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PROMESSES (8) : LA POLITIQUE INTÉRIEURE DES ANNONCES

UNE DOCTRINE DE LHYPERPRÉSENCE PARTAGÉE AVEC LE PRÉSIDENT EN IMITATION DE N SARKOZY

Loi « immigration », opération « Wuambushu » à Mayotte, dissolution des Soulèvements de la Terre… Le ministre de l’intérieur multiplie les déclarations sans toujours s’assurer de la faisabilité des mesures envisagées. Une doctrine de l’hyperprésence assumée.

ARTICLE

Gérald Darmanin ou la politique des annonces

Par Antoine Albertini et Julia Pascual. LE MONDE 19 mai 2023

Juillet 2022. Gérald Darmanin annonce une loi « immigration », la deuxième sous la présidence d’Emmanuel Macron. Quelques semaines plus tard, le ministre de l’intérieur doit rétropédaler, rattrapé par la première ministre, Elisabeth Borne, qui lui demande d’organiser une concertation en amont.

Mai 2023. Le projet de loi n’est toujours pas sorti des limbes. Dévoilé à l’automne 2022, présenté en conseil des ministres en février, voté en commission des lois du Sénat en mars, déprogrammé quelques jours après, annoncé de nouveau par le président de la République sous une forme découpée, puis enterré par Mme Borne, avant d’être remis à l’agenda par le chef de l’Etat et finalement reprogrammé à l’été… Une stratégie brouillonne ? Le signe de divergences au sein du gouvernement ? L’échec d’une méthode ?

La droite se délecte de voir la Macronie s’enliser sur un thème qu’elle veut faire sien. Présentée comme équilibrée par le gouvernement, cette loi devait renforcer les possibilités d’expulsion des étrangers délinquants et simplifier la régularisation des travailleurs sans papiers. Résultat : la gauche n’achète pas un texte jugé trop répressif et Les Républicains (LR) ont mis leur veto sur les mesures de régularisation.

« Il est prêt à durcir le texte »

Gérald Darmanin a-t-il surestimé sa capacité à convaincre ses anciens camarades de LR ? « Il y a sans doute un espace pour trouver un compromis », continue de défendre un conseiller de la Place Beauvau, alors que le ministre a obtenu que la loi ne soit pas définitivement remisée, à la défaveur de Matignon.

Un cycle de concertation doit accoucher d’un texte corrigé d’ici à l’été. Place Beauvau, on laisse entendre que le ministre pourrait lâcher sur les régularisations. « Stratégiquement, Darmanin a toujours été pour avoir un objet de négociation avec la droite, fait valoir un proche du ministre. Il est prêt à durcir le texte. » Au risque de s’aliéner une partie de la Macronie ? Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et député Renaissance de la Vienne, Sacha Houlié, a déjà prévenu que l’aile gauche ne soutiendrait pas un texte amputé du volet régularisation.

Sur l’immigration, un autre dossier est à la peine : Mayotte. Gérald Darmanin a voulu mettre en scène, dans ce département de l’océan Indien, une opération coup de poing, baptisée « Wuambushu », de lutte contre l’immigration illégale, la délinquance et les bidonvilles. Mais si les élus locaux, très largement favorables à cette initiative, parlent du ministre comme d’un « ami », les résultats se font attendre, près d’un mois après l’arrivée dans l’archipel de renforts de policiers et de gendarmes.

« Une démonstration d’impuissance »

Les destructions de bidonvilles ont d’abord été suspendues par la justice et les expulsions de sans-papiers empêchées par leur pays d’origine, les Comores. Puis, mercredi 17 mai, la chambre d’appel de Mayotte a infirmé la décision du tribunal judiciaire de Mamoudzou et autorisé la reprise des opérations de « décasage », l’évacuation et la démolition de bidonvilles – avant d’autres probables recours. « On ne peut pas lui en vouloir d’avoir une volonté, mais il eût mieux valu que ça soit mieux préparé et si à l’arrivée, ça ne débouche sur rien, ce sera une démonstration d’impuissance », juge Bruno Retailleau, le chef de file du groupe LR au Sénat.

A force de prises de position qui ne sont pas toujours suivies d’effets, ce danger – assumé – guette le ministre. Le 28 mars, à l’Assemblée nationale, il annonce sa « décision d’engager la dissolution des Soulèvements de la Terre », un collectif en pointe dans le combat contre les mégabassines, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) notamment. Deux jours plus tôt, de violents affrontements s’y sont soldés par des dizaines de blessés, dont deux jeunes manifestants très grièvement atteints par les tirs de grenades des gendarmes. En pleine polémique sur les délais d’intervention des secours, le ministre de l’intérieur entend allumer un contre-feu. Mais depuis cette prise de parole, rien.

Gérald Darmanin a-t-il été échaudé par des précédents ? Le 9 mars 2022, il avait hâtivement annoncé la dissolution du Comité action Palestine sur son compte Twitter avant d’être désavoué par le Conseil d’Etat, qui avait suspendu le décret de dissolution. Quatre mois plus tard, le ministre avait certes pris soin d’attendre l’avis favorable du Conseil d’Etat avant d’annoncer que l’imam nordiste Hassan Iquioussen, accusé notamment de tenir des « discours à teneur antisémite », serait « expulsé du territoire français ».

Pourtant, en dépit de sa mise sous surveillance, le prédicateur musulman s’était évaporé, gagnant la Belgique au nez et à la barbe des policiers. « Darmanin démontre toute son impuissance », taclait à l’époque le député LR du Lot Aurélien Pradié. Ce n’est qu’en janvier 2023, six mois après la promesse ministérielle et non sans une intense bataille judiciaire, que l’imam sera éloigné – non par la France mais par les autorités belges – vers Casablanca, au Maroc.

Cette fois, le dossier des Soulèvements de la Terre, « argumenté et solide », selon une source du ministère de l’intérieur, coince non pas à Beauvau mais à Matignon, où il a été transmis il y a quelques semaines aux services de la première ministre, Elisabeth Borne. Sans réponse pour le moment.

« Mener la danse politico-médiatique »

Passé maître dans l’art de saturer d’annonces l’espace public, le ministre a théorisé cette stratégie dans ses Chroniques de l’ancien monde (éditions de l’Observatoire, 2017) où il insistait sur l’importance de « mener la danse politico-médiatique ». Le danger de multiplier les faux départs est largement compensé par la quasi-certitude d’engranger un bénéfice politique : qui, dans une séquence de tensions brouillée par des prises de parole tous azimuts, retient le détail des annonces restées orphelines ? Dans la persistance rétinienne d’une opinion bombardée d’informations ne reste imprimée que la marque d’un ministre certes clivant, mais dynamique et résolu. Son entourage n’en fait d’ailleurs pas mystère, la doctrine de l’action ministérielle tient en peu de mots : « Montrer son volontarisme ».

Cette doctrine de l’hyperprésence, soutenue par une importante visibilité médiatique, se révèle aussi utile pour expédier des ballons-sondes, tester la popularité d’une mesure dans l’opinion, fut-ce à l’état de simple piste de réflexion. Après un 1er-Mai marqué par de violents affrontements en marge des manifestations contre la réforme des retraites dans plusieurs grandes villes, Gérald Darmanin fait son choix entre la demande de fermeté qu’il dit percevoir dans l’opinion et les accusations récurrentes – et pour certaines, documentées – de brutalités policières en évoquant la perspective d’une nouvelle « loi anticasseurs ». Une nouvelle fois, Sacha Houlié sort du bois pour critiquer, sur les réseaux sociaux, une annonce effectuée « sans consultation préalable » alors que l’arsenal juridique actuel est déjà « complet ».

Dorénavant, plus question de loi, plutôt d’une « interdiction de paraître » aux manifestations, un dispositif inspiré des mises à l’écart de hooligans avant les matchs de football à risques. Actuellement « à l’étude », il pourrait être adossé à un texte plus large, porté par le ministère de la justice, où l’on évoque, sans autre précision ni calendrier, un « travail commun avec Beauvau à ce sujet ».

Avancer plus vite que la procédure, prendre parfois de court le gouvernement, bousculer une majorité présidentielle friable, sans toujours garantir la bonne fin de la manœuvre : le risque politique existe, pour un ministre qui veut faire de l’efficacité sa marque de fabrique. Le 6 mai, une manifestation parisienne de plusieurs centaines de militants de l’ultradroite réunis au sein d’un Comité du 9 mai, dont certains défilaient cagoulés, suscite une vive polémique. Le 10 mai, M. Darmanin enjoint aux préfets de « prendre sans délai les mesures nécessaires pour éviter que de tels rassemblements et manifestations ne se reproduisent ». La responsabilité d’interdire une manifestation revient pourtant à la seule autorité préfectorale, en fonction notamment de l’existence de risques de troubles à l’ordre public.

Des cafouillages et un succès

Déférant aux instructions du ministre, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, signe cinq arrêtés d’interdiction de manifestations et d’événements prévus à Paris au cours du week-end des 13 et 14 mai. Saisie, la justice en suspend deux et condamne l’Etat à verser des dommages et intérêts aux organisateurs, qui bénéficieront de surcroît d’une exposition médiatique inespérée.

Retards à l’allumage, coups de com, annonces sans lendemain ou cassées par les tribunaux… Un succès vient parfois tempérer ces cafouillages. Mercredi 17 mai, le Conseil constitutionnel, saisi par des députés, a donné son blanc-seing à la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, un texte crucial aux yeux de Gérald Darmanin, qui prévoit notamment des dispositions controversées sur l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique. « Je me félicite de la décision du Conseil constitutionnel », a, cette fois, sobrement commenté le ministre de l’intérieur.

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