
TRIBUNE
Jean-Pierre Raffarin au JDD : « Relégitimons la démocratie »
29 avril 2022 JDD Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, président de Leaders pour la paix
L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin appelle à la revitalisation de la démocratie contre la violence et les « facétieux » qui « donnent de la voix ».
« Notre démocratie est malade. Les pathologies sont multiples : abstention, procès en illégitimité, faiblesse du Parlement, violences… Dans ce mal-être national, ça arrange tout le monde de faire de Macron le coupable. C’était le programme commun des onze autres candidats à la présidentielle. Il ne s’agit pas ici de nier les responsabilités du Président dans la perception de son action. L’omniprésence conduit à l’omni-accusation. Nous savons que le « premier de la classe » est souvent une bonne cible. Cependant les limites du raisonnable sont franchies quand l’éthique de responsabilité cède la place au complotisme, quand la rue veut combattre l’urne.
Les grands sujets attendus dans cette campagne ont été effacés par la personnalisation de l’enjeu ; la lutte contre le chômage a même disparu des programmes. Le but de guerre n’était pas de proposer le meilleur projet mais d’être le challenger du Président.
Face à cette pression, Emmanuel Macron fut un bon stratège. Il n’est pas tombé dans le piège du débat « seul contre tous ». Il a pu accélérer pour le second tour, ce qui lui a permis de passer d’un pronostic de 51 % le soir du premier tour à un score final de 58,5 %. Un résultat supérieur à ce que les Français attendaient. De cette victoire, les démocrates doivent prendre acte. Cela ne les empêche pas de réfléchir.
Les Républicains s’interrogent-ils sur leur responsabilité ? Que pensent-ils de leurs primaires qui en 2017 les ont décapités, mettant hors course un ancien Président et deux anciens Premiers ministres, puis en 2022, en désignant leur candidate Valérie Pécresse, ont simultanément créé son problème, Éric Ciotti ? Les socialistes s’interrogent-ils sur leur effondrement à l’issue de leur dernier mandat présidentiel ? Les écologistes réfléchissent-ils à leur inaptitude à incarner le combat pour la planétisation des consciences ? Marine Le Pen, elle, s’interroge sans doute sur la hiérarchie qu’a installée chacun de ses débats avec Emmanuel Macron.
La vérité est que le nombre de démocrates diminue dans notre pays
Cette incapacité de la politique française à mesurer les responsabilités dans l’affaiblissement de notre démocratie ne concerne pas que les candidats à la présidentielle. Les exécutifs territoriaux ne se sentent pas vraiment responsables de l’abstention aux élections locales. Les chaînes d’information ou les réseaux sociaux réfléchissent-ils à leur influence sur notre démocratie ?
Puisque chacun dénonce l’affaiblissement de la démocratie en s’en désignant innocent, alors la pensée conventionnelle devient la mise en cause de la légitimité du vainqueur.
Le premier président de la Ve République réélu sans le secours de la cohabitation deviendrait le plus mal élu. Il l’est pourtant mieux que de Gaulle et Pompidou, Giscard et Mitterrand… Les abstentionnistes qui, en liberté, ont choisi de ne pas participer au vote ont, de ce fait, confié aux votants le soin de décider. Leur liberté est partie prenante de la décision. Quant à celui qui fait barrage en votant « contre », il a bien besoin de la victoire de celui à qui va son vote pour réussir son barrage. La vérité est que le nombre de démocrates diminue dans notre pays. Les factieux donnent de la voix. La revitalisation de la démocratie ne peut être qu’une priorité du projet Macron. La politique reste la meilleure arme contre la violence.
Il faut donc réfléchir à une « Ve République augmentée » dans laquelle les lieux de délibération sont démultipliés au Parlement, au sein d’une décentralisation repensée, au cœur d’une démocratie sociale relégitimée… Tout ne doit pas remonter à l’Élysée. La recherche de légitimité devrait concerner tous les acteurs de la démocratie : députés et sénateurs, syndicats et entreprises, média et réseaux sociaux… Des propositions comme le découplage des élections présidentielles et des législatives, l’instillation d’une dose de proportionnelle, la définition d’une nouvelle représentation syndicale, la présence des grands exécutifs territoriaux au Sénat, la suppression de l’anonymat sur les réseaux sociaux, sont des propositions de nature à revitaliser notre démocratie. Ce combat ne concerne pas que la France. Face aux régimes autoritaires, les démocraties doivent donner un avenir à leur modèle. Notre camp international reste celui-là, il souffre d’un déficit de leadership. Pour cette mission non plus, le Président français ne manque pas de légitimité. »