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LIRE « DÉMOCRATIES CONTRE EMPIRES AUTORITAIRES »

« Durant trois décennies, les citoyens des démocraties se sont endormis le cœur léger en pensant que leur sécurité et leur avenir étaient garantis« 

,écrit Nicolas Bavarez au début de son nouvel essai. Il déplore notamment la naïveté et « l’aveuglement volontaire » des démocraties libérales face à la montée des empires autoritaires, de l’effondrement du bloc communiste en 1989 jusqu’à l’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022. 

Les régimes autoritaires ont « profité de la faiblesse et de la division des démocraties pour ressurgir de leurs cendres, pour se durcir politiquement et idéologiquement, pour affirmer leurs ambitions de puissance et ériger l’Occident en ennemi. » Face à la Chine de Xi Jinping et à la Russie de Vladimir Poutine, l’auteur réfléchit à la façon dont les démocraties peuvent s’imposer dans la démultiplication des conflits économiques, géopolitiques et axiologiques.  

COMMENTAIRE DE « À LIVR’OUVERT »

introduction

LE DOULOUREUX REVEIL DES SOMNAMBULES

L’attaque de l’Ukraine…marque un changement de monde avec le retour de la guerre de haute intensité en Europe, accompagné d’un cortège d’atrocités.L’Europe replonge dans les pires heures de la guerre froide, avec un nouveau rideau de fer qui la sépare, courant de la Baltique à la Grèce. Le conflit ukrainien…libère la violence sur tous les continents. Il est ainsi à prévoir que de nombreux affrontements gelés se transforment en confrontation armée directe, en Afrique, au Moyen-Orient, au Maghreb, mais aussi au Caucase, en Asie centrale ou en Méditerranée. L’aveuglement volontaire des démocraties sur la montée des menaces visant la liberté, en dépit de la multiplication des alertes…Le pouvoir illimité du totalitarisme russe est allé de pair avec l’institutionnalisation de la guerre, devenue le socle du régime avec l’enchaînement des interventions en Géorgie (2008), en Syrie (2013), en Crimée et au Donbass (2014), en Libye (2016), en Centrafrique (2018) et au Mali (depuis 2016).

L’apparente unité des démocraties masque un grand écart: les Etats-Unis voient leurs secteurs de l’énergie, de l’armement et de l’agriculture confortés par le conflit, quand l’Europe se montre économiquement fragilisée, mais aussi politiquement et moralement. La liberté politique est un enjeu central du XXIème siècle, sachant que les nouveaux autoritarismes reposent sur la concentration de toute l’autorité entre les mains d’hommes forts, sur l’institutionnalisation de la violence et du mensonge, sur le contrôle par l’Etat de l’économie, de la société et des médias…Leur influence a considérablement progressé dans les pays du Sud à travers l’exportation de leur modèle conjuguant pouvoir personnel, fusion de l’Etat et des services de sécurité, économie de prédation contrôlée par des oligarques proches du pouvoir, contrôle et manipulation de l’information. 

LA GRANDE CONFRONTATION

L’histoire n’est pas linéaire. Elle stagne, puis elle accélère brutalement autour de moments nœuds, caractérisés par la multiplication et l’enchevêtrement des crises. Cette grande confrontation est le fruit du durcissement militaire, idéologique et politique des empires autoritaires…pour assouvir leur volonté d’expansion et construire un ordre international post-occidental autour de vastes sphères d’influence.

Les surprises de la guerre d’Ukraine. Le PIB de l’Ukraine a été amputé de moitié et les territoires conquis par la Russie quasiment rasés, à l’image de Marioupol et des villes du Donbass. La guerre d’Ukraine s’est ainsi transformée en un affrontement de longue durée entre la Russie et les démocraties occidentales, sans le soutien desquelles l’Ukraine ne pourrait résister.

Derrière l’Ukraine, l’Europe et la démocratie. La Russie est plus que jamais enfermée dans l’autocratie…Elle se définit comme puissance face aux Etats-Unis et comme ennemie de l’Europe, considérée comme une menace politique, intellectuelle et morale. La stratégie russe est limpide: créer le désordre et entretenir la peur dans la population européenne, tout en divisant l’Union, en la coupant des Etats-Unis et du Royaume-Uni, en lui aliénant les pays d’Afrique et du Moyen-Orient. La paralysie, l’éclatement et l’isolement de l’Europe sont en effet les conditions requises pour l’extension de l’empire russe sur le continent.

De Kiev à Taïpei La Chine a préparé la conquête militaire de Taïwan par la montée en puissance de sa marine, portée au premier rang mondial avec 350 bâtiments de combat contre 293 pour les Etats-Unis, ainsi que par l’annexion et la militarisation des îlots de la mer de Chine du Sud. Taïwan constitue une pièce essentielle des échanges internationaux et est interconnectée au monde entier, produisant 52% des semi-conducteurs et 61% des puces les plus avancées en 16 nanomètres. L’invasion de l’Ukraine a avivé les tensions autour de Taïwan et accru les risques d’attaque de l’île par la Chine. 

Logique de blocs en guerres de moins en moins froides La guerre d’Ukraine…fait émerger trois blocs, non seulement d’un point de vue idéologique et militaire, mais aussi d’un point de vue économique et technologique: les empires autoritaires; les démocraties rangées sous la garantie de sécurité américaine; les pays du Sud…avec une inclination vers la position russe en raison du ressentiment contre l’Occident lié au passé colonial. La crise existentielle des démocraties, prises en étau entre la logique de guerre civile et les populismes qui les corrompent à l’intérieur, la menace des empires autoritaires et du djihadisme qui entendent les annihiler. Dans cet environnement, la guerre revient au premier plan de l’horizon des nations, y compris dans sa dimension nucléaire qui s’étend avec la prolifération et la banalisation de la menace. La conflictualité ne cesse de progresser. Le monde s’ensauvage. Et rien ne permet de penser que la guerre entre les grandes puissances du XXIème siècle restera froide. 

LA PAIX PERDUE DE 1989

La paix de 1945 stabilisa le système international et permit aux démocraties de résister à la pression soviétique tout en évitant un troisième conflit mondial malgré les multiples crises et conflits périphériques de la guerre froide…Elle fonda un remarquable cycle de développement économique et de progrès social dans les démocraties développées. Force est de constater que 1989 fut comme 1918 une paix manquée…Il n’y a pas eu de négociation pour construire un ordre mondial adapté aux défis planétaires du XXIème siècle: le vieillissement d’une grande partie du monde et la reprise des migrations; la mondialisation; la révolution numérique; la transition écologique; la prévention des conflits alors qu’une nouvelle course aux armements s’enclenchait. 

Après-guerre froide et désordre mondial Les années 1990, comme le début du XXème siècle, virent avorter la transition de la Russie vers la démocratie et l’économie de marché. La libéralisation des institutions dériva vers l’effondrement de l’Etat, la montée de la violence et la généralisation de la corruption. Dans la crise ukrainienne, les Européens, notamment l’Allemagne et la France, ont joué un rôle clé dans la signature des accords de Minsk I en 2014 et de Minsk II en 2015, très favorables à la Russie, puis sont restés silencieux devant leur inapplication. L’Union européenne est restée inerte devant l’effondrement du cadre de sécurité du continent. Elle s’est concentrée sur la construction d’un grand marché…quitte à créer une dépendance dangereuse envers la Russie pour l’énergie, la Chine pour les biens essentiels, les Etats-Unis pour la technologie. 

La régression de la Russie vers la dictature Vladimir Poutine a transformé la volonté initiale de restaurer l’Etat russe en un projet politique qui mêle l’autocratie avec l’instauration d’une présidence à vie, la colonisation de l’Etat par les services de sécurité, l’appropriation des monopoles de l’énergie et des matières premières par des oligarques, la conduite d’un réarmement massif, la reconstitution de l’Empire soviétique à partir de l’intervention en Géorgie en 2008. Sur le plan idéologique, la propagande se déploie autour de la victimisation de la Russie, de son encerclement par l’OTAN, de la haine de la démocratie et de l’Occident, du projet impérial et de la négation de l’Ukraine en tant qu’Etat et nation. 

Quand la Chine se referme La Chine est restée un Etat totalitaire et n’a renoncé ni à l’idéologie marxiste ni au pouvoir absolu du parti communiste. Sous l’influence de Xi, les autorités de Pékin ont également institué un contrôle du capitalisme dans trois domaines clés: la finance, la technologie et l’enseignement. Le temps joue en effet désormais contre la Chine, en raison de son déclin démographique, du freinage de son économie, de sa dépendance pour l’énergie, les matières premières et la technologie. 

L’ère des autocrates Le constat est sans appel: les libertés régressent sur tous les continents. Sur 167 Etats, la planète ne compte plus que 21 démocraties à part entière, qui regroupent 6,4% de la population mondiale, et 53 démocraties imparfaites. Les régimes autoritaire (59) ou hybrides (34) sont largement majoritaires et gouvernent plus de la moitié de l’humanité. Tous ces autocrates communient dans la détestation de la démocratie, dans la volonté de faire émerger un ordre post-occidental et dans le culte de la force. 

Le désarroi de l’Occident En moins de trente ans, l’Occident a perdu le contrôle du XXIème siècle, s’engageant dans un cycle de guerres enlisées et de défaites après les attentats de 2001, engendrant le pire krach du capitalisme depuis 1929, frôlant l’implosion de la monnaie unique européenne, se révélant désorganisé et paniqué lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19, ignorant la montée de la menace existentielle provenant des empires autoritaires. Les démocraties sont coupables de s’être abandonnées à la démagogie et d’avoir donné la priorité aux intérêts de très court terme sur les enjeux stratégiques, qu’il s’agisse de santé et d’éducation, de souveraineté industrielle, alimentaire ou énergétique, de transition climatique ou de sécurité. Le véritable antidote aux autocrates, c’est la reconstruction des démocraties et la foi retrouvée dans les valeurs qui firent le succès de l’Occident: l’égalité et la solidarité; le risque et l’innovation; l’ouverture et le choix du grand large; le pari de la responsabilité et de la liberté politiques.

LES DEMOCRATIES ENTRE GUERRE ET POPULISME

Toutes les démocraties sont donc vulnérables et exposées sur deux fronts: la paralysie de leurs institutions et la corruption de leurs principes et de leurs mœurs; les menaces des puissances qui récusent la liberté politique.

La démocratie et la guerre Le premier risque qui pèse sur la démocratie provient de la prise en tenaille entre une guerre longue et la corruption par la démagogie. Le demos, peuple organisé de citoyens libres et responsables, tend à se décomposer en laos, coalition inflammable d’individus atomisés.

La multiplication des fronts La guerre d’Ukraine…jette une lumière crue sur les tensions qui traversent l’Etat dans les démocraties et qui le condamnent à l’effondrement s’il n’entreprend pas des réformes radicales. Il doit se repenser et se réorganiser autour de la gestion des risques, ce qui suppose d’anticiper au lieu de réagir, de planifier au lieu de mettre en place des mesures d’urgence, d’élaborer des stratégies complexes au lieu de juxtaposer des politiques sectorielles qui se contredisent.

Entre résilience et lassitude Les démocraties ont dilapidé en quelques décennies l’héritage de la seconde moitié du XXème siècle qui les vit conjuguer développement économique, progrès social, stabilité politique organisée autour du salariat et des classes moyennes, résistance efficace au soviétisme enfin. Au fil des crises, elles ont basculé dans une triple crise de légitimité, d’efficacité et de leadership. Le paradoxe tragique veut que les populistes, quand ils arrivent au pouvoir et qu’ils sont confrontés au principe de réalité, aggravent tous les maux qu’ils prétendent guérir.

Le réveil tardif et douloureux des démocraties L’issue de la guerre en Ukraine se joue sur une double ligne de front: celle de l’avant dans le Donbass et sur les côtes de la mer Noire; celle de l’arrière dans les sociétés démocratiques. Il est impératif de maintenir alignées les démocraties autour de principes clairs: la défense de la souveraineté de l’Ukraine; le refus de toute normalisation avec la Russie tant qu’elle ne renonce pas à ses projets impériaux; le rééquilibrage de l’OTAN par la construction d’un projet européen. La menace existentielle que font peser les empires autoritaires sur la survie des démocraties, et particulièrement de la Russie sur l’Europe, fournit le levier pour imaginer un nouveau contrat économique et social, réduire les inégalités…réaffirmer la dimension universelle des droits de l’homme.

UN MONDE FRAGMENTé ET DECHIRé 

L’espace mondial éclate et se restructure autour de blocs en fonction de la nature des régimes politiques et de leur idéologie.

L’implosion de la mondialisation (ruptures d’approvisionnement) Au total, 800 millions de personnes, soit 10% de la population mondiale, souffrent désormais de la faim et plus de 100 millions de personnes ont basculé dans la famine. (Allemagne) Sa triple dépendance énergétique à la Russie, économique à la Chine, technologique et sécuritaire aux Etats-Unis, se révèle aujourd’hui insoutenable. 

Le grand découplage de la Chine La Chine est désormais une source d’instabilité et d’insécurité pour l’économie comme pour la géopolitique mondiale. Ses problèmes intérieurs comme son durcissement idéologique ne peuvent que renforcer son tournant nationaliste et ses ambitions impériales.

Le retour de la stagflation Le télescopage entre, d’un côté, la remontée des taux et la réduction du bilan des banques centrales et, de l’autre, le surendettement des Etats, alors que des investissements publics massifs sont requis en matière de santé, d’éducation, de réarmement ou de transition écologique, mais aussi l’amoncellement des dettes privées, crée un risque élevé de crise financière.

Le Sud contre l’Ouest Les pays émergents…pratiquent une diplomatie transactionnelle en fonction de leurs intérêts…Ils penchent en faveur de l’axe constitué par Moscou et Pékin, et reprennent à leur compte le narratif russe qui, contre les faits, explique le recours à la guerre par l’expansion de l’OTAN et attribue la crise humanitaire aux sanctions occidentales. 

Vers l’économie de guerre Force est de constater que la mondialisation s’efface devant les structures d’une économie de guerre…Les empires autoritaires mettent explicitement l’économie au service de la guerre, comme le montrent la Russie avec le gaz ou la Chine…pour préparer la population à supporter des sanctions occidentales en cas d’attaque de Taïwan. 

Gagnants et perdants La grande perdante est sans nul doute la Russie…elle sortira du conflit exsangue, en ayant ruiné la partie moderne de son économie et de sa société. Elle sera vassalisée par la Chine. Pour l’Union, la guerre d’Ukraine additionne une crise économique majeure, un choc énergétique, une crise de gouvernance avec le basculement des équilibres de l’Ouest et du Sud vers l’Est et le Nord, une crise stratégique, une crise existentielle avec la nécessité de se réinventer autour de la souveraineté et de la sécurité. Au sein du monde émergent, les pays qui cumulent dépendance aux importations d’énergie et d’alimentation, séquelles de l’épidémie, risques climatiques et insécurité sont très vulnérables, à l’image des Etats du Sahel, de la Corne de l’Afrique, du Maghreb ou encore de Madagascar, du Pakistan ou du Bangladesh. La situation de la Chine est contrastée…Tout dépendra de l’évolution de la crise autour de Taïwan et de l’éventuel recours de Xi Jinping à la force armée. Les Etats-Unis disposent de tous les leviers de la puissance et de la souveraineté…L’Amérique est ainsi aux prises avec une course de vitesse entre la désintégration de la cohésion sociale et du système politique d’une part, le renforcement de la puissance et de l’influence extérieures d’autre part. Alors que se met en place à l’occasion du conflit ukrainien et de la crise de Taïwan, une double guerre froide entre les Etats-Unis d’un côté, la Russie et la Chine de l’autre, s’accumulent les risques planétaires, qu’il s’agisse du dérèglement climatique, des pandémies, des chocs financiers, des écarts de développement, du djihadisme ou de la course aux armements.

LA DEFENSE DE LA LIBERTé EN QUÊTE D’UNE STRATEGIE

Les empires autoritaires représentent pour les démocraties une menace existentielle et globale, militaire et idéologique, mais aussi économique et technologique, politique et diplomatique. Le défi des empires autoritaires…repose sur la volonté d’éradiquer la démocratie, et sur la détestation de l’Occident…La confrontation est totale. Elle ne porte pas seulement sur des territoires ou des ressources, mais sur des principes. Dès lors, il ne peut y avoir ni compromis ni solution négociée…Pour autant, il n’existe pas de fatalité à une nouvelle guerre mondiale. L’heure n’est donc pas à l’escalade militaire mais à la restauration de la dissuasion et de l’avance technologique, au renforcement de la résilience des nations, à la réinvention de l’alliance entre les démocraties, au développement de la coopération avec les grands pays émergents. 

La dissuasion des empires autoritaires Au-delà de l’Ukraine, tout le pourtour de la Russie se trouve soumis à une forte pression militaire, de la Transnistrie aux pays baltes en passant par l’Asie centrale et jusqu’à l’Arctique. L’agression de l’Ukraine par la Russie se traduit ainsi par l’otanisation de l’Europe et par un renforcement majeur de la présence militaire des Etats-Unis sur le continent, avec le déploiement permanent de 120 000 hommes et la création d’un quartier général du 5ème corps d’armée en Pologne. Alors qu’elle importe les deux tiers de ses équipements militaires, l’Europe doit conforter son industrie et combler ses lacunes dans l’aviation, les drones, l’espace ou le cyber.

La nouvelle alliance des démocraties Les démocraties…affrontent la situation la plus dangereuse depuis le début des années 1930. Elles reculent partout dans le monde face aux autocraties et au retour en force des dictatures et des coups d’Etat. Les Etats-Unis n’ont plus les moyens de réassurer seuls la paix et la liberté à l’âge de l’histoire universelle. Ils sont profondément fragilisés et instables, du fait de la crise politique qui les mine. 

Le pouvoir absolu, talon d’Achille des empires autoritaires Pour la Russie, quelle que soit l’issue du conflit, l’invasion de l’Ukraine constitue une lourde défaite stratégique. En guise de reconstitution de son empire, la Russie sortira donc du conflit appauvrie et affaiblie, au moins pour une génération, mais aussi très dangereuse et avide de revanche. (Chine) Comme durant le Grand Bond en avant ou la Révolution culturelle, le déni de la réalité se traduit par une fuite en avant dans l’idéologie et la violence…La Chine ne fait rêver nulle part, mais fait peur partout. Il n’est pas d’exemple d’expérience de pouvoir absolu qui s’achève autrement que dans la tragédie. Mais la chute peut prendre beaucoup de temps, faire un très grand nombre de victimes et laisser derrière elle des champs de ruines. 

Le dialogue avec les Etats et les sociétés civiles Le dialogue doit tout d’abord être maintenu entre les Etats pour la gestion des risques planétaires. Il est tout aussi important de maintenir le lien avec les élites ouvertes et connectées ainsi que les sociétés civiles de Chine et plus encore de Russie.

Renouer avec le Sud La stratégie d’endiguement des empires autoritaires doit donc intégrer une action déterminée des démocraties afin de relancer la coopération avec les pays émergents, y compris lorsqu’ils sont dirigés par des leaders populistes et nationaliste comme l’Inde ou la Turquie, voire par des autocrates comme l’Arabie saoudite. Cela suppose de réformer la gouvernance mondiale pour confier aux pays émergents au sein de l’ONU et des institutions multilatérales comme le FMI et la Banque mondiale, une place cohérente avec leur poids démographique, économique et politique.

AUX ARMES, CITOYENS!

Si la France et l’Europe ne sont pas en guerre avec la Russie, la Russie est bel et bien en guerre avec la France et l’Europe. Et ce depuis 2008. Elle constitue une menace militaire existentielle pour leur sécurité et leur indépendance, y compris à travers le péril chimique et nucléaire. Simultanément, elle mobilise tous les moyens de la guerre hybride contre l’Union, transformant l’approvisionnement en gaz, l’alimentation, les migrants, l’information, les partis populistes en armes de déstabilisation massive. La crédibilité de la France dans le domaine stratégique est minée par le décrochage de l’économie, l’accumulation des retards technologiques, l’archipellisation de la nation. La France et l’Europe sont devant une heure de vérité. Elles se trouvent sur la ligne de front face à l’impérialisme russe, mais aussi face au djihadisme, à la crise énergétique et alimentaire ou à la stagflation. 

Paix impossible, guerre plausible La guerre mute à nouveau…Elle gagne de nouvelles dimensions avec l’espace et le cybermonde. Elle se fait hybride, tout à la fois intérieure et extérieure, civile et militaire, régulière et irrégulière. Elle cesse d’être le monopole des militaires en s’étendant à de nouveaux domaine tels que l’énergie, l’eau, l’alimentation, les approvisionnements, l’information, les migrations ou le dérèglement climatique. Elle voit se multiplier les acteurs de la violence, des sociétés de mercenaires aux organisations criminelles en passant par les militants des partis extrémistes. La France et l’Europe ne doivent pas seulement réarmer, mais se préparer à répondre à tous les leviers de la guerre hybride, à l’élargissement du spectre et des moyens de la violence. Au terme de quarante ans d’un interminable décrochage, la France a perdu en grande partie la maitrise de sa souveraineté sur les plans industriel, alimentaire, technologique ou financier. Elle se trouve ainsi menacée d’un effondrement brutal et d’un choc financier majeur au cours des années 2020. 

Premiers enseignements de la guerre d’Ukraine Elle marque également le renouveau des conflits de haute intensité entre puissances majeures…Ce dernier se caractérise par un affrontement de grande ampleur, très violent et soutenu, qui se déploie dans tous les milieux -terre, air, mer, espace et cybermonde- et entraîne des pertes humaines, matérielles, économiques considérables. 

Une doctrine et un modèle d’armée obsolètes Notre pays…a sacrifié l’Etat régalien à son Etat-providence qui absorbe 34% du PIB, jusqu’à compromettre sa capacité à assurer sa sécurité intérieure et extérieure. Par ailleurs, les lacunes capacitaires se sont accumulées dans des secteurs clés comme la gestion intégrée du champ de bataille, les drones, les frappes en profondeur, le transport aérien, le cyber ou la guerre de l’information.

Repenser la défense de la France La France doit s’engager dans la définition et le déploiement rapides d’un nouveau modèle d’armée. Et ce autour de quatre piliers: la dissuasion nucléaire; la transformation d’une armée de corps expéditionnaire en une armée apte au combat de haute intensité; la défense du territoire; la nécessaire maîtrise de la guerre de l’information. La redéfinition de la politique de défense de la France est donc indissociable de son redressement. Et ce à travers quatre pactes: 1. Pacte productif; 2. Pacte inclusif; 3. Pacte de modernisation de l’Etat; 4. Pacte républicain.

Vers une Europe souveraine? L’Europe ne dispose ni des moyens de sa défense, ni de son autonomie dans les secteurs clés de l’énergie, des technologies, de l’armement, voire de l’alimentation…Elle joue aujourd’hui sa survie. La décennie 2020 décidera largement du destin de l’Union, qui peut se déliter ou se transformer en acteur à part entière du système multipolaire du XXIème siècle. Pour cela, le sursaut provoqué par l’agression russe doit être converti en une stratégie à long terme de construction d’un ensemble souverain. Pour la France et l’Europe, le réarmement ne peut donc être seulement militaire; il doit être politique, intellectuel et moral.

Conclusion L’AVENIR DE LA LIBERTé

Notre temps reste bien celui de l’histoire universelle, caractérisée par les risques planétaires liés au dérèglement climatique, aux chocs financiers, aux crises énergétiques ou alimentaires, à la révolution numérique, aux grandes migrations. Les chocs qui se sont accumulés ont non seulement fait exploser la mondialisation mais fracassé les démocraties, qui se sont trouvées en première ligne face au krach de 2008, au terrorisme islamiste, aux vagues migratoires, à la pandémie, au choc énergétique et à la résurgence de la guerre en Europe. Les démocraties sont divisées et minées par les populismes. Elles conjuguent une crise de leadership, la délégitimation de leurs institutions, les ravages de la stagflation, la déstabilisation des classes moyennes et le discrédit moral. Le Sud voit le retour en force des dictatures, à l’image du Bénin en Afrique, et la multiplication des coups d’Etat militaires, du Myanmar au Sahel.

La fascination pour les hommes forts et la violence s’est répandue partout dans le monde, des Philippines à l’Arabie saoudite en passant par l’Asie centrale. L’Occident doit viser à endiguer l’expansion des empires autoritaires tout en empêchant la guerre, à réconcilier le capitalisme avec la stabilité des classes moyennes et la transition écologique, à rétablir la confiance dans les institutions et les valeurs des démocraties, à renouer avec des stratégies de long terme. Le paradoxe veut qu’une majorité de citoyens remettent aujourd’hui en cause la liberté politique aux Etats-Unis et en Europe, au moment ou des femmes et des hommes meurent tous les jours pour tenter de la défendre, comme en Ukraine, ou d’y accéder. La survie de la liberté se joue en chacun d’entre nous. Elle est indissociable de la réhabilitation de la raison, y compris dans le respect de la vérité scientifique contre l’obscurantisme, ainsi que de la responsabilité. Il n’est pas de citoyen d’une démocratie…qui puisse s’exonérer de sa part d’implication dans la déliquescence des institutions et dans l’effondrement de sa nation. Il n’est pas de citoyen d’une démocratie en crise existentielle qui puisse échapper au devoir de s’engager dans sa reconstruction. Réinventons la démocratie au XXIème siècle, engageons-nous pour la faire vivre et la défendre. La liberté est moins que jamais une rente; elle est plus que jamais un combat.

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