
Générations désenchantées ?
Une étude récente, « Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie », se penche sur les 18-29 ans. Elle souligne l’attachement de cette classe d’âge à la démocratie, son altruisme et son sens de l’Europe. Le point de vue de Jacques Le Goff, professeur émérite de droit public (Brest- Quimper).
Voir notre récente publication :
JEUNES ET POLITIQUE : LA NATURE DE LA FRACTURE. ENTRE REINVENTION ET RESIGNATION? https://metahodos.fr/2021/11/12/fracture/
AGENDA:
INVITATION – LES ENTRETIENS DE LA METHODE – JEUDI 9 DECEMBRE -DEMOCRATIE REVIVIFIEE ET CROISSANCE DURABLE https://metahodos.fr/2021/11/15/invitation/
Article
« Une jeunesse en vigilance démocratique »
Ouest-France Publié le 02/11/2021
« Dans le monde arabe, en Amérique du Nord, à Hong Kong, au Québec, et ces derniers temps au Soudan, les jeunes sont aux avant-postes du combat pour la démocratie. En France, on la voit se mobiliser contre l’extrême droite.
On avait tellement insisté sur son penchant individualiste, son hédonisme impénitent et sa superficialité qu’on finissait par perdre de vue sa capacité politique de résistance avivée à l’heure de sérieuses menaces pour la démocratie. Pourtant, bien des sociologues (Singly, Martuccelli…) avaient attiré notre attention sur le potentiel relationnel et civique d’un « individualisme » attestataire et protestataire.
Démocratie, altruisme et sens de l’Europe
Une étude récente, « Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie », (1) confirme ces vues. Sans taire la réalité dans la jeunesse (18 à 29 ans) d’un courant très autoritariste rêvant d’un gouvernement de techniciens ou de militaires, elle souligne l’attachement de cette classe d’âge à la démocratie, son altruisme et son sens de l’Europe.
Son soutien à la démocratie n’est certes pas sans réserve. Accord sur les valeurs fondatrices de liberté, d’égalité avec appel au renforcement de l’État-providence, et de fraternité. Mais aussi, réserve sur ses modalités et doutes sur la légitimité de la démocratie représentative dans sa version actuelle.
Comme leurs aînés, les jeunes aspirent à plus d’horizontalité d’un fonctionnement directement et profondément greffé sur la société vive dans la recherche d’un nouvel équilibre entre la représentation nécessaire et l’effervescence pétillante d’un corps social plus conscient que jamais de son droit à la parole et à l’initiative. Une forme de « démocratie sauvage » disent les auteurs, qui ne va pas sans soulever de vraies questions quant à l’aptitude à tenir cette ligne dans la durée, le lyrisme initial cédant souvent le pas à une fatigue vite démobilisatrice.
Une chose semble sûre : le modèle actuel doit impérativement se réformer dans le sens d’une « démocratie continue » (Dominique Rousseau) réarticulant autrement État et société. Le travail est amorcé avec les conventions citoyennes et autres expériences de démocratie participative. Il reste à le mener à terme.
Empêcher que le monde ne se défasse
Contrairement à une idée reçue, l’altruisme n’est pas moins vigoureux chez les jeunes que chez leurs aînés. Cette valeur serait en forte progression chez les premiers depuis 2008. Elle se manifeste par un souci marqué de justice globale et de solidarité inclusive vis-à-vis des migrants par exemple. Son expression cependant évolue : de moins en moins institutionnel, y compris dans des associations, l’altruisme se manifeste plutôt par des actions ponctuelles d’aide et de soutien sans engagement dans le temps. On pourrait presque parler de militantisme précaire, à la carte avec le risque de l’intermittence du cœur. Là aussi, il faudra parvenir à ancrer ces choix sur la durée.
S’agissant de l’Europe, on découvre avec intérêt à quel point la jeunesse s’y montre attachée. Non seulement elle lui manifeste sa confiance mais elle aspire à une meilleure intégration politique tout en rêvant d’un « patriotisme cosmopolite », élargi au monde selon le « modèle des scrupules » décrit par Sophie Duchesne, répugnant à identifier trop étroitement la citoyenneté à une nation. Au risque d’une citoyenneté sans amarres et un peu désincarnée.
En position plutôt défensive, si cette jeunesse ne veut pas refaire le monde, elle entend bien au moins, selon le mot de Camus, empêcher résolument qu’il ne « se défasse ».
(1) Documentation française.