
L’ÉTAT (ET INDIRECTEMENT SON EXÉCUTIF IRRESPONSABLE) SANCTIONNÉS PAR LE JUGE
La carence de l’Etat français à respecter les limites de pollution de l’air fixées par le code de l’environnement a été sévèrement sanctionnée par le Conseil d’Etat. Une tribune de Vincent Brenot, avocat-associé chez August Debouzy.
METAHODOS – LES ENTRETIENS DE LA MÉTHODE – A DÉJÀ PUBLIÉ :
LE MENSONGE N’EST NI HABILETÉ NI ART, IL EST MENSONGE – TROIS CONTRE-VÉRITÉS SUR LE CLIMAT https://metahodos.fr/2022/11/14/non-le-mensonge-nest-ni-une-habilete-ni-un-art-il-est-mensonge/
UBU EN RÉPUBLIQUE : ÉTAT DE DROIT, ARBITRAIRE ET IRRESPONSABILITÉ – UN ÉTAT CONDAMNÉ, MAIS AUCUN RESPONSABLE ? https://metahodos.fr/2022/10/21/ubu-etat-de-droit-et-irresponsabilite-quand-letat-est-condamne-a-verser-une-amende-a-letat-alors-quaucun-responsable-nest-reconnu-responsabl/
ARTICLE
ENVIRONNEMENT : LE JUGE ADMINISTRATIF NE REGARDE PLUS AILLEURS
Par Vincent Brenot le 01/11/22 LES ECHOS
La prise de conscience écologique collective exacerbée par la récurrence des incidents climatiques conduit la société civile à porter les enjeux environnementaux devant les prétoires avec une fréquence et une intensité inédites.
Initié à l’étranger, à l’image de l’affaire « Urgenda » au Pays-Bas, le contentieux climatique a gagné le terrain juridictionnel français au cours des cinq dernières années. Le juge administratif français s’inscrit dans ce mouvement transnational, incité en cela par la Cour de justice de l’Union européenne qui, en 2019, a condamné la France pour manquement à ses obligations découlant d’une directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air.A La hague, 6 ans après le jugement Urgenda des manifestants demandent à l’Etat Hollandais de tenir ses engagements. Crédit photo Ana Fernandez/SOPA Images via ZUMA Wire/REA
Deux astreintes de 10 millions d’euros chacune
Dans la saga « Association les Amis de la Terre », le juge a, pour la première fois, le 17 octobre dernier, reconnu insuffisante l’action de l’Etat pour réduire les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines dans l’atmosphère et enjoint à ce dernier de prendre des mesures réglementaires en ce sens – avec une décision du Conseil d’Etat liquidant deux nouvelles astreintes records de 10 millions d’euros chacune à l’encontre de l’Etat, qui s’ajoutent à une première de 10 millions. Il confirme, ce faisant, la carence étatique – considérée, par ailleurs, comme fautive par le tribunal administratif de Paris dans « L’affaire du siècle » (2021) au vu de l’aggravation des émissions de gaz à effet de serre – à ramener la présence de polluants dans l’air en dessous des seuils fixés dans le code de l’environnement.
Le discours politique est désormais traduit en droit positif dont le juge administratif est conduit à vérifier la mise en œuvre effective par l’administration, pour éviter que l’inflation normative en matière environnementale ne se transforme en une forme de greenwashinglégislatif et réglementaire.Les représentants des ONG de l’Affaire du Siècle posent devant le tribunal administratif de Paris le 14 mars 2019. Crédit photo Christophe Archambault / AFP
Dès 2005, certains tribunaux administratifs avaient statué en ce sens, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé étant inscrit dans notre Constitution depuis bientôt deux décennies (Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité). Cette même reconnaissance, en 2022, par le Conseil d’Etat, pourrait donc être perçue comme bien tardive. Cependant, à la décharge du juge, cette question n’avait, semble-t-il, jamais été expressément posée au Conseil d’Etat qui ne dispose d’ailleurs pas d’une capacité d’auto-saisine. Une nouvelle étape a donc été franchie par le juge administratif dans l’affaire « Association les Amis de la Terre ».
Une liberté fondamentale
Le Conseil d’Etat avait donné une pleine efficacité au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé découlant de l’article 1er de la Charte de l’environnement. Il s’inscrit en cela dans le sillon tracé par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 31 janvier 2020, ce dernier avait déjà érigé la protection de l’environnement en objectif de valeur constitutionnelle que le législateur est tenu de prendre en considération et de concilier avec les autres droits et libertés constitutionnels.
Le 20 septembre dernier, saisi par des particuliers qui demandaient la suspension de travaux routiers, le juge administratif suprême avait, à son tour, élevé le droit de vivre dans un environnement équilibré au rang de liberté fondamentale invocable à l’appui d’un référé-liberté – recours d’urgence contre les décisions administratives portant une atteinte manifestement grave et illégale à la sauvegarde d’une liberté fondamentale.
Les décisions des 20 septembre et 17 octobre 2022 participent à un essor judiciaire de la protection de l’environnement avec, en son centre, le juge administratif. Organe indépendant du politique et aisément saisissable par les administrés, ce juge est désormais disposé à sanctionner, au fond comme en urgence, les errances éventuelles de l’Etat au regard des obligations environnementales qu’il s’est donné pour mission de respecter.Transport routier sur une route de campagne en France. Crédit photo Raphael Bloch/SIPA
Une condamnation pécuniaire symbolique
Si certains commentateurs qualifient d’historique la lourde condamnation pécuniaire prononcée à l’égard de l’Etat, que le contribuable se rassure : sa portée demeure largement symbolique.
En effet, une fraction de l’astreinte a été liquidée au profit des associations pour la protection de l’environnement requérantes, qui tirent traditionnellement de leurs succès judiciaires une part non négligeable du financement de leurs futures actions contentieuses.
Cependant, l’autre partie des affectataires de l’astreinte liquidée s’avère être constituée d’entités relevant de la sphère publique, voire directement de l’Etat, si bien que ce dernier se versera la majeure partie de l’astreinte à lui-même. Cette simple réallocation budgétaire de fait conduit à une formule dont il est permis de douter du caractère financièrement dissuasif à l’égard du condamné.
Maitre Vincent Brenot est Associé au sein de l’équipe Public Réglementaire Environnement d’August Debouzy.
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