
PRESENTATION
Le 4 décembre 2020, nous avons publié le premier article :
Benjamin MOREL : Renouveler nos institutions (Partie 1: constats/objectifs/méthode) https://metahodos.fr/2020/12/04/benjamin-morel-renouveler-nos-institutions-partie-1-constat-objectifs-methode/
Hier, nous avons publié le second article:
Renouveler nos institutions (Suite) – Objectif 1 – Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif https://metahodos.fr/2020/12/05/renouveler-nos-institutions-suite-objectif-1/
Rappel des 5 objectifs. Le second est traité dans le présent article:
- Refaire du Parlement un organe légitime et représentatif : Il convient d’abord de repenser l’élection des chambres afin de renforcer leur légitimité et leur représentativité;
- Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé : Un Parlement plus libre doit également disposer d’un plus grand pouvoir afin de jouer un rôle d’initiative et de contrôle efficace;
- Retrouver le sens de l’institution présidentielle : Du nouvel équilibre qui en ressort doit émerger un rôle présidentiel recentré comme garant de l’unité et des intérêts du pays;
- Redonner la parole au Peuple au sein des institutions : Marginalisé dans le processus d’hyperconcentration des pouvoirs actuellement à l’œuvre, le Peuple doit disposer de moyens d’action en dehors des seules élections. C’est notamment par la promotion d’une démocratie plus directe et délibérative qu’il convient de lui redonner toute sa place;
- Redonner de la force au contrôle de constitutionnalité : Enfin, le contrôle de constitutionnalité, et ce faisant l’effectivité de la Constitution même, pose aujourd’hui question. Il convient donc d’en revoir les modalités.
Objectif 2 – Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé
L’auteur définit ici ce qui doit permettre au Parlement de « regagner des marges de liberté en matière législative et de contrôle« : du temps et des moyens. Il a élaboré des propositions très précises qui répondent parfaitement aux enjeux et objectifs définis.
Restauter le pouvoir d’initiative et modifier l’article 40
Sans aller jusque-là, l’auteur propose que , « seul le gouvernement doit pouvoir l’invoquer en séance ou en commission. Cela laisse aux parlementaires la capacité d’exposer leur point de vue et de négocier avec l’exécutif. Lors de l’examen de la loi de finances, l’application de l’article 40 ne semble en revanche pas défendable. »
Scénarios proposés
- Modifier l’article 40 de la Constitution à dessein qu’il ne soit pas applicable lors de l’examen d’un projet de loi de finances, et que l’irrecevabilité ne puisse être invoquée que par le gouvernement lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi, en séance ou en commission.
- Modifier l’article 48 de la Constitution en y supprimant l’alinéa 4 relatif à la semaine de contrôle et y ajouter l’obligation d’inscrire dans un délai de six mois à l’ordre du jour non réservé au gouvernement toute proposition de loi adoptée par l’autre assemblée. ET Au chapitre XI du Titre 1er du Règlement de l’Assemblée nationale, prévoir qu’une semaine sur les deux laissées à l’initiative des chambres est réservée à l’examen de textes proposés par les commissions permanentes.
- Modifier l’article 45 de la Constitution à dessein de proscrire l’amendement sur un texte à la suite d’une Commission mixte paritaire conclusive, sauf en vue de rectifier une erreur matérielle dûment constatée par la commission compétente.
Rendre plus effectif le contrôle parlementaire
B. Morel rappelle qu’ « un contrôle effectif est un contrôle qui marie opposition et majorité en vue de modérer la première et d’émanciper la seconde.« Par ailleurs, précise t il, « un contrôle effectif est un contrôle qui ne se limite pas à constater les insuffisances, mais dispose des moyens de les corriger.«
L’ instauration d’ une clause de réexamen sur l’ensemble des textes est proposée: Un an après le vote d’un texte, le ministre compétent devrait obligatoirement être auditionné par la commission. À la suite de cette première audition, une majorité des députés pourrait demander la mise en place d’une mission sur tout ou partie d’une loi votée. Le rapporteur de la mission devrait appartenir à l’opposition.
Pallier l’absence d’application des textes
À la suite, la mission d’information pourrait déposer une proposition de loi obligatoirement inscrite dans le temps parlementaire réservé aux commissions permanentes, afin de corriger les dispositions problématiques; mais également saisir la justice administrative en cas de non prise des décrets d’application, ou si ces derniers semblent illégaux.
Redonner aux parlementaires le temps de leurs missions
L’auteur met en lumière le paradoxe que « la procédure des ordonnances, créée pour court-circuiter un Parlement jugé trop lent, allonge en réalité considérablement la production normative« . « Au-delà des ordonnances, les décrets d’application sont également souvent des arlésiennes. » .
Donner le temps au Parlement, c’est aussi renforcer la démocratie: « un texte mal écrit donne le pouvoir à deux acteurs non élus : l’administration, qui doit les traduire en mesures directement applicables ; le juge qui, devant des dispositions absconses, doit bien trancher en interprétant.«
Cela passerait par la limitation à 3 par session de la procédure accélérée, hors projets de loi de Finances et projets de loi de financement de la Sécurité sociale, avec toutefois un délai d’un mois entre le dépôt et l’examen en séance.
Par ailleurs, il es proposée la possibilité d’une convocation d’une CMP dès la première lecture, sur demande conjointe des présidents des deux chambres. Une seconde lecture pourrait avoir lieu, pouvant mener à une nouvelle CMP et, potentiellement alors, à une lecture définitive par l’Assemblée nationale.
Accorder au Parlement les moyens de remplir son rôle
B. Morel analyse la disproportion des moyens entre les parlementaires français et les ministres comme l’une des raisons principales de la fragilité du Parlement. Il propose d’augmenter de 10% le budget des assemblées, affecter une partie de ces moyens au renforcement des groupes d’opposition. ( Les crédits collaborateurs au Parlement français sont plus de deux fois inférieurs à ceux en vigueur au Bundestag, et sept fois moindre que ceux à disposition d’un parlementaire américain. )
L’expertise parlementaire par le rattachement d’organismes extérieurs
Le rattachement de France Stratégie permettrait au Parlement « d’orienter une prospective éclairant son regard et ses propositions dans le cadre d’une initiative renouvelée ». La Cour des comptes rattachée permettrait de réaliser un vrai contrôle budgétaire sur le gouvernement.
Il faudra séparer ses activités juridictionnelles et d’évaluation pour ne rattacher que les secondes au Parlement. ( il y a là un convergence avec nos propositions relatives à la révision des missions et statuts de La Cour des Comptes et du Conseil d’Etat )
Rendre efficientes les études d’impact
il s’agit de permettre à la commission de demander la modification de l’étude d’impact à la suite du dépôt d’un amendement par le gouvernement ainsi qu’après chaque lecture, et de prévoir la publication en annexe des avis des autorités indépendantes relatifs aux projets de loi.
ARTICLE DE BENJAMIN MOREL
Objectif 2 : Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé
Pour rééquilibrer les pouvoirs en faveur du Parlement, ce dernier a d’abord besoin de regagner des marges de liberté en matière législative et de contrôle. Mais pour que celles-ci donnent lieu à des actions effectives, les parlementaires doivent disposer du temps et des moyens nécessaires à la réalisation de leurs missions.
Sous-objectif 2a : Revaloriser l’initiative parlementaire
En matière législative, la liberté des parlementaires est importante dès lors qu’ils veulent bien s’en saisir. La faible initiative du Parlement relève plus comme nous y reviendrons, du temps et des moyens qui lui sont accordés, ainsi que de la soumission de la majorité. Pour autant, certaines dispositions qui font aujourd’hui l’objet d’une application problématique peuvent être améliorées.
L’un des principaux symboles de la mise sous tutelle du Parlement sous la Cinquième République réside dans une irrecevabilité : celle de l’article 40 de la Constitution. Cet article interdit aux parlementaires toute initiative ayant pour conséquence « une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». La réduction du champ de l’initiative parlementaire est donc potentiellement immense tant il est vrai qu’il est difficile d’agir sur les politiques publiques sans affecter, même de manière marginale, leur coût. Dans le cadre de l’examen de la loi de finances, les parlementaires sont par ailleurs privés d’un vrai pouvoir de réorientation des dépenses prévues par le gouvernement. Ils ne peuvent pas non plus agir sur le plafond des dépenses de l’État. Seule leur est ouverte au sein des lois de finances la possibilité de redéployer certains fonds entre programmes au sein des missions[43].
Pour contrer la rigueur de l’article 40, deux solutions ont historiquement été trouvées. La première est la pratique des gages visant à affecter une dépense nouvelle sur l’évolution d’une ressource prévisible (les taxes sur le tabac notamment). Très hypocrite, ce contournement, dont personne n’est dupe, permet de sauver certaines initiatives, mais n’est qu’un palliatif. En outre, elle favorise la dépense fiscale au détriment de la dépense budgétaire La seconde solution fut appliquée jusqu’à récemment par le Sénat. Elle consistait à ne pas contrôler préalablement à leurs dépôts les amendements susceptibles d’être irrecevables. L’irrecevabilité n’était prononcée que si quelqu’un l’évoquait en séance. Cette méthode tombera toutefois sous le coup du Conseil constitutionnel qui exige à présent qu’un contrôle préalable soit effectué par la commission des Finances[44].
Lors de la révision constitutionnelle de 2008, les présidents des commissions des Finances des deux assemblées avaient proposé de faire confiance à un Parlement d’adultes et de supprimer l’article 40[45]. Sans aller jusque-là, quoique nous pourrions, il convient aujourd’hui de limer les dents aux irrecevabilités financières hors période budgétaire. Pour cela, seul le gouvernement doit pouvoir l’invoquer en séance ou en commission. Cela laisse aux parlementaires la capacité d’exposer leur point de vue et de négocier avec l’exécutif. Lors de l’examen de la loi de finances, l’application de l’article 40 ne semble en revanche pas défendable.
Scénario 2 :
Proposition n° 7 : Modifier l’article 40 de la Constitution à dessein qu’il ne soit pas applicable lors de l’examen d’un projet de loi de finances, et que l’irrecevabilité ne puisse être invoquée que par le gouvernement lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi, en séance ou en commission.
L’une des principales avancées de la révision constitutionnelle de 2008 fut de rééquilibrer l’ordre du jour en réduisant à deux semaines le temps où le gouvernement peut inscrire en priorité les textes qu’il souhaite voir examiner. Deux semaines par mois sont donc, en théorie, à la discrétion du Parlement. Dans les faits, cela n’a pas conduit à redonner un souffle nouveau à l’initiative parlementaire. La raison en est triple. La première est liée à la difficulté pour les parlementaires d’écrire un texte ambitieux au vu de la faiblesse des moyens… là encore, nous y reviendrons. La seconde est liée à une mauvaise organisation de cet ordre du jour. L’article 48 prévoit ainsi que l’une des deux semaines est consacrée au contrôle. Or si ce dernier prend tout son sens dans le cadre des commissions parlementaires, en séance publique il apparaît au mieux comme une mise en scène. La plupart des parlementaires utilisent cette semaine pour s’échapper de Paris, les considérant, non à tort, comme inutiles. La semaine d’initiative n’est de son côté pas suffisante pour proposer des textes ambitieux. Ceux issus de l’opposition sont souvent rejetés par principe. Il conviendrait aussi d’accorder aux parlementaires deux semaines pleines d’initiative, dont l’une serait consacrée aux textes proposés par les commissions. Ces dernières disposent de chances plus importantes d’être votées et le concours de la commission peut être gage d’un travail de fond sur le sujet. Le troisième problème est lié à un dysfonctionnement majeur du bicamérisme. La plupart des textes votés dans une chambre ne sont, en effet, jamais examinés dans l’autre. Chaque assemblée préfère accorder du temps à ses propres propositions plutôt qu’à celles transmises par son homologue. Quand une proposition de loi de l’autre assemblée est examinée, c’est souvent que le Gouvernement, y ayant intérêt, a poussé à son inscription à l’ordre du jour. Il est alors l’arbitre des élégances entre les deux chambres. Pour éviter que la plupart des textes ne meurent dans la navette, il est donc nécessaire de prévoir qu’un texte adopté par l’une des assemblées est inscrit à l’ordre du jour de la seconde dans les six mois suivant son adoption. Le risque est évidemment de voir l’ordre du jour d’une chambre accaparée par l’autre qui, par stratégie, voterait des propositions de loi en cascade pour paralyser son homologue. Si un tel scénario devait se produire, l’usage des motions de procédure, notamment de la question préalable, permettrait à la majorité de l’assemblée visée de facilement contrer cette stratégie.
Scénario 2 :
Proposition n° 8 : Modifier l’article 48 de la Constitution en y supprimant l’alinéa 4 relatif à la semaine de contrôle et y ajouter l’obligation d’inscrire dans un délai de six mois à l’ordre du jour non réservé au gouvernement toute proposition de loi adoptée par l’autre assemblée.
Proposition n° 9 : Au chapitre XI du Titre 1er du Règlement de l’Assemblée nationale, prévoir qu’une semaine sur les deux laissées à l’initiative des chambres est réservée à l’examen de textes proposés par les commissions permanentes.
Par ailleurs, l’article 45 de la Constitution permet au Gouvernement de s’autoriser lui-même à amender un texte issu d’une commission mixte paritaire. Cela lui permet de mettre en pièces le compromis trouvé entre les deux chambres et de reprendre la main dont se sont saisis les parlementaires. Ceci ne doit plus être autorisé, sauf en vue de rectifier une erreur matérielle.
Scénario 2 :
Proposition n° 10 : Modifier l’article 45 de la Constitution à dessein de proscrire l’amendement sur un texte à la suite d’une Commission mixte paritaire conclusive, sauf en vue de rectifier une erreur matérielle dûment constatée par la commission compétente.
Sous-objectif 2 b : Rendre plus effectif le contrôle parlementaire
Là encore, le renforcement du contrôle n’est pas indépendant des moyens financiers et techniques sur lesquels nous reviendrons. Toutefois, il est également affaire d’instruments de contrôle. Pour être vraiment utiles, ces derniers doivent d’abord s’appuyer sur la pluralité des députés et ne pas être les simples jouets de la majorité. Non seulement cela conduit à exclure les députés de l’opposition du contrôle, mais ceux de la majorité ne pouvant s’appuyer sur la nécessité d’un consensus se voient rappeler à leur fidélité au gouvernement. Un contrôle effectif est donc un contrôle qui marie opposition et majorité en vue de modérer la première et d’émanciper la seconde. Par ailleurs, un contrôle effectif est un contrôle qui ne se limite pas à constater les insuffisances, mais dispose des moyens de les corriger.
L’essentiel du travail de contrôle ne réside pas dans les traditionnelles et médiatiques questions d’actualité au gouvernement. Le contrôle passe d’abord par un travail d’investigation des commissions permanentes permettant à ces dernières de s’assurer de la mise en œuvre des politiques publiques et de l’application des textes votés par le Parlement. Ce dernier point est important. Le travail parlementaire ne peut ni ne doit se borner au vote de la loi. Les députés et sénateurs doivent pouvoir s’assurer que cette dernière est appliquée et qu’elle produit les effets escomptés. Pour ce faire, il semble nécessaire d’instaurer une clause de réexamen sur l’ensemble des textes. Cette pratique s’impose aujourd’hui de plus en plus sans toutefois être encadrée. Un an après le vote d’un texte, le ministre compétent devrait obligatoirement être auditionné par la commission. À la suite de cette première audition, une majorité des députés pourrait demander la mise en place d’une mission sur tout ou partie d’une loi votée. Le rapporteur de la mission devrait appartenir à l’opposition. Cela implique des capacités matérielles et humaines, à travers l’accès, notamment, à l’expertise des fonctionnaires des chambres. Cela permet également au rapporteur d’avoir la main sur le programme d’auditions. À la suite du rapport, la mission d’information aurait alors plusieurs outils entre ses mains. Elle pourrait d’abord déposer une proposition de loi obligatoirement inscrite dans le temps parlementaire réservé aux commissions permanentes. Ainsi les dispositions problématiques pourraient être corrigées. Elle pourrait également saisir la justice administrative en cas de non prise des décrets d’application, ou si ces derniers semblent illégaux. Ainsi pourrait être pallié l’absence d’application du texte. On peut imaginer une saisie en référé du Conseil d’État par l’intermédiaire d’un recours en manquement, sur le modèle de ce que prévoit le droit européen[46]. D’une manière plus simple, l’arrêt du Conseil d’État du 28 juillet 2000, Association France Nature Environnement, oblige le gouvernement à prendre les actes réglementaires d’exécution des lois dans « un délai raisonnable ». Il suffirait dans ce cadre de reconnaître un intérêt à agir à la chambre sur demande de la mission, voire à chaque parlementaire, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir. Cette solution semble plus sûre et plus simple juridiquement.
Scénario 1 :
Proposition n° 11 : Au chapitre V du Titre de III du règlement de l’Assemblée nationale, prévoir l’audition systématique du ministre en commission un an après le vote d’une loi. Sur proposition d’un tiers des membres, une mission spéciale est chargée d’établir un rapport sur les conséquences de la loi.
Proposition n° 12 : Au chapitre XI du Titre 1er du règlement de l’Assemblée nationale est prévu que les propositions de loi issues de la mission d’évaluation sont inscrites prioritairement à l’ordre du jour sur la semaine d’initiative parlementaire.
Proposition n° 13 : Ajouter un nouvel article à l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 prévoyant que la chambre, par la voix de la mission d’évaluation statuant à la majorité, a intérêt à agir par voie de recours pour excès de pouvoir en cas de non prise dans un délai raisonnable des actes réglementaires nécessaires à l’application d’une mesure législative ou en cas d’illégalité de l’un d’eux.
Notons que le rôle du contrôle du Parlement en temps de crise doit aussi être revalorisé et repensé. Nous renvoyons sur ce point à la note produite par l’Institut dans le cadre du dossier de crise[47].
Sous-objectif 2c : Redonner aux parlementaires le temps de leurs missions
C’était l’un des sous-entendus de la révision constitutionnelle proposée en 2018 par Emmanuel Macron. Le Parlement est lent et il faut donc se donner les moyens d’accélérer son rythme. Or, n’est pas lièvre qui croit. D’abord, le Parlement français n’est pas si lent. En moyenne l’examen d’un texte au Parlement français prenait sous la précédente législature 149 jours, contre 156 en Allemagne et 400 aux Pays-Bas[48]. À dire vrai, il n’y a que peu de parlements plus rapides que le Parlement français, si l’on exclut l’assemblée monocamérale hongroise dominée par le Fidesz de Victor Orbán. On peut d’ailleurs escompter que la généralisation de la procédure accélérée à l’ensemble des textes[49] sous cette législature aura encore réduit la moyenne française. À l’opposé, un rapport sénatorial de mars 2019 relève que « Le délai moyen pour prendre l’ordonnance, une fois la loi donnant l’habilitation promulguée, est de 455 jours. (…) trois ordonnances ont été prises dans un délai inférieur à 177 jours (respectivement 96, 107 et 164 jours), délai moyen du vote de la loi. À l’inverse, 19 ont été prises dans un délai supérieur à 354 jours, soit le double du délai moyen de vote d’une loi et 3 ont un délai supérieur à 700 jours. »[50] Ainsi arrive-t-on au paradoxe que la procédure des ordonnances, créée pour court-circuiter un Parlement jugé trop lent, allonge en réalité considérablement la production normative. Au-delà des ordonnances, les décrets d’application sont également souvent des arlésiennes. La loi El Khomri, votée en cinq mois, les a attendus plus d’un an pour pouvoir être appliquée.
Donner le temps au Parlement, ce n’est donc pas mettre la France à l’arrêt. C’est donner aux assemblées la capacité de voter des textes mieux construits. Ces derniers peuvent alors mieux viser l’intérêt général. Par ailleurs, un texte mal écrit donne le pouvoir à deux acteurs non élus : l’administration, qui doit les traduire en mesures directement applicables ; le juge qui, devant des dispositions absconses, doit bien trancher en interprétant. Donner le temps au Parlement, c’est donc aussi renforcer la démocratie.
Redonner du temps au Parlement, c’est d’abord et avant tout revenir sur la généralisation de la procédure accélérée. Cette dernière réduit à néant les délais laissés aux chambres pour travailler entre la transmission du texte et son examen. Les parlementaires sont alors contraints de bâtir de bric et de broc une expertise dans l’urgence, sans vrai recul sur ce qu’ils doivent examiner. Elle remet par ailleurs en cause la navette parlementaire qui permet aux députés et aux sénateurs de s’enrichir du débat entre les deux assemblées. Si la procédure accélérée peut parfois se justifier au regard de l’urgence à légiférer, il convient d’en limiter l’usage à trois textes par session, hors projets de loi de Finances et projets de loi de financement de la Sécurité sociale. Sur ces textes, un délai d’un mois entre le dépôt et l’examen en séance doit toutefois être prévu pour permettre au Parlement de travailler. Si, ayant épuisé son quota, le gouvernement se trouvait dans la nécessité d’agir vite, il devrait alors obtenir l’accord des conférences des présidents des deux assemblées. La convocation d’une commission mixte paritaire en première lecture prévue par la procédure accélérée est souvent un argument pour justifier son enclenchement. Il est vrai que, parfois, les deux chambres sont d’accord, à quelques virgules près, et que les lourdeurs d’une seconde lecture semblent inutiles. La convocation d’une CMP devrait être possible dès la première lecture, mais uniquement sur demande conjointe des présidents des deux chambres. Elle ne doit pas pouvoir mener le gouvernement à donner en cas d’échec le dernier mot à l’Assemblée nationale. Dans ce cas, une seconde lecture a lieu, pouvant mener à une nouvelle CMP et, potentiellement alors, à une lecture définitive par l’Assemblée nationale.
Scénario 2 :
Proposition n° 14 : Modifier l’article 45 de la Constitution. Prévoir que le gouvernement ne peut engager la procédure accélérée, hors PLF et PLFSS, que trois fois par session, sauf accord des conférences des présidents des deux assemblées. Prévoir que les présidents des deux assemblées après accord du bureau peuvent demander la réunion d’une commission mixte paritaire au terme de la première lecture d’un texte. L’échec de cette dernière ne peut conduire le Gouvernement à demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement.
Proposition n° 15 : À l’article 45 de la Constitution, prévoir un délai d’un mois incompressible entre le dépôt et l’examen en séance des PLF et PLFSS. la procédure accélérée ne remet pas en cause ce délai.
Pour que le Parlement ait le temps d’examiner la portée d’un texte, il convient également que ce dernier ne change pas au gré des vents. Le gouvernement dispose en effet de libertés importantes en matière de dépôt d’amendements. Les parlementaires doivent de leur côté déposer leurs amendements dans un délai préalablement fixé avant leur examen. Cela permet notamment à la commission de les étudier et de les discuter. Ce délai ne s’impose pas au gouvernement qui peut donc surprendre les parlementaires avec un nombre important d’amendements déposés au dernier moment. Par ailleurs, ces amendements qui peuvent s’avérer consistants n’ont pas passé sous les fourches caudines du Conseil d’État. Comme le proposait d’ailleurs le rapporteur de l’Assemblée lors de l’examen interrompu de la révision constitutionnelle, il apparaît nécessaire qu’un tel examen puisse avoir lieu. Il permet d’assurer une meilleure qualité des textes, une constitutionnalité renforcée et une meilleure information des parlementaires.
Scénario 1 :
Proposition n° 16 : Modifier l’article 13 de la loi organique du 15 avril 2009, modifier également les articles 99 du règlement de l’Assemblée nationale et 13 du règlement du Sénat pour obliger le gouvernement à déposer ses amendements dans les mêmes délais que les parlementaires, sauf correction d’une erreur matérielle.
Scénario 2 :
Proposition n°17 : Ajouter un alinéa à l’article 44 prévoyant que, dans les conditions fixées par une loi organique, le Gouvernement peut saisir le Conseil d’État d’un amendement qu’il dépose. Cette faculté est une obligation si l’amendement en question ajoute des dispositions tendant à modifier substantiellement le texte. En cas de litige, le Président de la chambre dispose de la capacité de saisir le Conseil constitutionnel pour juger de cette obligation.
Si le Parlement français n’est pas lent, cela ne veut pas dire que la procédure parlementaire ne peut pas être optimisée. Le phénomène d’obstruction n’est plus aujourd’hui un problème majeur tant il est vrai que la plupart des réformes des règlements des chambres depuis la fin des années 80 ont eu pour objet de la juguler. La fonction tribunitienne de la séance ne peut plus être réduite au risque de porter atteinte au sens politique du jeu parlementaire[51].
Du temps pourrait toutefois être gagné par la tenue d’un débat préalable à l’examen du texte en commission pour ses travaux[52]. À la fin du débat, la chambre pourrait alors faire le choix, à une majorité qualifiée des deux tiers, d’engager une procédure d’examen simplifiée. Le texte ne serait alors amendé qu’en commission avant d’être voté après une discussion d’ensemble en séance publique. À défaut de procédure simplifiée, l’examen en séance débute après le passage en commission, par la discussion sur articles.
Scénario 2 :
Proposition n° 18 : Modifier les articles 43 et 42 de la Constitution à dessein de permettre la tenue d’un débat d’orientation préalable avant l’examen en commission. Prévoir dans le règlement des chambres que ce dernier se substitue à la discussion générale et peut ouvrir la voie à une procédure simplifiée sur décision d’une majorité qualifiée des deux tiers.
Sous-objectif 2d : Accorder au Parlement les moyens de remplir son rôle.
La disproportion des moyens entre les parlementaires français et les ministres est l’une des raisons principales de la fragilité du Parlement. Il est certes peu populaire d’expliquer que le politique a besoin de moyens pour exercer ses missions. Pourtant, si “regrettable” que cela soit, la démocratie a un coût. Le budget de l’Assemblée nationale en 2020 est de 568 millions d’euros, soit, à peu près, celui de la ville de Bordeaux (517 millions d’euros). Le budget du Sénat (342 millions d’euros) approche celui de la ville de Grenoble (393 millions d’euros). Si le Parlement français peut compter sur un corps de fonctionnaires compétents, ils ne peuvent à eux seuls remplir un rôle, ne serait-ce que comparable, aux technostructures ministérielles sur lesquelles s’appuie le Gouvernement. Une augmentation du budget des chambres et des recrutements pourrait s’avérer nécessaires. Une augmentation, ne serait-ce que de 10 millions d’euros, permettrait de recruter une centaine d’administrateurs. Une augmentation de 10 % (soit 50 millions d’euros à l’Assemblée et 30 millions au Sénat) nous semble à la fois modeste au vu de l’importance du travail parlementaire et susceptible de doter les chambres d’un pôle réactif d’expertise. Cela permettrait, notamment, de mieux armer les commissions à dessein de réaliser un travail de contrôle en profondeur. Cela devrait notamment permettre de mieux doter les groupes d’opposition à dessein qu’ils puissent recruter plus de collaborateurs et obtenir une plus large expertise extérieure. L’organisation des assemblées conduit en effet à orienter les moyens d’expertises internes vers les rapporteurs et présidents de commission qui font très souvent partie de la majorité. Comme c’est le cas en Allemagne, les groupes d’opposition devraient également se voir mieux dotés financièrement que les groupes de la majorité à dessein d’équilibrer le déficit d’accès à l’expertise qui caractérise leur position. Il s’agit là d’une avancée nécessaire à un meilleur contrôle parlementaire et à un pluralisme politique effectif.
Scénario 1 :
Proposition n° 19 : Augmenter de 10% le budget des assemblées, affecter une partie de ces moyens au renforcement des groupes d’opposition.
Toutefois, donner à chaque parlementaire la possibilité de trouver les moyens d’agir c’est également leur permettre de disposer d’une équipe suffisamment nombreuse et de qualité. Les crédits collaborateurs au Parlement français sont plus de deux fois inférieurs à ceux en vigueur au Bundestag, et sept fois moindre que ceux à disposition d’un parlementaire américain[53]. En la matière par ailleurs, la modification du mode de scrutin doit s’avérer payante. Aujourd’hui, beaucoup de collaborateurs sont basés en circonscriptions, ce que devrait rendre moins essentiel la proportionnelle. Les collaborateurs parlementaires doivent par ailleurs voir leur statut revu et leur sécurité juridique accrue à travers notamment un renforcement des incompatibilités. Leur rémunération gagnerait également à être mieux encadrée tout comme leurs conditions de travail (temps de travail, harcèlement)[54].
Par ailleurs, l’idée d’Emmanuel Macron en 2017 de réduire le nombre de parlementaires à moyens constants est bonne. Couplée avec un mode de scrutin mixte, elle était fortement problématique[55]. Toutefois, liée à un mode de scrutin uniquement proportionnel, elle comporte des avantages certains. Le nombre de parlementaires semble en effet aujourd’hui trop important au vu de la fin du cumul des mandats. Le Parlement est devenu pour certains un lieu d’ennui et de désillusion, voire d’anomie. La baisse du nombre de parlementaires peut contribuer à la clarté des débats et à un meilleur dynamisme de la chambre. Si elle ne peut ni ne doit être un objectif en soi, elle peut permettre d’améliorer la qualité du travail collectif et de donner à chacun une place à la mesure de ses aspirations et de ses mérites. Il n’en reste pas moins que cette réduction pose plus de souci concernant le Sénat. Les sénateurs sont moins nombreux et leur mode d’élection souffrirait d’une réduction du nombre de parlementaires qui accroîtrait encore les distorsions de représentations entre départements. Par ailleurs, le Sénat dispose d’un veto sur toutes les lois organiques le concernant, ce qui inclut le nombre de ses membres. Toutefois, le seul intérêt à diminuer le nombre de parlementaires selon le même ratio dans les deux chambres est lié à l’équilibre du Congrès en vue de réviser la Constitution… procédure qu’il conviendrait de remettre en cause ; nous y reviendrons.
Scénario 1
Proposition n° 20 : Doubler le montant des frais de recrutements des collaborateurs de chaque député et sénateur. Cela doit conduire à ouvrir la négociation au sein de chaque chambre à dessein de concevoir un statut plus clair et plus protecteur pour les collaborateurs parlementaires.
Scénario 2 :
Proposition n° 21 : Par voie organique, diminuer d’un quart le nombre des parlementaires.
Au-delà des capacités internes des chambres et du travail des collaborateurs, l’expertise parlementaire pourrait être renforcée par le rattachement d’organismes extérieurs. En 2018 François de Rugy avait ainsi évoqué celui de France Stratégie[56]. L’idée semble d’autant plus d’actualité que la recréation par le présent gouvernement d’un Commissariat au plan semble rendre peu lisible la future répartition des rôles auprès de l’exécutif. France Stratégie permettrait ainsi au Parlement d’orienter une prospective éclairant son regard et ses propositions dans le cadre d’une initiative renouvelée. Un second organisme candidat au rattachement est bien entendu la Cour des comptes. Ce projet, à dessein de réaliser un vrai contrôle budgétaire sur le gouvernement, est un serpent de mer. S’il est de bon ton de s’y opposer en arguant de la qualité de juridiction de la Cour, il est néanmoins tout à fait possible de séparer ses activités juridictionnelles et d’évaluation pour ne rattacher que les secondes au Parlement[57]. Si l’on ne veut pas emprunter plus avant cette voie, l’article 47-2 de la Constitution dispose que la Cour des comptes « assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de Finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. » Il suffit donc de limiter son secours au seul Parlement en modifiant ledit article.
Scénario 1
Proposition n° 22 : Par voie législative et abrogation du décret du 22 avril 2013, rattacher France-Stratégie au Parlement.
Scénario 2
Proposition n° 23 : Modifier l’article 47-2 de la Constitution à dessein de rattacher les activités d’évaluation de la Cour des comptes au Parlement.
Proposition 23 bis : Modifier l’article 47-2 de la Constitution à dessein de préciser que la Cour des comptes n’assiste que le seul Parlement.
Par ailleurs, la modification substantielle du texte par l’intermédiaire d’amendements gouvernementaux rend peu fiable un travail parlementaire fondé sur l’étude d’impact. Comme cela avait été envisagé dans les travaux préparatoires à la loi organique du 15 avril 2009, et bien qu’une révision constitutionnelle soit nécessaire[58], il convient d’ouvrir la possibilité à la commission d’exiger du gouvernement de réviser celle-ci à la suite d’un amendement déposé par lui. À dessein d’informer clairement les parlementaires, une actualisation de l’étude d’impact entre les deux lectures serait également la bienvenue. Si l’on peut souhaiter contraindre le Gouvernement à améliorer la qualité de ces documents, la jurisprudence du Conseil laisse en la matière peu de prises tant elle est peu contraignante pour l’exécutif. Une révision de la loi organique du 15 avril 2009 pourrait à la rigueur être envisagée. Surtout, dans ces documents, le Gouvernement est par définition juge et partie. On pourrait toutefois prévoir la publication, en annexe de l’étude d’impact, des avis des autorités indépendantes portant sur les projets (Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme). Cela ne peut pas toutefois remplacer un vrai travail de contre-expertise parlementaire.
Scénario 2 :
Proposition n° 24 : modifier l’article 44 de la Constitution pour permettre à la commission de demander la modification de l’étude d’impact à la suite du dépôt d’un amendement par le gouvernement ainsi qu’après chaque lecture.
Modifier la loi organique du 15 avril 2009 et l’article 98-1 du règlement de l’Assemblée nationale en application de cette nouvelle rédaction; y prévoir la publication en annexe des avis des autorités indépendantes relatifs aux projets de loi.
A SUIVRE
[43] Décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, considérants 22 à 29.
[44] Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009.
[45] Arthuis J., Migaud D., « Réforme de la Constitution : supprimons l’article 40 ! », Le Monde, 16 mai 2008.
[46] Les articles 258-260 du TFUE permettent ainsi de saisir la CJUE si un État ne remplit pas ses obligations.
[47] Marienval M., Morel B., Un parlement confiné, 2020 (https://www.institut-rousseau.fr/un-parlement-confine).
[48] Bartelone C., Winock M., Refaire la démocratie, Rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, Assemblée nationale, rapport n° 3100, 2012, p.90.
[49] Sauf lors de la présentation de la révision constitutionnelle justement, car l’article 45 l’interdit….
[50] Létard V., Bilan annuel de l’application des lois au 31 mars 2019, Rapport d’information du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, n° 542, juin 2019, p.20.
[51] Voir Rozenberg, O. et Thiers, É. (dir.), L’opposition parlementaire, coll. Les Études 5378-79, Paris : la Documentation française, 2013, p.194.
[52] Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009.
[53] Sur ce sujet, voir Recueil des notes de synthèse, Études de législation comparée Étude de législation comparée n° 281, Sénat, 2017.
[54] Voir sur ces sujets : Morel B., Les indemnités et avantages matériels des parlementaires, note n° 11 de l’Observatoire de l’éthique publique, juillet 2020.
[55] Elle tend à diminuer encore le nombre de circonscriptions élues au scrutin majoritaire, amplifiant les effets pervers déjà évoqués.
[56] Lemarié A. « François de Rugy veut renforcer le pouvoir du Parlement face à l’exécutif », Le Monde, 12 janvier 2018
[57] Reconnaissons la paternité de cette idée simple, mais efficace, à Marienval M., Modification de la composition du Parlement : quels enjeux?,Note de la Fondation Jean Jaurès, novembre 2017.
[58] Voir décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010.
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