
DOSSIER « NOTRE ETAT MALADE »
PARTIE 1 : LIRE «LA MAFIA D’ÉTAT». DOSSIER RELATIF A « NOTRE ETAT MALADE ». https://metahodos.fr/2021/12/13/lire-la-mafia-detat-premiere-partie-dun-dossier-relatif-a-notre-etat-malade/
PARTIE 2 : LA SIMPLIFICATION, C’EST POSSIBLE ! « NOTRE ETAT MALADE » https://metahodos.fr/2021/12/14/simplification-2/
PARTIE 3 : LA « REFORME DE L’ACTION PUBLIQUE » PROMISE « NOTRE ETAT MALADE » https://metahodos.fr/2021/12/15/fiction-publique-reforme/
PARTIE 4 : RETOUR SUR LA « MAFIA D’ETAT » – « NOTRE ETAT MALADE » https://metahodos.fr/2021/12/16/une-mafia-detat/
PARTIE 5 : PODCAST : LES DÉRIVES DE LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE – «NOTRE ÉTAT MALADE» https://metahodos.fr/2021/12/17/podcast-haute-fonction-publique/
PARTIE 6 : EXTRAITS DU LIVRE de Vincent Jauvert
Le journaliste Vincent Jauvert consacre un ouvrage à ces énarques qui occupent des postes clés dans les affaires et l’administration, et s’entraident pour faire carrière. L’Express a livré en exclusivité plusieurs extraits édifiants.
Article
De Pepy à Veolia-Suez, de Mitterrand à Macron : voyage au coeur de la « Mafia d’Etat »
L’Express, Par Vincent Jauvert Publié le 06/10/2021
Jean-Dominique Comolli, de Balladur à Macron
Cet ancien haut fonctionnaire a accepté de me rencontrer, avec réticence. Il sait tellement de choses. Crise sanitaire oblige, nous nous retrouvons sur un banc du Jardin des Plantes, à bonne distance l’un de l’autre. Cheveux gris et chaussures bon marché, Jean-Dominique Comolli ressemble à un modeste retraité de la fonction publique. Pourtant, cet énarque de 73 ans n’est pas un petit pensionné de l’administration. Tant s’en faut.
Durant notre échange, il me confiera que, pendant des années, son salaire s’élevait à 1,2 million d’euros par an sans compter les stock-options ; et que, aujourd’hui, l’entreprise publique qu’il a privatisée puis vendue lui verse une « retraite-chapeau » de 40 000 euros bruts par mois – somme qu’il percevra jusqu’à la fin de ses jours.
L’histoire de Jean-Dominique Comolli est celle de ces grands commis de l’Etat, de droite comme de gauche, qui, tout au long de la Ve République et singulièrement ces dernières décennies, se sont enrichis bien au-delà de ce que les citoyens imaginent. Son aventure, si typique de l’élite française, commence sous Mitterrand et se poursuit toujours sous Macron. (…)
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En 1993, le nouveau Premier ministre, Edouard Balladur, lui offre la présidence de la Seita, l’entreprise publique qui produit les cigarettes françaises. (…) Le haut fonctionnaire de gauche va rester dix-sept ans, de 1993 à 2010, à la tête de la compagnie, y compris après la cession de son capital à des actionnaires privés. (…) Comment Jean-Dominique Comolli a-t-il réussi à demeurer patron de la Seita après sa privatisation ? « A l’époque, le directeur de cabinet d’Edouard Balladur, Nicolas Bazire, et quelques autres choisissaient les gros actionnaires qui contrôleraient le capital des sociétés privatisées, raconte-t-il. C’est ce que l’on a appelé les « noyaux durs ». A chaque fois, le nom du PDG faisait partie de l’accord avec eux. » Et c’est ainsi, grâce au deal entre l’Etat et quelques patrons amis du pouvoir, que Jean-Dominique Comolli conserve son poste après la dénationalisation. Seule sa rémunération va changer. (…)
Le haut fonctionnaire français reste dans la société britannique [NDLR : l’Imperial Tobacco, le nouveau nom de la Seita privatisée] jusqu’à ce que, en septembre 2010, le président de la République, Nicolas Sarkozy, lui propose de revenir dans l’administration. Il sera patron de l’Agence des participations de l’Etat. Son équipe et lui vont représenter les pouvoirs publics dans les conseils d’administration des entreprises dont l’Etat est actionnaire. (…) En tant que président de l’APE, Jean-Dominique Comolli était, depuis 2010, représentant de l’Etat au conseil d’administration d’Air France. Ses jetons de présence étaient intégralement reversés sur un compte de la Direction générale des finances publiques. Son mandat à l’APE achevé [NDLR : en septembre 2012], Jean-Dominique Comolli devait quitter cette noble assemblée. Mais (…) Bercy décide en catimini de l’y maintenir toujours comme représentant de l’Etat. Et toujours à titre gratuit. Pas pour longtemps…
Deux ans plus tard, un texte est voté qui permet d’en finir avec cette gratuité. Une ordonnance crée le statut d’administrateur élu sur « proposition de l’Etat ». Ces administrateurs du troisième type percevront 30 % des jetons de présence.
Jean-Dominique Comolli est nommé au board d’Air France en 2015, cette fois « sur proposition de l’Etat », si bien que sa rémunération passe de 0 à 15 000 euros par an. Un petit Smic.
Ce n’est pas fini. En janvier 2018, alors qu’Emmanuel Macron est à l’Elysée et Bruno Le Maire à Bercy, ce pourcentage grimpe, par arrêté, de 30 à 85 %. Ainsi, cette année-là, notre ancien grand commis, qui perçoit, on l’a vu, 40 000 euros par mois de retraite-chapeau de l’ex-Seita, va aussi encaisser 48 875 euros d’Air France en jetons de présence.
En 2019, alors qu’il a 71 ans et que son mandat s’achève, Jean-Dominique Comolli est de nouveau proposé par l’Etat au board d’Air France. Pourquoi ? La réponse est saisissante. « J’entretiens d’excellentes relations avec le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, me confie-t-il. A l’Agence des participations de l’Etat, il était mon adjoint chargé des transports. Cela a peut-être joué… »
Guillaume Pepy, le cumul litigieux
Guillaume Pepy ne le cache pas : les jetons de présence chez le géant privé de l’eau sont une sorte d’arrangement. « En tant que patron de la SNCF, je percevais 450 000 euros par an de revenu fixe, me confie-t-il. C’était le maximum autorisé, je ne pouvais donc pas bénéficier d’une part variable, comme la plupart des patrons. Alors le chef de l’Agence des participations de l’Etat dont je dépendais m’a dit sous la forme d’une boutade : « Ton variable ce sont tes jetons de présence chez Suez ! »
Mais cet arrangement-là était-il autorisé ? Du 1er juillet 2013 au 1er janvier 2016, puis du 1er octobre 2018 au 1er novembre 2019, le patron de la SNCF était en détachement du Conseil d’Etat. « En 2013, j’étais arrivé presqu’au bout de dix ans de disponibilité, il fallait que je change de statut si je ne voulais pas être bientôt rayé des cadres du Conseil d’Etat », m’explique-t-il en toute transparence. A la différence de la disponibilité, le fonctionnaire « détaché » continue d’accumuler ses droits à la retraite et à l’avancement. En contrepartie, il doit respecter un certain nombre d’obligations qui pèsent sur ses collègues en activité.
La loi de 1983 sur la fonction publique stipule qu’un fonctionnaire ne peut « participer aux organes de direction de sociétés à but lucratif ». (…) « Bon, me lance-t-il, fair-play, je vais poser la question à Bruno Lasserre. » Ce dernier n’est autre que le vice-président du Conseil d’Etat, la plus haute instance de la justice administrative. Mais aussi le chef du grand corps auquel appartient Guillaume Pepy. (…) https://embed.acast.com/efaaaadb-7f16-57d9-9ba9-12e77f6e79a3/615dc473eb1d9500123aa494?subscribe=false
Quelques semaines plus tard, Bruno Lasserre me téléphone pour me livrer sa « propre conviction et celles de ses collègues qui ont, à [sa] demande, étudié le dossier » Pepy. (…) « Vous savez, commence par me dire Bruno Lasserre, nous n’avons trouvé aucune jurisprudence, aucun avis de notre conseil de déontologie, rien sur des cas similaires à celui de M. Pepy. » Puis il prononce sa sentence : « Ma conviction est qu’un fonctionnaire en détachement dans une entreprise publique ne peut être en même temps administrateur d’une société tierce à but lucratif, qu’elle ait ou non une délégation de service public. » (…)
Devrait-il aujourd’hui rembourser les 235 483 euros perçus indûment, semble-t-il, pendant ses trois années de détachement ? Bruno Lasserre répondra par écrit : « C’est l’employeur qui accueille le fonctionnaire en détachement [NDLR : la SNCF dans le cas de Guillaume Pepy] qui peut procéder à la récupération des sommes en cause, dans le respect du délai de prescription de cinq ans. »
Anne-Marie Idrac, la lobbyiste du ministère
A 70 ans, l’ancienne ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy déborde d’énergie. Elle accumule les projets. Les jetons de présence aussi. Gilet bleu à collerette blanche, l’énarque – épouse de préfet et fille de ministre – me reçoit dans le bureau qu’elle occupe au rez-de-chaussée de l’hôtel de Roquelaure, boulevard Saint-Germain. Ce haut lieu du premier Empire est le siège parisien du ministère de la Transition écologique. « Vous voyez, c’est là que je garais ma voiture quand j’étais ministre des Transports de Juppé », me glisse-t-elle en indiquant de la tête la cour du bâtiment. Elle me tend sa carte de visite, qui explique sa présence ici : « Depuis octobre 2017, je suis haute représentante pour le développement des véhicules autonomes. Un job bénévole. » (…) De son bureau au ministère, l’ancienne haute fonctionnaire s’occupe aussi de France Logistique, qu’elle préside. « C’est le lobby du secteur, explique-t-elle sans hésiter. Evidemment, c’est un job rémunéré. » Etrange situation que celle d’une représentante d’intérêts occupant un bureau dans le ministère même où elle doit faire antichambre, du lobbying comme on dit en anglais ! (…)
Aujourd’hui, elle collectionne les sièges dans les conseils d’administration. (…) Air France ? « C’est un cas un peu particulier, confie-t-elle. Je suis très amie avec Jean-Marc Janaillac [NDLR : président de la compagnie aérienne de 2016 à 2018]. A un moment de sa carrière, il était en l’air, sans rien, alors je l’ai fait venir à la RATP. Quand il a pris la présidence d’Air France, il m’a ouvert les portes de son conseil. » Et la société d’autoroute Sanef ? « C’est son président Alain Minc qui m’a fait venir. On se connaît depuis toujours. On s’est rencontrés à Toulon où il faisait son service militaire et moi mon stage ENA. Depuis, nous sommes restés très amis, nous partons au ski ensemble. Grâce à la Sanef, on peut se retrouver régulièrement, c’est très sympathique. » En 2019, Anne-Marie Idrac siégeait dans cinq conseils d’administration. Le maximum légal. Le Medef recommande de ne pas dépasser trois. Selon mes calculs qu’elle n’a pas démentis, elle a perçu cette année-là environ 375 000 euros de jetons de présence.
Veolia-Suez, une OPA sous influence publique
[En août 2020, Veolia, leader mondial de la gestion de l’eau, dépose une offre publique d’achat de Suez, le n°2 français du secteur, détenu à 32% par l’entreprise Engie. Louis Schweitzer, né en 1942, inspecteur des finances, ex-PDG de Renault, participe aux négociations en tant qu’administrateur et vice-président de Veolia, un poste rémunéré 122 000 euros par an.]
Cette opération financière majeure montre le poids de la caste d’Etat des années 1980 sur les affaires d’aujourd’hui. Outre Louis Schweitzer, au moins quatre intervenants importants de cette OPA géante en sont. Le patron d’Engie, l’ingénieur du corps des mines Jean-Pierre Clamadieu, était conseiller industriel de Martine Aubry quand la fille de Jacques Delors était ministre du Travail de François Mitterrand. Au conseil d’administration de Suez, on trouve un autre ancien du cabinet Aubry, le maître des requêtes au Conseil d’Etat Guillaume Pepy.
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L’ancien conseiller pour les affaires industrielles de Jacques Delors, alors ministre de l’Economie de François Mitterrand, l’X-ENA Gérard Mestrallet, a joué les médiateurs. Pour cela, son cabinet et lui auraient perçu 10 millions d’euros. Quant à l’ancien conseiller d’Edouard Balladur pour les privatisations, l’inspecteur des finances Jean-Marie Messier, ce deal lui permet, tel un Phénix, de renaître de ses cendres. Devenu banquier d’affaires, J2M aurait gagné 22 millions pour avoir géré l’OPA de bout en bout.
Le dossier de L’Express – Hauts fonctionnaires et petits arrangements
Comme certains ont dit not all men (pas tous les hommes) après les scandales de harcèlements #MeToo, il faudrait préciser not all hauts fonctionnaires. La plupart d’entre eux s’acquittent avec un dévouement sans faille de leur tâche de serviteur de l’Etat. Mais une partie des élites fabriquées à l’ENA ont pris d’autres habitudes. Elles conçoivent leur mission comme une carrière classique, où les passages dans le privé sont prévus dès le commencement. Enquête sur les petits arrangements de ceux qui nous administrent, avec des extraits édifiants du dernier livre de Vincent Jauvert, La Mafia d’Etat (Seuil).
Laurent Duvoux/Talkie Walkie De Pepy à Veolia-Suez, de Mitterrand à Macron : voyage au coeur de la « Mafia d’Etat »
Le journaliste Vincent Jauvert consacre un ouvrage à ces énarques qui occupent des postes clés dans les affaires et l’administration, et s’entraident pour faire carrière. L’Express vous livre en exclusivité plusieurs extraits édifiants.
Pour une critique non poujadiste de la haute fonction publique
Pendant que la majorité des hauts fonctionnaires s’acquittent de leur mission dans l’anonymat d’une sous-direction, une communauté d’ambitieux a colonisé le CAC 40.
Ils occupent des postes clés dans les affaires et l’administration, et s’entraident pour faire carrière… Le journaliste Vincent Jauvert consacre un livre à ces dérives.
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