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Renouveler nos institutions (Suite) – Objectif 1 – Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif

PRESENTATION

Hier, 4 décembre 2020, nous avons publié le premier article :

Benjamin MOREL: Renouveler nos institutions (Partie 1: constats/objectifs/méthode) https://metahodos.fr/2020/12/04/benjamin-morel-renouveler-nos-institutions-partie-1-constat-objectifs-methode/

Rappel des 5 objectifs. Le premier est traité dans le présent article:

  • Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif  : Il convient d’abord de repenser l’élection des chambres afin de renforcer leur légitimité et leur représentativité;
  • Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé : Un Parlement plus libre doit également disposer d’un plus grand pouvoir afin de jouer un rôle d’initiative et de contrôle efficace;
  • Retrouver le sens de l’institution présidentielle : Du nouvel équilibre qui en ressort doit émerger un rôle présidentiel recentré comme garant de l’unité et des intérêts du pays;
  • Redonner la parole au Peuple au sein des institutions : Marginalisé dans le processus d’hyperconcentration des pouvoirs actuellement à l’œuvre, le Peuple doit disposer de moyens d’action en dehors des seules élections. C’est notamment par la promotion d’une démocratie plus directe et délibérative qu’il convient de lui redonner toute sa place;
  • Redonner de la force au contrôle de constitutionnalité : Enfin, le contrôle de constitutionnalité, et ce faisant l’effectivité de la Constitution même, pose aujourd’hui question. Il convient donc d’en revoir les modalités.

Premier Objectif: Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif Il convient d’abord de repenser l’élection des chambres afin de renforcer leur légitimité et leur représentativité

Benjamin Morel rappelle les effets paradoxaux des elections présidentielle et législative

En obtenant 15,4 % des inscrits au premier tour des législatives (32,33 % des votants) l’actuelle majorité a obtenu six députés sur dix.

Emmanuel Macron a obtenu 18,19 % des inscrits au premier tour des présidentielle 2017. LREM et le Modem au second tour des législatives ont obtenu 18,88 %. Mais la démobilisation de l’opposition a permis que ce pourcentage d’inscrits donnantt à Emmanuel Macron 24,01 % des votants à la présidentielle, a finalement permis à LREM et au Modem d’obtenir le suffrage de 49,12 % des votants au second tour des législatives et 60,3 % des députés.

La concomitance des scrutins présidentiel et législatif

Benjamin Morel précise bien « ne s’agit pas d’une anomalie, mais de la logique même du mode de scrutin. Les précédentes majorités ont également bénéficié de la magie du scrutin majoritaire à deux tours couplé à la présidentielle. L’actuel système est donc très peu représentatif, et soumet les législatives à la présidentielle. Pour pallier ce phénomène, il convient de modifier le mode de scrutin et d’assurer la concomitance du premier tour des élections présidentielle et des législatives. » ( l’auteur étudie toutefois, plus loin dans son artcle, les autres scenarios possibles)

La proportionnelle

L’auteur analyse les arguments contre la proportionnelle, sans les retenir. Il rappelle qu’un simple vote d’une loi ordinaire suffit. « Elle se doit d’être intégrale. Soyons d’abord clairs, la dose de proportionnelle panachée avec le scrutin majoritaire, souvent proposée, est sur son principe même dysfonctionnel. » Là encore l’auteur fait preuve d’originalité car il semble qu’il y ait davantage de propositions relatives à une dose de proportionnelle.

Comment éviter que les législatives demeurent la confirmation des présidentielles.

L’auteur precise que c’est un point important si l’on souhaite « que le Parlement retrouve une légitimité propre et que les députés ne demeurent pas les otages d’une élection qui n’est pas la leur. « 

Les solutions possibles sont étudiées dans l’article

– séparer les deux élections. Cela est possible en revenant à des temporalités différentes soit à travers une dissolution en cours de mandat, soit en rétablissant le septennat.

– l’inversion du calendrier électoral, les élections législatives précédant les présidentielles.

– tenir, le même jour, le premier tour des présidentielles et les législatives.

« Les élections seraient alors concomitantes, mais les effets de l’une sur l’autre seraient neutralisés. Le mode d’élection du président de la République et la meilleure spécialisation fonctionnelle des organes (voir infra) seraient par ailleurs plus à même de restaurer le rôle d’arbitre et d’autorité morale du chef de l’État. À l’instar du Président portugais, élu au suffrage universel direct, son rôle serait alors détaché des affaires courantes. La présence d’une majorité d’une autre couleur politique à la chambre ne serait alors pas un problème majeur. » Indique Benjamin Morel.

Enfin, il est proposé de rééquilibrer le collège des grands électeurs sénatoriaux

« Le mode d’élection des sénateurs leur donne une indépendance et les méthodes de travail sénatoriales représentent clairement un apport important dans le processus législatif. …Dans un régime de forte concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme, l’existence d’un contre-pouvoir, même imparfait, ne peut pas être rejetée. » Indique l’auteur qui présente plusieurs scénarios.

ARTICLE (SUITE 1)

Objectif 1 : Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif

Comme nous l’avons déjà évoqué, le fonctionnement actuel de la Cinquième République repose pour beaucoup sur le mode de scrutin majoritaire à deux tours, qui amplifie les victoires électorales, et le télescopage des calendriers électoraux[19]. Le Président de la République est d’abord élu. Les Français votent ensuite pour les législatives. Outre les effets induits par le charisme du candidat victorieux, cela conduit généralement l’électorat d’opposition, démoralisé, à ne pas se mobiliser. Le suffrage majoritaire à deux tours permet ensuite d’obtenir une majorité confortable.

On a beaucoup dit qu’obtenant 15,4 % des inscrits au premier tour des législatives (32,33 % des votants) l’actuelle majorité a obtenu six députés sur dix. Ainsi Emmanuel Macron a réuni sur son nom 18,19 % des inscrits au premier tour des présidentielle 2017. C’est à peu près autant que LREM et le Modem au second tour des législatives (18,88 %). Toutefois, grâce à la démobilisation de l’opposition, ce pourcentage d’inscrits, qui donnait à Emmanuel Macron 24,01 % des votants à la présidentielle, a finalement permis à LREM et au Modem d’obtenir le suffrage de 49,12 % des votants au second tour des législatives et 60,3 % des députés. Il ne s’agit pas d’une anomalie, mais de la logique même du mode de scrutin. Les précédentes majorités ont également bénéficié de la magie du scrutin majoritaire à deux tours couplé à la présidentielle. L’actuel système est donc très peu représentatif, et soumet les législatives à la présidentielle. Pour pallier ce phénomène, il convient de modifier le mode de scrutin et d’assurer la concomitance du premier tour des élections présidentielle et des législatives.

Sous-objectif 1a : Rendre l’Assemblée nationale plus représentative grâce à la proportionnelle

Le scrutin proportionnel en France a mauvaise presse, même s’il paraît populaire dans l’opinion[20]. Il est pourtant appliqué dans l’ensemble des démocraties européennes à l’exception de la France et de la Grande-Bretagne. Il assure d’abord une représentation plus fidèle des choix de l’ensemble des votants. C’est là son essence, ce que même ses pires détracteurs ne lui contestent pas. Arend Lijphart note également qu’il favorise l’adhésion aux institutions et la participation[21]. L’abstention est ainsi en moyenne inférieure de 7,5 points une fois les autres facteurs isolés[22]. La participation est même relevée de 12 points chez les jeunes[23]. Le scrutin majoritaire pour sa part tend à accroître l’abstention et rend difficile l’application de la parité[24]. C’est là un problème structurel relatif à la représentativité des députés qui est aisément soluble par l’application des règles déjà existantes relatives à la composition des listes à la proportionnelle. Le scrutin majoritaire conduit par ailleurs à favoriser le localisme comme déterminant des votes parlementaires, fragilisant l’intérêt général.[25] Par ailleurs, Arend Lijphart montre que la proportionnelle rapproche les choix parlementaires de la position de l’électeur médian sur les grands sujets de politiques publiques. D’autres études corroborent l’idée que les citoyens sont plus satisfaits de leur démocratie et les élus plus réceptifs aux choix de l’électorat[26]. À rebours, le scrutin majoritaire rompt l’espoir pour certains d’une représentation effective, favorisant le désengagement. Cette abstention par résignation finit par poser un problème théorique et démocratique[27].

Des arguments non conclusifs contre la proportionnelle

Trois contre-arguments sont toutefois généralement retenus pour s’opposer au scrutin proportionnel. D’abord, il mène à l’instabilité parlementaire. Ensuite, il induit une domination des formations centristes en réduisant la polarisation. Enfin, il conduit les partis à s’adresser à leur électorat captif plus qu’à l’ensemble des Français. Ces problèmes sont à prendre au sérieux, mais ne sont pas insolubles.

D’abord, on pointe l’absence de stabilité gouvernementale liée à la proportionnelle. En la matière, la nuance est de mise[28]. Arend Lijphart montre que l’introduction de la proportionnelle conduit à une très faible augmentation du nombre de partis au Parlement. Elle est en effet souvent accompagnée d’un seuil de représentation. Tout parti ne le dépassant pas n’obtient aucun député. Fixé en moyenne à 5 %, il limite drastiquement le nombre de formations représentées. Par ailleurs, les circonscriptions ne sont pas toujours uniques et nationales. Pour obtenir un siège à la proportionnelle dans une circonscription proposant 10 sièges, il faut pour un parti obtenir au moins 10 %. Des primes majoritaires existent par ailleurs dans plusieurs États. Les coalitions de partis forment enfin souvent des alliances stables d’élection en élection[29]. Il n’y a donc pas de lien réel entre la proportionnelle et un parlement balkanisé et ingouvernable. Il y a d’ailleurs plus de groupes politiques aujourd’hui au Parlement français qu’au Parlement allemand.

Il n’existe pas non plus de lien entre scrutin majoritaire et majorité claire comme le prouve ces dernières années la Grande-Bretagne ou le Canada. C’est d’autant moins le cas que le scrutin majoritaire favorise les partis à l’électorat très localisé qui peuvent obtenir une majorité dans seulement quelques circonscriptions. On ne comprend ainsi pas le mélodrame du Brexit à Westminster si l’on ne saisit par la surreprésentation au sein de la chambre des nationalistes écossais du SNP ou des Irlandais du DUP. À une époque de montée des séparatismes régionaux, en France comme ailleurs[30], le scrutin majoritaire n’est plus garant de stabilité.

Ensuite, l’influence du mode de scrutin sur la polarisation partisane est marginale et son sens dépend des circonstances[31]. La nécessité d’emmener une majorité derrière le candidat implique le lissage du discours partisan dans le cadre du scrutin majoritaire. Le scrutin proportionnel peut impliquer de son côté des alliances au centre. Toutefois, dans la mise en place d’un contrat de coalition, les formations plus polarisées charrient souvent plus de suffrages et peuvent obtenir davantage. À l’inverse, le scrutin majoritaire conduit à un vote utile en faveur des formations centristes. Par ailleurs, le scrutin proportionnel amène à un émiettement des centres qui, pouvant entrer dans des logiques de coalition hétéroclites, sont amenés à vouloir maximiser individuellement leur gain en se vendant chèrement par groupuscules. Il est aujourd’hui impossible au vu de la littérature de conclure à un lien entre le mode de scrutin et une moindre polarisation. En revanche, la proportionnelle favorise la stabilité des positions programmatiques partisanes, ce qui permet à l’électeur de plus croire dans la crédibilité des partis et de mieux comprendre les clivages[32].

Enfin, l’absence d’adresse globale liée à la proportionnelle est un problème évident. Cette dernière permet l’émergence de partis catégoriaux. Des partis s’adressant aux retraités ont par exemple émergé en Israël ou en Europe de l’Est. Ce type de formations peut toutefois être limité par l’instauration d’un seuil de représentation adéquat. Il est rare qu’une minorité sociale, ethnique ou religieuse vote en bloc pour une formation au point de lui faire atteindre 5 % des inscrits. Par ailleurs, le système de coalition, s’il peut permettre de monnayer chèrement un soutien, en dilue également la portée. Enfin, il semble bien naïf de penser que les partis ne s’adressent pas également à certaines catégories d’électeurs dans le cadre d’un scrutin majoritaire.

La mise en place de la proportionnelle est aisée.

La proportionnelle nécessite le simple vote d’une loi ordinaire. Elle se doit d’être intégrale. Soyons d’abord clairs, la dose de proportionnelle panachée avec le scrutin majoritaire, souvent proposée, est sur son principe même dysfonctionnel.  En effet, comme l’ont montré certaines études au moment de l’annonce d’une telle réforme par Emmanuel Macron[33], elle ne produit pas une chambre plus représentative. Pour le comprendre, il faut noter que, plus les circonscriptions sont grandes, plus les vagues majoritaires sont fortes. En augmentant le nombre de députés élus à la proportionnelle, on baisse celui des élus au scrutin majoritaires. Ceux-ci sont donc élus sur de plus grandes circonscriptions. Plus on augmente le pourcentage de proportionnelle, plus on augmente la vague majoritaire sur des circonscriptions tellement vastes que la notion d’ancrage territorial, souvent vantée, n’a plus de sens. Le système allemand pris en référence est à la fois plus complexe et plus intéressant. Il est en effet strictement compensatoire et à finalité proportionnelle[34].

Pour pallier les effets pervers potentiels de la proportionnelle, il faut prévoir des modalités de vote incluant une rationalisation de la représentation. Une manière d’atteindre cette fin, serait de l’inscrire dans des circonscriptions. Historiquement, la proportionnelle en France a pour cadre le département. Le problème est que certains départements n’élisent qu’un ou deux députés, l’effet de la proportionnelle est donc très inégal. L’électeur du RN n’aurait ainsi aucune chance d’être représenté en Lozère alors que le parti aurait plusieurs élus en Île-de-France, où il fait pourtant de mauvais scores. De même, les régions sont trop variées. Les électeurs de Corse et de Rhône-Alpes–Auvergne ne voteraient de facto pas selon des modalités similaires. L’ancrage local dans la plupart des régions, qui pourrait justifier un tel scrutin, apparaît cocasse au vu de leur taille équivalente à certains États européens. On peut à la rigueur imaginer des circonscriptions électorales ad hoc de plusieurs départements, mais cela ne rendrait guère lisible le scrutin pour l’électeur. C’est ce qui a d’ailleurs justifié la mise en place d’une circonscription unique aux élections européennes[35].

Plutôt que de jouer sur la taille des circonscriptions, il vaudrait donc mieux vaut agir sur le seuil de représentation. Cela induit plus de lisibilité et pousse les partis à s’adresser à l’ensemble du pays[36]. C’est d’autant plus le cas si l’on fixe ce seuil non pas en nombre de votants, mais en nombre d’inscrits. Un parti peu représentatif ne pourrait alors jouer sur la participation différentielle de son électorat pour espérer exister. Ce seuil pourrait être fixé à 3 %. La fragmentation du Parlement est alors peu probable. Aux dernières législatives, seuls cinq partis l’avaient franchi (LFI, PS, LREM, LR et RN). Si l’on couple les législatives à la présidentielle et que l’on escompte une plus forte participation, on peut noter que seuls six candidats franchissent ce seuil en 2017 (Emmanuel Macron, Marine Le Pen, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Nicolas Dupont-Aignan). À dessein de consolider les majorités, 10 % des sièges devraient constituer une prime au parti arrivé en tête. L’effet d’une telle disposition est double. Elle oblige les formations voulant accéder au pouvoir à passer des accords avant l’élection sur le programme et la constitution de la liste. Ainsi l’émiettement de l’offre électorale est jugulé. Ensuite, elle contribue à donner à la formation arrivée en tête les moyens de gouverner. Obtenir une majorité absolue nécessiterait, une fois retranchés les suffrages portés sur les partis éliminés, 40 % des sièges, soit 35 à 40 % des votants. Cela demeure peu et il ne semble pas illégitime d’exiger d’une formation ayant obtenu un score inférieur de disposer d’un partenaire de coalition. Si l’on veut obtenir un plus fort effet majoritaire, il est toujours possible de relever cette prime majoritaire à 15, voire 20%. Au-delà, le scrutin proportionnel perd profondément son sens et la crise de légitimité inhérente à des majorités mal élues et omnipotentes risque de menacer la stabilité du système politique et l’acceptation sociale des décisions gouvernementales.

Simulation du mode scrutin proposé sur les trois dernières législatives :

Législatives 2017Résultats premier tourRésultats des listes au-dessus du seuil de 3 %Nombre de députés élus à la proportionnelleNombre de députés après prime majoritaireComparaison avec scrutin majoritaire à deux tours
LFI+PC13,74 %16 %8282+55
PS+PRG+DVG7,91 %9 %4747+3
LREM+MODEM32,32 %37 %193250-100
LR+UDI+DVD18,53 %21 %111111-26
RN+DLF14,37 %17 %8686+76
Divers13,14 %0 %00-9
Législatives 2012Résultats premier tourRésultats des listes au-dessus du seuil de 3 %Nombre de députés élus à la proportionnelleNombre de députés après prime majoritaireComparaison avec scrutin majoritaire à deux tours
Front de Gauche6,91 %7 %3838+28
PS+PRG+DVG+EELV39,86 %42 %217267-64
UMP+UDI+DVD34,66 %36 %180180-49
FN13,60 %14 %7474+72
Divers4,97 %0 %00-5
Législatives 2007Résultats premier tourRésultats des listes au-dessus du seuil de 3 %Nombre de députés élus à la proportionnelleNombre de députés après prime majoritaireComparaison avec scrutin majoritaire à deux tours
PCF+ext gauche7,70 %8 %4141+26
PS+PRG+DVG+EELV31,27 %32 %167167-45
MODEM7,61 %8 %4141+38
UMP+NC+DVD44,37 %46 %238288-56
FN+MNR+MPF5,88 %6 %3131+30
Divers3,17 %0 %00-2

     À dessein de diminuer encore les risques de dispersion, on peut compter sur le coût d’une campagne nationale. On peut également envisager, comme il en existe en Estonie, un parrainage citoyen de 30 000 signatures pour une liste aux législatives. Notons que c’est le scrutin majoritaire qui a longtemps été vu comme source d’instabilité en ce qu’il conduisait à l’élection sur des programmes flous d’assemblées de notables peu disciplinées. L’instabilité parlementaire, comme on a pu le constater ces derniers mois, n’est par ailleurs pas qu’une affaire de mode de scrutin. C’est aussi le fruit d’une organisation dysfonctionnelle du Parlement qui a conduit à mettre en place une prime à la scission des groupes. Pour obtenir des moyens matériels et une surface médiatique, il est en effet tentant de construire sa propre église. C’est d’autant plus le cas que le nombre de parlementaires pour constituer un groupe a été réduit d’année en année[37]. La proportionnelle règlerait en partie ce problème en renforçant le poids des partis par la composition des listes. Elle autoriserait ainsi les assemblées à élever à trente[38] le nombre de députés nécessaire pour constituer un groupe[39].

Enfin et surtout, il convient d’éviter que les législatives demeurent la confirmation des présidentielles. C’est un point important si l’on souhaite que le Parlement retrouve une légitimité propre et que les députés ne demeurent pas les otages d’une élection qui n’est pas la leur. Trois solutions sont possibles. D’abord, séparer les deux élections. Cela est possible en revenant à des temporalités différentes soit à travers une dissolution en cours de mandat, soit en rétablissant le septennat. La première solution est précaire, une seconde dissolution peut défaire ce qu’une première a fait. La seconde est complexe, car elle nécessite une révision constitutionnelle. Une autre voie tient dans l’inversion du calendrier électoral, les élections législatives précédant les présidentielles. Le risque est alors de faire de la présidentielle une confirmation des législatives et d’inverser le problème. La place d’un président élu dans une telle configuration est incertaine, mais on voit mal comment il pourrait ne pas demeurer chef incontesté de la majorité. La dernière solution est de tenir, le même jour, le premier tour des présidentielles et les législatives. Les élections seraient alors concomitantes, mais les effets de l’une sur l’autre seraient neutralisés. Le mode d’élection du président de la République et la meilleure spécialisation fonctionnelle des organes (voir infra) seraient par ailleurs plus à même de restaurer le rôle d’arbitre et d’autorité morale du chef de l’État. À l’instar du Président portugais, élu au suffrage universel direct, son rôle serait alors détaché des affaires courantes. La présence d’une majorité d’une autre couleur politique à la chambre ne serait alors pas un problème majeur.

Scénario 1 (aval du Sénat non requis) :

Proposition n° 1 : Modifier par une loi ordinaire les articles L.123-126 du Code électoral à dessein d’y introduire le scrutin proportionnel dans une circonscription unique nationale avec un seuil de représentation de 3 % des inscrits et une prime majoritaire de 10 % des sièges, aux restes répartis selon la méthode d’Hondt40.

Proposition n° 2 : En cas de trop fort émiettement des listes, introduire par voie législative au Chapitre III, du titre 1er du Livre 1er du Code électoral la nécessité d’un parrainage citoyen de 30 000 personnes inscrites sur les listes électorales pour toute présentation d’une liste.

Proposition n° 3 : En cas d’instauration du mode de scrutin proportionnel, modifier l’article 19 du règlement de l’Assemblée nationale pour porter à trente le nombre minimal de députés nécessaires à la formation d’un groupe.

Proposition n° 4 : Par voie organique, modifier l’article LO.121 du Code électoral pour avancer d’un mois la date des élections législatives. Par décret convoquant les élections, faire que ces dernières coïncident avec le premier tour de la présidentielle.

Sous-objectif 1b : Rééquilibrer le collège des grands électeurs sénatoriaux

Le cas du Sénat est doublement difficile. D’abord car son existence est toujours remise en cause. Il est vrai que l’institution penche structurellement au centre droit. Pour autant, le mode d’élection des sénateurs leur donne une indépendance et les méthodes de travail sénatoriales représentent clairement un apport important dans le processus législatif. Le rôle de frein du Sénat en matière de révision constitutionnelle peut être regretté mais il a permis d’éviter à bien des apprentis sorciers de transformer la Constitution à leur guise en se fondant sur une majorité de députés dociles. Dans un régime de forte concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme, l’existence d’un contre-pouvoir, même imparfait, ne peut pas être rejetée. Ensuite, pour modifier la Constitution, il faut l’aval du Sénat. Si l’on exclut de faire tabula rasa, une réforme d’ampleur ne peut éviter le dialogue avec la seconde chambre pour arriver à son terme.

Par ailleurs, les projets de grandes transformations du Sénat sont généralement assez peu pertinents. L’idée d’élire une seconde chambre à la proportionnelle pour désigner la première au scrutin majoritaire est une rêverie de juriste. La politique comparée nous montre que des scénarios dans lesquels la seconde chambre est plus représentative et plus légitime que la première amènent à des crises politiques profondes, voire à une forme de bicamérisme inversé[41]Le Sénat doit être moins légitime que l’Assemblée nationale, sinon le bicamérisme ne peut pas être inégalitaire sans emporter la légitimité même du régime et sa perversion. D’autre part, l’idée d’une fusion du Sénat avec le Conseil économique social et environnemental n’est envisageable qu’à condition de remettre en cause soit la souveraineté du Peuple, soit la qualité de seconde chambre du Sénat. Le projet du général de Gaulle prévoyait d’ailleurs de faire de l’institution une chambre consultative. Si l’on va dans ce sens, on perd encore une fois un contre-pouvoir précieux à la majorité à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, cela va à l’encontre du projet qui est le nôtre de faire du Conseil économique social et environnemental l’organe pivot du renouveau de la démocratie directe et délibérative (voir infra sous-objectif 4a).

Pour autant, cela ne signifie pas qu’une réforme du Sénat n’est pas nécessaire. Le collège électoral sénatorial est peu représentatif d’où une très forte distorsion qui conduit à une domination structurelle du centre droit sur la seconde chambre. Toutefois, il est très difficile de revoir dans les cadres juridiques actuels la composition de ce collège[42]. La nécessité pour chaque département de disposer d’un sénateur, et pour le collège de comporter une majorité d’élus, représente une limite certaine à la réforme. Deux options relevant d’une loi simple (sur laquelle le Sénat ne disposerait donc pas de droit de veto) nous semblent toutefois envisageables. La première pourrait conduire à modifier la circonscription électorale qui est aujourd’hui le département. C’est une voie assez peu sûre. Il n’est pas certain que le Conseil, qui semble avoir consacré le principe d’un sénateur par département, suive le législateur sur ce terrain. Par ailleurs, de grandes circonscriptions régionales détruiraient le lien entre le sénateur et ses électeurs. Le scrutin proportionnel rompt déjà en grande partie le lien entre l’Assemblée et le terrain, il serait malvenu de déraciner le Sénat. Au contraire, un Sénat ancré peut retrouver de la légitimité et jouer un rôle renouvelé face à une Assemblée représentant plus fidèlement les courants de pensée. La représentation nationale a tout à gagner à cette complémentarité.

La seconde solution tient dans la modification du collège électoral composé à 95 % des conseillers municipaux. Dans sa décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000, le Conseil limite la possibilité de rééquilibrer la distorsion démographique par l’appel de délégués pris en dehors du Conseil municipal. Ces derniers permettent en effet de garnir les contingents de représentants des communes les plus peuplées et sous-représentés. Toutefois, pour que l’équilibre démographique soit réellement respecté, il conviendrait sur la base de ce système qu’une partie substantielle du collège électoral ne soit plus composée d’élus. Or cela pose un problème démocratique évident qui a conduit à limiter la portée du dispositif. La contrainte peut toutefois être contournée en prévoyant que lorsque l’ensemble des membres du Conseil municipal sont appelés comme grands électeurs, les grands électeurs complémentaires, destinés à équilibrer la représentation démographique, ne sont plus désignés par lui, mais pris dans l’ordre d’éligibilité des listes lors du dernier renouvellement. Lors des élections municipales, seraient ainsi désignés les conseillers municipaux, mais aussi le collège électoral. Si ce dernier implique la désignation de 100 grands électeurs, mais de seulement 30 membres du Conseil municipal, alors 70 élus n’auraient comme mission que de porter la voix de leurs concitoyens aux sénatoriales. Il n’est pas certain qu’une telle disposition ne finisse pas sous les fourches caudines du Conseil. Toutefois, elle semble satisfaire à l’impératif démocratique et à celui de représentation des collectivités. Par ailleurs, une meilleure représentativité du Sénat pourrait passer par une révision du mode de scrutin aux municipales qui accorde une prime majoritaire telle qu’elle marginalise fortement les oppositions et contribue à fausser la représentativité des collèges électoraux.

Scénario 1 :

Proposition n° 5 : Modifier les articles L.283 à L.293 du Code électoral pour prévoir la suppression des délégués des conseils municipaux dans les communes de plus de 30 000 habitants. Prévoir l’élection de grands électeurs supplémentaires, ne siégeant pas dans les conseils, dans l’ordre des listes présentées aux municipales.

Au titre IV de la partie législative du Code électoral, augmenter le nombre de candidats sur chaque liste dans les communes de plus de 30 000 habitants afin de compléter le collège électoral sénatorial et d’atteindre une juste compensation démographique.

Proposition n° 6 : Modifier l’article L.262 du Code électoral à dessein de réduire de 50 % à 25 % du Conseil la prime majoritaire lors des élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants.

A SUIVRE

PROCHAINE PUBLICATION RELATIVE À L’OBJECTIF 2

[19] Pour une bonne introduction à la question de l’influence des modes de scrutin, on lira Martin P., Comprendre les évolutions électorales. La théorie des réalignements revisitée, Paris : Presses de Sciences Po, 2000.

[20] Notons par exemple le sondage BVA du 14 juin 2017 pour le Nouvel Observateur. 71 % des Français se disaient favorables à la proportionnelle et 54 % jugeaient négativement la perspective d’une majorité absolue pour le seul parti la République en Marche.

[21] Lijphart A., Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countriesop.cit.

[22] Voir sur des conclusions similaires Pilon D., The Politics of Voting : Reforming Canada’s Electoral System. Toronto: Emond Montgomery, 2007.

[23] Youth participation in national parliaments, Rapport de l’Union interparlementaire, 2016 (http://archive.ipu.org/pdf/publications/youthrep-e.pdf).

[24] Pour des études à partir du système américain : Amy, D. J., Real choice/new voices: the case for proportional representation elections in the United States, New York: Columbia University, 1993; Barber, K. L., A right to representation: proportional election systems for the twenty-first century. Columbus: Ohio State University, 2000.

[25] Hill, S., Fixing elections: the failure of America’s winner takes all politics. New York: Routledge, 2002.

[26] Blais, A., Loewen, P.J., « Electoral systems and evaluations of democracy », dans Cross, W. (dir.) Democratic Reform in New Brunswick, Toronto: Canadian Scholars Press, 2007, pp. 39–57; Blais A., Morin-chassé A., Singh S., « Election outcomes, legislative representation and satisfaction with democracy », Party Politics. Vol. 23 n° 2, 2017, pp. 85–95; Plescia C., Blais A., Högström J. « Do people want a “fairer” electoral system? An experimental study in four countries’ European Journal of Research, 2020.

[27] Voir Kelsen H., Théorie générale du droit et de l’État, Paris-Bruxelles : LGDJ-Brylant, 1997, p.336-337

Rousseau note encore « Pour qu’une volonté soit générale, il n’est pas toujours nécessaire qu’elles soient toute unanimes, mais il est nécessaire que toutes les voix soient comptées ; toute exclusion rompt la généralité. » Rousseau J-J.: Contrat social, 1 ; II, chII.

[28] Surtout quand l’argument se veut d’autorité, car fondé sur l’histoire. La IIIe n’a connu que très épisodiquement le scrutin proportionnel. Sous la IVe République, la proportionnelle ne fut réellement effective que dans les départements très peuplés, et fut tempérée, dès 1951, par une logique d’apparentements.

[29] L’image récemment donnée par l’Italie, où le Mouvement cinq-étoiles a formé lors d’une même législature un gouvernement avec la Ligue puis avec le Parti démocrate ne doit pas nous aveugler. Ces cas sont très rares. En Allemagne, on ne connaît qu’une seule occurrence depuis la création de la RFA. En Italie même, les coalitions sont stables.  Le présent cas doit surtout aux particularités du M5S, que ce soit dans son indétermination politique comme dans ses structures de décisions internes. Dans ces domaines, cette formation politique ne trouve pas d’équivalent en France.

[30] Voir sur la territorialisation du scrutin majoritaire : Chhibber, P., Kollman, K., The Formation of National Party Systems. Princeton, New Jersey: Princeton University Press, 2004; Riker, W. H., The two-party system and Duverger’s law: an essay on the history of political science, American Political Science Review, n° 76, 1982, pp. 753–766.

[31] Adams J-F., Rexford, N-J., ‘Electoral Systems and Issue Polarization,’, dans The Oxford Handbook of Electoral Systems, Oxford: Oxford University Press 2018, pp. 246–262.

[32] Milner, H. ‘How does proportional representation boost turnout: a political knowledge-based explanation’, 2014 (https://ecpr.eu/Filestore/PaperProposal/5ca0166b-7466-4e37-9b1c-9dc11ed42d7f.pdf).

[33] Ehrhard T., Rozenberg O., La réduction du nombre de parlementaires est-elle justifiée ? Une évaluation ex-ante, LIEPP Working Paper, nº 75, février 2018.

[34] Une partie des députés est élue au scrutin majoritaire. Ceux-ci élus, les listes à la proportionnelle vont permettre de compenser la distorsion de représentation. Un parti obtenant 35 % des votes (une fois retranchés les partis ayant fait moins de 5 %) obtiendra 35 % des sièges. Si le parti avait déjà obtenu ces 35 % avec le scrutin majoritaire, aucun de ses députés ne sera pris sur les listes proportionnelles. Cela explique que le nombre de parlementaires en Allemagne ne soit pas fixe. Ce mode de scrutin est intéressant notamment car il permet de construire un ancrage territorial. Pour autant, il implique la mise en place de très grandes circonscriptions, surtout si l’on souhaite, nous y reviendrons, baisser le nombre de parlementaires. Aussi, il nous semble préférable de l’écarter. Si l’ancrage local ne doit pas être négligé, il pourrait être retrouvé en permettant le cumul entre les fonctions de députés et maires d’une commune de moins de 10 000 habitants.

[35] Loi du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen.

[36] On peut imaginer un système de vote préférentiel par liste. Toutefois, le choix d’une proportionnelle nationale rend la chose peu pertinente et risque pour l’électeur de complexifier l’opération électorale. Plutôt que le classement, la possibilité d’inscrire au sein de la liste un vote favorable ou défavorable à un candidat peu, comme en Bulgarie, conduire à reléguer ou réévaluer le nom du candidat dans ladite liste.

[37] Voir De Bujadoux J-F, Fourmont A., Morel B., « Un dixième groupe à l’Assemblée : risque d’embolie pour la démocratie parlementaire ? », Jus Politicum le Blog, 5 juin 2020 (http://blog.juspoliticum.com/2020/06/05/un-dixieme-groupe-a-lassemblee-risque-dembolie-pour-la-democratie-parlementaire-par-jean-felix-de-bujadoux-alexis-fourmont-et-benjamin-morel/).

[38] C’est le nombre prévu dans le règlement de l’Assemblée nationale de 1959.

[39] Dans le cadre d’une telle réforme, les risques d’instabilité gouvernementale ne sont guère plus importants qu’avec le mode de scrutin actuel. Si cette crainte devait perdurer, il demeure possible d’instaurer un mécanisme dit de « défiance constructive » sur le modèle prévu par l’article 67 de la loi fondamentale allemande. Un gouvernement ne peut alors être renversé par le Parlement que si ce dernier se met d’accord sur le nom d’un nouveau Premier ministre. Une majorité négative étant plus aisée à réunir qu’une majorité positive, la stabilité gouvernementale en sort gagnante. L’introduction de la défiance constructive nous semble toutefois se heurter à deux obstacles. La première est sa compatibilité difficile avec l’esprit global de l’article 49, notamment avec son très fameux alinéa 3. Ensuite, il apparaît difficile de la concilier avec la nomination du Premier ministre par le président de la République. Si cette option reste ouverte, elle nous paraît comporter plus d’inconvénients que d’avantages.

[40] Parmi la méthode de répartition des restes, elle apparaît la plus juste. Notons que la méthode de calcul des restes qui encombre de nombreuses pages dans nombre des manuels de droit constitutionnel ou de science politique n’a généralement qu’une incidence faible sur les systèmes politiques… Il s’agit là donc d’un point fort secondaire de notre analyse.

[41] Voir sur ce sujet : Morel B., « Le bicamérisme inversé », in Chambre haute, haute personnalité : mélanges en l’honneur de Jean-Louis Hérin, Paris : Mare & Martin, coll. « Liber amicorum », 2020, pp.157-177.

[42] Voir sur ce sujet : Chevalier, F., Les sénateurs français, 1875-1995 : essai sur le recrutement et la représentativité des membres de la seconde chambre, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t. 89, Paris : LGDJ, 1998 ; Robbe, F., La représentation des collectivités territoriales par le Sénat, 101, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, Paris : L.G.D.J, 2001.

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