Une portée propre
Le Conseil constitutionnel pourrait, à première vue, avoir un argument en faveur du rejet pour inconstitutionnalité de la proposition de loi RIP, puisque, dans le langage courant, une « réforme » implique un changement majeur par rapport à l’existant. Une telle position aurait le mérite politique de correspondre aux intérêts du gouvernement, dont plusieurs des membres du Conseil constitutionnel ont été proches, de par leurs parcours. Mais, d’une part, la proposition de loi RIP contient une « réforme » au sens classique de ce terme. La législation actuelle comporte en effet un plancher, puisqu’elle prévoit l’ouverture du droit à pension « à partir de l’âge » fixé par différents textes. La proposition de loi RIP comporte un plafond, car elle vise à inscrire un maximum en matière d’âge légal de départ à la retraite, lequel « ne peut être fixé au-delà de 62 ans », ce qui milite en faveur d’une tendance à la réduction de cet âge légal.
Lire aussi la tribune : « Si la demande de référendum sur les retraites avait été formulée plus tôt, cela aurait pu inciter Macron à promouvoir une réforme plus consensuelle »
D’autre part, à l’instar de quelques autres notions juridiques – telle la « gratuité » constitutionnelle de l’enseignement public, qui, comme en a décidé le Conseil constitutionnel dans une décision du 11 octobre 2019, n’empêche pas que des frais soient demandés pour s’inscrire à l’université –, la notion constitutionnelle de « réforme » a une portée propre, se déduisant de la combinaison de plusieurs éléments juridiques objectifs.
Certains reposent sur des textes. En 1995, le constituant a voulu élargir le champ du référendum, afin que la souveraineté nationale s’exprime davantage par cette forme de démocratie directe, qui n’a été empruntée qu’à neuf reprises depuis 1958. Et il ressort des travaux préparatoires à la révision constitutionnelle du 4 août 1995, notamment des propos du garde des sceaux d’alors, Jacques Toubon, et du député Pierre Mazeaud, futur président du Conseil constitutionnel, que l’appellation de « réforme », introduite sans motivation particulière à travers un amendement parlementaire, a la même signification que la notion d’« orientation » à laquelle elle s’est substituée. L’important est que la proposition de loi référendaire soit suffisamment précise en elle-même.
« Cheminement démocratique »
D’autres éléments d’interprétation du mot « réforme » découlent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 9 mai 2019, il n’a pas recherché si, en droit ou en fait, Aéroports de Paris était déjà un service public national, comme le prévoyait la proposition de loi RIP visant à « affirmer » ce caractère de service public national : il a constaté que cette proposition de loi « porte sur la politique économique de la nation », sans reprendre le terme de « réforme ». Et si, dans sa décision du 25 octobre 2022, il a estimé que la proposition de loi RIP créant une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises ne portait pas sur une « réforme » relative à la politique économique de la nation, il a ensuite recherché si ce texte pouvait constituer une réforme en matière de « politique sociale ou environnementale », au sens de l’article 11 de la Constitution, ce qui n’a pas été le cas en raison du caractère exclusivement fiscal de cette proposition RIP, lequel n’entre pas dans le domaine du référendum.
Lire la tribune : Jean Garrigues sur le conflit des retraites : « Au-delà de la présidence jupitérienne, c’est tout notre édifice institutionnel qui est discrédité »
C’est dire que le mot « réforme » au sens de l’article 11 de la Constitution peut, et même doit, être entendu comme synonyme du mot « matière » ou « objet ». A cet égard, il n’y a pas de doute que, lue en elle-même, et donc quelle que soit la législation régissant au 20 mars l’âge du départ en retraite, la proposition de loi RIP, soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, porte sur la politique sociale de la nation.
Le RIP « retraite à 62 ans » validé par le Conseil constitutionnel, il reviendrait aux électeurs de décider, pendant la période de neuf mois de recueil des soutiens, si la proposition de loi RIP est opportune au regard de la législation applicable à l’âge de l’ouverture du droit à pension de retraite. La proposition de loi référendaire pourrait ainsi « aller au bout de son cheminement démocratique », pour reprendre l’expression du président de la République à propos de la loi élevant à 64 ans l’ouverture de l’âge de départ à la retraite.